Je rédige ces lignes à la suite de ma visite de l’hôtel des Invalides samedi dernier. J’ai vu le maréchal Lyautey reposer sous le dôme des Invalides, non loin de Napoléon.
L’historien Maxime Gauin m’a rappelé le rôle joué par Lyautey dans le rapprochement franco-turc durant la guerre de libération nationale menée par Atatürk.

L’historien turc Fuat Pekin a d’ailleurs publié un ouvrage « 𝑨𝒕𝒂𝒕𝒖̈𝒓𝒌 𝒆𝒕 𝒍𝒆 𝒎𝒂𝒓𝒆́𝒄𝒉𝒂𝒍 𝑳𝒚𝒂𝒖𝒕𝒆𝒚 » (Nancy, Imprimerie G. Thomas, 1961, 40 pages.) À travers les lettres, les rapports, les déclarations multipliés des protagonistes, on découvre la contribution active du maréchal Lyautey –résident général de France au Maroc-, en faveur de la reconnaissance de la révolution kémalienne. Visionnaire, Lyautey réclame, dès le départ, un rapprochement de la France avec la Turquie de Mustafa Kemal Atatürk.
En 1920, Lyautey mesure les conséquences dévastatrices du traité de Sèvres, imposé à la Turquie : l’Empire ottoman est dépecé, de nombreux pays sont créés artificiellement en application des accords Sykes-Picot de 1916, la Turquie, amputée de larges parties de son territoire, est mise sous tutelle !
Les Turcs se révoltent sous la conduite de Mustafa Kemal, qui refuse le traité, va destituer le sultan, et installe sa capitale à Angora (future Ankara).
Le 21 décembre 1920, pour sauver l’amitié franco-turque et à travers elle l’amitié franco-arabe, Lyautey, envoie une lettre au président du Conseil, Georges Leygues. Il critique le fait que les lieux saints soient passés sous le contrôle d’un État vassal des Occidentaux, fait part de l’inquiétude que ce conflit a suscitée chez les Marocains et réclame qu’une paix véritable soit recherchée avec la Turquie, qui serait accueillie au Maroc avec un véritable soulagement.
Par l’intermédiaire d’une amie journaliste, Berthe Georges-Gaulis, le maréchal Lyautey entre en contact avec Mustafa Kemal Atatürk et tient le gouvernement français au courant de ces échanges. Il obtient d’Aristide Briand l’envoi d’une mission parlementaire à Ankara, conduite par Henri Franklin Bouillon. Cette mission propose 𝒒𝒖𝒆 𝒍𝒂 𝑭𝒓𝒂𝒏𝒄𝒆 𝒔𝒆 𝒓𝒆𝒕𝒊𝒓𝒆 𝒅𝒆 𝒍𝒂 𝒄𝒐𝒂𝒍𝒊𝒕𝒊𝒐𝒏 𝒅𝒆𝒔 𝒆𝒏𝒏𝒆𝒎𝒊𝒔 𝒅𝒆 𝒍𝒂 𝑻𝒖𝒓𝒒𝒖𝒊𝒆, 𝒄𝒐𝒏𝒔𝒊𝒅𝒆̀𝒓𝒆 𝒍𝒆 𝒕𝒓𝒂𝒊𝒕𝒆́ 𝒅𝒆 𝑺𝒆̀𝒗𝒓𝒆𝒔 𝒄𝒐𝒎𝒎𝒆 𝒏𝒖𝒍 𝒆𝒕 𝒏𝒐𝒏 𝒂𝒗𝒆𝒏𝒖, 𝒆𝒕 𝒂𝒄𝒄𝒐𝒓𝒅𝒆 𝒂𝒖 𝒑𝒆𝒖𝒑𝒍𝒆 𝒕𝒖𝒓𝒄 𝒖𝒏𝒆 𝒑𝒂𝒊𝒙 𝒆́𝒒𝒖𝒊𝒕𝒂𝒃𝒍𝒆 𝒆𝒕 𝒍’𝒊𝒏𝒅𝒆́𝒑𝒆𝒏𝒅𝒂𝒏𝒄𝒆.
La ratification de cet accord a lieu en octobre 1921. Le 25 décembre de la même année, Mustafa Kemal écrit à Lyautey :
« 𝑃𝑎𝑟𝑚𝑖 𝑐𝑒𝑢𝑥 𝑞𝑢𝑖, 𝑑𝑎𝑛𝑠 𝑢𝑛𝑒 𝑐𝑙𝑎𝑖𝑟𝑒 𝑣𝑖𝑠𝑖𝑜𝑛 𝑑𝑒𝑠 𝑖𝑛𝑡𝑒́𝑟𝑒̂𝑡𝑠 𝑠𝑢𝑝𝑒́𝑟𝑖𝑒𝑢𝑟𝑠 𝑑𝑒 𝑙𝑎 𝐹𝑟𝑎𝑛𝑐𝑒 𝑒𝑡 𝑑𝑒 𝑙𝑎 𝑠𝑖𝑡𝑢𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛 𝑞𝑢’𝑒𝑙𝑙𝑒 𝑜𝑐𝑐𝑢𝑝𝑒 𝑑𝑎𝑛𝑠 𝑙𝑎 𝑀𝑒́𝑑𝑖𝑡𝑒𝑟𝑟𝑎𝑛𝑒́𝑒, 𝑠𝑒 𝑠𝑜𝑛𝑡 𝑑𝑒́𝑐𝑙𝑎𝑟𝑒́𝑠 𝑝𝑜𝑢𝑟 𝑙𝑒 𝑚𝑎𝑖𝑛𝑡𝑖𝑒𝑛 𝑑𝑒 𝑙𝑎 𝑝𝑜𝑙𝑖𝑡𝑖𝑞𝑢𝑒 𝑡𝑟𝑎𝑑𝑖𝑡𝑖𝑜𝑛𝑛𝑒𝑙𝑙𝑒 𝑑𝑒 𝑙𝑎 𝐹𝑟𝑎𝑛𝑐𝑒 𝑎𝑢 𝑃𝑟𝑜𝑐ℎ𝑒-𝑂𝑟𝑖𝑒𝑛𝑡, 𝑉𝑜𝑡𝑟𝑒 𝐸𝑥𝑐𝑒𝑙𝑙𝑒𝑛𝑐𝑒 𝑓𝑖𝑔𝑢𝑟𝑒 𝑎𝑢 𝑝𝑟𝑒𝑚𝑖𝑒𝑟 𝑟𝑎𝑛𝑔 𝑒𝑡 𝑛𝑢𝑙 𝑛𝑒 𝑑𝑜𝑢𝑡𝑒 𝑞𝑢𝑒 𝑣𝑜𝑡𝑟𝑒 ℎ𝑎𝑢𝑡𝑒 𝑖𝑛𝑡𝑒𝑟𝑣𝑒𝑛𝑡𝑖𝑜𝑛 𝑎𝑖𝑡 𝑓𝑎𝑖𝑡 𝑝𝑒𝑛𝑐ℎ𝑒𝑟 𝑙𝑎 𝑏𝑎𝑙𝑎𝑛𝑐𝑒 𝑑𝑎𝑛𝑠 𝑐𝑒 𝑠𝑒𝑛𝑠. »
Merci à Maxime Gauin pour sa précieuse contribution à ce texte qui souligne, une nouvelle fois, le lien historique fort et stratégique entre la France et la Turquie, né grâce à Soliman le Magnifique et François Ier, mais qui ne cesse de s’étioler depuis Valéry Giscard d’Estaing. Aujourd’hui, les Français d’origine turque et les amis de la Turquie déplorent l’incompréhension mutuelle et les turpitudes des dirigeants dans l’état affligeant des relations franco-turques.
Özcan Türk