4 décembre 2023
100e anniverssaire de la république de Turquie

LA TURQUIE (MAL)TRAITÉE DANS LES MÉDIAS FRANÇAIS

PROTESTATION

Histoire

Courrier de protestation au « Nouvel Observateur »

Publié le | par Confluence France-Turquie | Nombre de visite 1067

Info Turquie News - www.turquie-news.com - Suite à un récent article du Nouvel Observateur, intitulé « La seconde mort d’Atatürk », Turquie News invite ses lecteurs à découvrir le courrier de protestation émis par l’Association Confluence France-Turquie (CFT).

Nous encourageons nos lecteurs à envoyer eux aussi des courriels polis dans la forme et sans concession sur le fond.



Madame, monsieur,

Confier la couverture d’un pays comme la Turquie à un(e) pigiste de peu d’expérience et d’une honnêteté intellectuelle limitée est un choix périlleux pour un hebdomadaire comme Le Nouvel Observateur. Nous en avons eu une récente illustration avec le dernier article de Laure Marchand, « La seconde mort d’Atatürk » (NO, 19-25 août 2010, pp. 34-36). Pour reprendre brièvement les principaux thèmes traités, ou plutôt maltraités par Mme Marchand :

1) Le titre est particulièrement mal choisi et pour le moins démagogique. Atatürk est ainsi couvert, à peine implicitement, de tous les péchés. Le lecteur ne saura rien, par exemple, de sa politique d’émancipation des femmes (égalité civile en 1926, droit de vote en 1930-1934, entrée au Parlement en 1935), ni du développement économique ; rien de positif n’est dit sur la laïcisation, alors que les ravages de l’islamisme, et de tous les autres obscurantismes se donnent à voir quotidiennement.

Mme Marchand s’inspire des enluminures médiévales : d’un côté le bien (tout ce qui est antikémaliste), de l’autre le mal absolu (Atatürk, ses partisans, ses héritiers). À l’en croire, « le Turc nouveau se doit alors d’être sunnite, laïque et ethniquement turc ». Or, les Alévis, de même que certains clans kurdes, ont été parmi les meilleurs soutiens du régime kémaliste. Loin d’être « des citoyens de seconde zone », les minorités ethniques et religieuses bénéficièrent de la complète égalité civile et civique, déjà présente dans la Constitution ottomane de 1876 et confirmée par la Constitution turque de 1924. En 1935, alors que rien ne l’y obligeait, Atatürk fit élire députés un Grec-orthodoxe, un Juif et un Arménien, Berch Keresteciyan. Ce dernier ne fut d’ailleurs pas élu à Istanbul, dans un quartier arménien, mais à Afyon, une ville d’Anatolie où la plupart des habitants sont musulmans. Les intellectuels allemands et autrichiens, majoritairement juifs, arrivés entre 1933 et 1938, fuyant le nazisme, jouèrent un rôle capital dans la modernisation de la Turquie ; quelques-uns y restèrent, même après 1945, et leurs descendants sont citoyens turcs (Arnold Reisman, Turkey’s Modernization. Refugees from Nazism and Ataturk’s Vision, Washington, New Academia Publishing, 2006 ; Dirk Halm et Faruk Sem, Exil sous le croissant et l’étoile, Paris, Turquoise, 2009).

Pour achever la diabolisation du kémalisme, il faut s’en prendre à l’armée. Mme Marchand écrit que le gouvernement renversé en 1960 était « démocratiquement élu ». Elle oublie que ce gouvernement avait systématiquement violé la Constitution pendant les années précédentes, pour maintenir et renforcé son pouvoir ; et que le régime militaire ne dura pas un an, laissant le pouvoir aux civils dès 1961, avec une nouvelle Constitution, parfaitement démocratique.

2) Mme Marchand tente d’apitoyer ses lecteurs sur le sort des agitateurs d’extrême gauche pendant le régime militaire de 1980-1983, et nous somme de croire à leurs fantasmagoriques histoires de « tortures » quotidiennes. C’est oublier le terrorisme pratiqué massivement par l’extrême gauche turque de 1968 aux années 1980, et la situation de quasi guerre civile déclenchée par cette même extrême gauche. Dans les années qui ont précédé le coup d’État, des milliers de personnes ont été assassinés par des membres de l’extrême gauche, sans que les dirigeants gauchistes ne prennent la peine de condamner de tels actes (voir à ce sujet Andrew Mango, Turkey and the War on Terror. For Forty Years We Fought Alone, Londres-New York, Routledge, 2005).

3) Parlant de la « sale guerre » entre le PKK et l’armée turque, Mme Marchand refuse de qualifier le PKK de « terroriste », alors qu’il figure sur la liste des organisations terroristes établies par la France, l’Union européenne, les États-Unis, et divers autres pays. Là encore, la lecture d’Andrew Mango eût pu être bien utile. Mme Marchand ne cite pas une seule fois les crimes du PKK contre des civils, notamment les massacres d’instituteurs, tués pour le seul crime d’avoir enseigné la langue turque à des enfants kurdes, la destruction systématique d’écoles et d’hôpitaux, sur le modèle de ce que fit le Sentier lumineux au Pérou, les bombes contre des infrastructures touristiques ou, plus récemment, les incendies de commerce tenus par des personnes d’origine turque en France, incendies dont les auteurs ont été récemment condamnés par la justice française. Elle ne cite pas une seule fois les nombreux trafics (drogue, cigarettes, êtres humains) auquel se livre le PKK, devenu depuis les années 1990 l’égal des grandes mafias dans le monde du crime organisé. De même, il n’est pas question de mentionner la forte représentation des Kurdes à l’Assemblée nationale de Turquie, dans tous les principaux partis, y compris la droite nationaliste (MHP).

4) Même sélection de faits s’agissant des populations chrétiennes. Mme Marchand est loin de l’honnêteté du général James G. Harbord, chef de la mission d’enquête américaine en Anatolie, en 1919. Quoique proarménien déclaré, Harbord écrivit dans son rapport : « Dans les territoires non touchés par la guerre, et d’où les Arméniens furent expulsés, la destruction de villages doit être attribuée à des exactions de Turcs, mais là où des Arméniens [en armes] avancèrent et reculèrent aux côtés des Russes, les cas avérés de cruautés commises par ces Arméniens rivalisent incontestablement avec ceux des Turcs dans leur inhumanité. » (Conditions in the Near East. Report of the American Military Mission to Armenia, Washington, Government Printing Office, 1920, p. 9). Quoique partisans de la qualification de « génocide » pour le cas arménien, les historiens Hilmar Kaiser et Ara Sarafian se sont rangés récemment à l’évidence, en reconnaissant que l’homme qui sauva le plus d’Arméniens ottomans pendant la Première Guerre mondiale n’est autre qu’Ahmet Cemal Paşa (Djémal Pacha), numéro 3 du régime jeune-turc. Djémal fut assassiné par un terroriste arménien en 1922.

Alors que la France fut le pays le plus durement touché par le terrorisme arménien des années 1970 et 1980 (seize morts au total, dont huit non-Turcs), alors que le Comité de coordination des associations arméniennes de France vient d’élire à sa tête Ara Toranian, ancien porte-parole du groupe terroriste ASALA, de 1976 à 1983, et Mourad Papazian, qui fut, en France, le partisan le plus vipérin d’un autre groupe terroriste arménien, les CJGA/ARA, Mme Marchand demeure muette sur le terrorisme arménien.

À en croire la pigiste, ceux qui contestent la qualification de génocide dans le cas arménien sont « négationnistes » — donnant ainsi à ce mot un sens inconnu de son créateur, Henry Rousso, inconnu du Petit Larousse comme du Grand Robert, et rejeté par Valérie Igounet, la principale spécialiste du négationnisme en France, qui s’est d’ailleurs exprimée sur le site du Nouvel Observateur. Nonobstant la définition des dictionnaires, faudra donc inclure parmi les « négationnistes » Guenter Lewy, rescapé de la Shoah, professeur honoraire de sciences politiques à l’université du Massachusetts, auteur de l’étude la plus dévastatrice pour la qualification de « génocide » dans le cas arménien (The Armenian Massacres in Ottoman Turkey, Salt Lake City, University of Utah Press, 2005) ; il faudra aussi y inclure des historiens aussi respectables que Bernard Lewis, Justin McCarthy, Andrew Mango et Gilles Veinstein.

Cumulant les points Godwin, Mme Marchand parle de « Nuit de Cristal » à propos des évènements de septembre 1955. La « Nuit de Cristal » fut un pogrome organisé par l’État nazi, et suivi d’une vaste entreprise de spoliation. Les évènements de 1955 furent une manifestation colère populaire contre les Grecs (et pas contre les non musulmans en général), assurément injustifiable, mais non point sans explications. La colère réagissait au nationalisme grec-chypriote, qui commençait à utiliser la violence pour éliminer, non seulement l’occupation britannique de Chypre, mais aussi la minorité turque de l’île ; de 1955 à 1974, des centaines de Chypriotes-turcs furent assassinés par les terroristes de l’EOKA. Mais il n’est pas question pour Mme Marchand de parler de ces faits ; pas plus qu’il saurait être question de préciser que le gouvernement turc de l’époque fit donner la troupe pour ramener le calme, et éviter la diffusion des troubles à d’autres villes (Izmir et Ankara).

« Quand tous vont vers le débordement, nul n’y semble aller. Celui qui s’arrête fait remarquer l’emportement des autres, comme un point fixe », écrivait Pascal (Pensées, édition Brunschvicg, 382). Quel point fixe permettra aux lecteurs du Nouvel Observateur de lire sur la Turquie des articles moins tendancieux ?

Salutations attristées,

Maxime Gauin, vice-président de l’association Confluence France-Turquie (CFT).

Yakup Kuş, président de CFT.

Ergün Kırlıkovalı, premier vice-président de l’Assembly of Turkish American Associations (ATAA), responsable du site Media Watch Now.


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