Polémique autour du cessez-le-feu décrété par le PKK à l’occasion du Ramadan.
Depuis une semaine, la polémique sur les raisons du cessez-le-feu décrété unilatéralement par le PKK à l’occasion du Ramadan ne cesse de défrayer la chronique. L’origine de cette agitation médiatique découle des déclarations faites la semaine dernière par l’un des responsables du PKK, Murat Karayılan à la presse internationale, laissant entendre que ce cessez-le-feu était la conséquence de rencontres récentes, ayant eu lieu entre Abdullah Öcalan et des représentants de l’Etat turc. Le CHP et le MHP se sont immédiatement saisis de l’affaire pour dénoncer des manœuvres occultes du gouvernement, qui auraient eu pour objet d’obtenir du PKK une suspension des violences qui ont ensanglanté le sud-est de la Turquie ces derniers mois, au moment où doit se tenir le référendum sur la révision constitutionnelle. Le gouvernement est ainsi carrément accusé par l’opposition laïque et nationaliste d’avoir négocié, avec l’organisation rebelle kurde, une décrue des tensions en cours pour lui permettre d’arriver à ses objectifs électoraux. Bien que la révision qui doit faire l’objet du référendum, le 12 septembre prochain, l’ait ignorée, la question kurde est donc de retour au cœur de la vie politique turque, et cette polémique révèle en réalité le positionnement des principales forces politiques tant sur le référendum que sur la question kurde elle-même.
Appelant à voter « non », le CHP et le MHP ont trouvé, dans cette affaire, des arguments qui leur permettent d’étayer leur discours hostile aux réformes du gouvernement, accusé ni plus ni moins de vouloir porter atteinte à l’intégrité de l’Etat, que ce soit au travers de sa révision constitutionnelle, que ce soit au travers de son approche de la question kurde et des négociations qu’il mènerait avec le PKK. Le 25 août 2010, le député CHP d’Adana Tacihar Seyhan a déclaré que le chef du MİT (Milli Istihbarat Teşkilaki, les services turcs de renseignement), Hakan Fidan, a rencontré Abdullah Öcalan le 20 juillet dernier, sur l’île d’Imralı. Selon lui, Fidan était accompagné par deux autres personnes et les caméras de sécurité ont été éteintes pendant cette visite.
Appelant à boycotter un référendum qui les a oubliées, les organisations kurdes (BDP, DTK, KCK…) se réjouissent en fait de l’annonce de ces contacts entre l’Etat et le leader du PKK, et appellent le premier ministre à les reconnaître ouvertement. La révélation de ces contacts cadre en réalité avec leur revendication d’intégrer tous les acteurs (y compris le PKK) dans la recherche d’une solution au problème kurde. Lors d’un meeting à Mardin, le 25 août 2010, l’un des leaders du BDP, Selahattin Dermitaş, a déclaré : « Le premier ministre devrait être en mesure de révéler s’il y a eu ou non des contacts avec le PKK et Öcalan, pour trouver une solution à la question kurde. S’il y a eu une telle rencontre, c’est une bonne chose. » En réalité, pour les organisations kurdes, l’idée est ici de montrer que des négociations ont commencé entre le gouvernement et le PKK.
Appelant bien sûr à voter « oui » avec l’objectif de l’emporter le 12 septembre, le gouvernement pourtant ne voit pas les choses de la même façon. Le 23 août dernier, lors de l’émission de télévision « Siyaset Meydani » (Forum politique) de la chaine « Show TV », le premier ministre a admis des contacts entre l’Etat et le PKK, mais pas entre le gouvernement et le PKK. Interrogé sur ce qu’il entendait pas « État », Recep Tayyip Erdoğan a désigné les services de renseignements (en l’occurrence le MİT), en précisant : « Ces services sont chargés de donner de l’information à l’Etat. Qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire qu’ils sont chargés de lever certains obstacles et de résoudre certains problèmes. Un pouvoir politique, lui, ne s’assoie jamais à une table de négociations avec une organisation terroriste. » Ainsi pour le gouvernement, il faut faire la différence entre l’action que mène l’Etat dans la gestion courante de la question kurde, et qui peut impliquer le cas échéant des contacts avec le PKK, et la politique que mène le gouvernement pour rechercher une solution à la question kurdes qui exclut toute négociation avec l’organisation d’Abdullah Öcalan.
Les experts et les médias n’ont cessé, ces trois derniers jours, d’évoquer cette distinction et de s’interroger sur sa pertinence. Beaucoup de commentateurs se sont étonnés de l’ampleur des débats qui ont suivi la révélation des contacts entre le MİT et le PKK. Nombre d’entre eux rappellent, en effet, que ces contacts ont toujours existé. Dans le quotidien « Taraf », un ancien responsable du MİT, Cevat Öneş déclare qu’il y n’a cessé d’y avoir des contacts entre l’État et Abdullah Öcalan, depuis la capture de celui-ci en 1999. La grande différence selon lui (et elle est très révélatrice des évolutions politiques qu’a connues ces dernières années le système politique turc) est que jusqu’à 2006, les rencontres qui avaient lieu avec le leader kurde emprisonné ne faisaient intervenir que l’armée, alors que depuis cette date, des autorités civiles (MIT, Police…) sont les premières concernées. L’expert en questions kurdes et militaires, Sedat Laçiner, est néanmoins plus prudent dans son analyse. Il pense qu’en eux-mêmes ces contacts sont normaux, mais que « l’important est ici de définir un cadre et de ne pas faire de concessions ». Il estime notamment que l’Etat peut avoir des contacts pour arrêter le terrorisme, mais pas pour faire diminuer les tensions, à des fins politiques…
Il est à parier toutefois que tous ces débats sur l’existence de contacts qui semblent évidents, tant ils apparaissent comme une pratique ancienne, et leur instrumentalisation en période électorale, ne parviendront pas à faire oublier l’urgence que revêt aujourd’hui la recherche d’une solution politique à la question kurde pour la Turquie contemporaine.
Source : Ovipot