Reconnaissance de la vérité historique
Dans un arrêt concernant la Suisse et, potentiellement, la France, la Cour européenne des droits de l’homme affirme que contester le qualificatif de "génocide" pour les affrontements interethniques survenus entre Turcs et Arméniens entre 1914 et 1922 n’est pas un délit.
Contester le qualificatif de "génocide" pour les affrontements interethniques survenus entre Turcs et Arméniens entre 1914 et 1922 n’est pas un délit, affirme mardi la Cour européenne des droits de l’homme dans un arrêt condamnant la Suisse et concernant, potentiellement, la France.
Suite à une plainte d’organisations nationalistes arméniennes basées en Suisse, les tribunaux helvètes avaient condamné en 2007 le président du Parti des travailleurs de Turquie, Dogu Perincek, à 90 jours-amende avec sursis pour discrimination raciale et 3000 francs d’amende pour avoir contesté, lors de conférences en Suisse, le terme "génocide" pour qualifier le sort des Arméniens dans l’Empire Ottoman lors de la Première Guerre Mondiale. Un verdict confirmé par le Tribunal fédéral (...)
Contestation de la thèse de "génocide arménien", la Suisse condamnée par la CEDH

Contester la thèse arménienne de "génocide" n’est pas un délit, dit la CEDH
Dans un arrêt concernant la Suisse et, potentiellement, la France, la Cour européenne des droits de l’homme affirme que contester le qualificatif de "génocide" pour les affrontements interethniques survenus entre Turcs et Arméniens entre 1914 et 1922 n’est pas un délit.
Contester le qualificatif de "génocide" pour les affrontements interethniques survenus entre Turcs et Arméniens entre 1914 et 1922 n’est pas un délit, affirme mardi la Cour européenne des droits de l’homme dans un arrêt condamnant la Suisse et concernant, potentiellement, la France.
Suite à une plainte d’organisations nationalistes arméniennes basées en Suisse, les tribunaux helvètes avaient condamné en 2007 le président du Parti des travailleurs de Turquie, Dogu Perincek, à 90 jours-amende avec sursis pour discrimination raciale et 3000 francs d’amende pour avoir contesté, lors de conférences en Suisse, le terme "génocide" pour qualifier le sort des Arméniens dans l’Empire Ottoman lors de la Première Guerre Mondiale. Un verdict confirmé par le Tribunal fédéral.
Notion de droit
La juridiction du Conseil de l’Europe affirme que cette condamnation, prononcée au nom d’une loi suisse supposée réprimer la "négation de tout génocide", constitue une violation du droit à la liberté d’expression.
Selon la Cour européenne, Dogu Perinçek n’a pas commis d’abus de droit en qualifiant de « mensonge international » la thèse d’un "génocide" arménien. Elle rappelle que « le libre exercice du droit de débattre ouvertement de questions sensibles et susceptibles de déplaire est l’un des aspects fondamentaux de la liberté d’expression ».
"M. Perinçek tenait un discours de nature historique, juridique et politique et ce discours s’inscrivait dans un débat controversé", affirme la Cour. "En raison de l’intérêt public du discours, la Cour estime que la marge d’appréciation des autorités internes était réduit."
Les juges soulignent le fait que Dogu Perincek n’a jamais contesté la réalité des massacres et des déportations dont ont été victimes les Arméniens.
La Cour doute qu’il puisse y avoir un consensus général sur la thèse du "génocide arménien". Une vingtaine d’Etats seulement l’ont reconnu en tant que "génocide" sur les 190 que compte la communauté internationale.
"Le génocide est une notion de droit très étroite dont la preuve est par ailleurs difficile à apporter", soulignent les juges, qui établissent une distinction entre cette affaire et d’autres condamnations judiciaires relatives à la négation de l’Holocauste.
"Dans ces affaires, les requérants avaient nié des faits historiques, parfois très concrets, comme l’existence des chambres à gaz. Ils niaient les crimes commis par le régime nazi, lesquels avaient une base juridique claire. Enfin, les faits qu’ils remettaient en cause avaient été jugés clairement établis par une juridiction internationale", disent-ils.
La négation de l’Holocauste est aujourd’hui le moteur principal de l’antisémitisme. Il s’agit d’un phénomène contre lequel la communauté internationale doit faire preuve de vigilance.
On ne saurait, selon la Cour, affirmer que le rejet de la qualification juridique de « génocide » pour les événements tragiques intervenus en 1915 et dans les années suivantes dans l’Empire ottoman puisse avoir les mêmes répercussions.
Cette distinction prend à contre-pied le discours récurrent des organisations arméniennes visant à banaliser la Shoah en faisant un parallèle entre le Génocide des Juifs perpétré par le régime nazi et les événements turco-arméniens de 1914-1922.
Trouble à l’ordre public ?
Selon la CEDH, la Suisse n’a pas prouvé qu’il existerait chez elle un besoin social plus fort que dans d’autres pays de punir une personne pour discrimination raciale sur la hase de déclarations contestant la simple qualification juridique de « génocide » pour ces événements.
La Cour européenne rappelle aussi que Dogu Perinçek, s’il avait été condamné à Lausanne, avait été acquitté par le Tribunal de Berne-Laupen. Elle se réfère aussi à la décision du Conseil constitutionnel français qui, en février 2012, a déclaré anticonstitutionnelle la loi visant à réprimer la contestation de génocides reconnus par la loi.
La Cour européenne relève aussi que le Tribunal fédéral avait lui-même admis qu’il n’existe pas d’unanimité au sein de la collectivité quant à la qualification juridique des atrocités commises en 1915.
Motifs insuffisants
En conclusion, la Cour juge que les motifs avancés par les autorités suisses pour justifier la condamnation de Dogu Perinçek ne sont pas tous pertinents. Considérés dans leur ensemble, ils sont insuffisants. La condamnation ne répondait pas à un « besoin social impérieux » et n’était pas nécessaire pour la protection de l’honneur et les sentiments des descendants des victimes des atrocités qui remontent aux années 1915 et suivantes.
A titre de réparation financière, Dogu Perincek avait demandé 20’000 euros pour le dommage matériel et 100’000 euros pour compenser le tort moral. La Cour a rejeté les deux demandes jugeant que le constat de violation suffit à remédier au tort que la condamnation a pu lui causer.
Les juges s’appuient enfin sur une décision de 2012 du Conseil constitutionnel français pour souligner que le cas arménien peut être reconnu ou décrété en tant que "génocide" par des instances politiques tels que gouvernements ou parlements sans que la contestation de la prise de position pour l’une ou l’autre des thèse puisse donner lieu à des sanctions pénales.
Le 28 février 2012, saisi par plusieurs députés et sénateurs de tous les groupes, les "Sages" français avaient invalidé la loi de censure arménienne votée le 23 janvier, estimant qu’elle portait "une atteinte inconstitutionnelle à l’exercice de la liberté d’expression et de communication".
François Hollande, alors candidat à la présidence de la République, avait promis une nouvelle loi sur le sujet, promesse qu’il a réitérée une fois élu en juillet 2012 aux organisations de lobbying arméniennes basées en France.
La décision de la Cour européenne des droits de l’homme, si elle devient définitive, devrait enterrer tout projet similaire.
La Suisse dispose d’un délai de trois mois pour faire appel.
Les événements de 1914-1922
Des affrontements inter-ethniques et des déplacements forcés de populations en Anatolie orientale, entre 1914 et 1922, ont fait plusieurs centaines de milliers de morts parmis les Turcs et les Arméniens. L’Empire ottoman était alors engagé dans la Première Guerre Mondiale aux côtés de l’Allemagne et de l’Empire Austro-Hongrois. Dès 1914, des Arméniens ottomans ont massivement pris le parti des Russes, contre les Turcs, se livrant à des massacres de masse et à des pillages dans l’est de l’Anatolie. A la suite de ces événements, le gouvernement ottoman décida d’éloigner une partie de la population arménienne des zones de front et à risque. Ce transfert se solda par un lourd bilan humain.
La Turquie et de nombreux historiens rejettent catégoriquement la thèse controversée d’un "génocide" que le gouvernement ottoman aurait perpétré contre la population arménienne de l’Empire. Cette thèse, défendue par les nationalistes arméniens, est aujourd’hui instrumentalisée afin d’exercer des pressions politiques sur la Turquie, notamment pour entraver la perspective de son adhésion à l’Union Européenne.
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