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Allégation Armèniennes et faits historiques

QUESTIONS ET REPONSES


Histoire

Les turcs ont-ils vraiment tenté de massacrer les arméniens à partir de 1890 ?

Publié le | par Hakan | Nombre de visite 111
Les turcs ont-ils vraiment tenté de massacrer les arméniens à partir de 1890 ?

On fait généralement remonter ce qu’on appelle "le problème arménien" à la seconde moitié du XIXe siècle. On peut aisément voir dans la guerre russo-turque (1877 -1878) et le congrès de Berlin () qui y met fin, le moment où cette question devient un problème européen. Mais pour en découvrir la véritable origine, il faut en fait remonter aux activités des Russes en Orient à partir de .

La Russie tsariste se lança alors dans une grande politique d’expansion à travers l’Asie centrale et fut ainsi amenée à renverser des Khanats turcs importants dans l’élan qui l’emportait vers les frontières de la Chine et l’Océan Pacifique. À la même époque, les ambitions impérialistes russes se tournèrent vers le sud avec lequel les tsars cherchaient à s’assurer le contrôle de territoires ottomans pour ouvrir à leur Empire continental un accès à la Méditerranée et aux autres mers "chaudes".

Un élément essentiel à la réalisation de cette ambition fut pour les Russes d’ébranler de l’intérieur la puissance ottomane en encourageant les ambitions nationalistes des populations chrétiennes gouvernées par le sultan et plus particulièrement de celles avec lesquelles elle partageait un héritage religieux orthodoxe commun, i.e. les Grecs et les Slaves dans les Balkans et les Arméniens.

Alors que des agents russes entretenaient les feux de la révolution grecque et provoquaient l’éveil du panslavisme en Serbie et en Bulgarie, d’autres travaillaient dans le Caucase à établir l’influence russe sur le Catholicos de l’Eglise arménienne grégorienne d’Etchmiadzine avec laquelle la plupart des Ottomans grégoriens entretenaient des liens sentimentaux très forts.
En s’appuyant sur sa jalousie à l’égard du Patriarche d’Istanbul, les Russes obtinrent l’appui du Catholicos au point qu’il dirigea en personne une force de 60.000 Arméniens qui vint en aide à l’armée russe opposée à l’Iran dans le Caucase (1827 -1828).

À cette occasion, les Russes annexèrent là presque totalité des territoires iraniens dans cette région, y compris ceux où vivaient les Arméniens. Cette présence le long des frontières de l’Anatolie orientale, combinée à l’appui du Catholicos, permit aux Russes d’accroître leur influence sur les Arméniens de l’Empire ottoman, d’autant plus que, finissant par céder à des pressions russes à Istanbul, le Patriarche ajouta en le nom du Catholicos à ses prières quotidiennes, accordant ainsi à ce dernier un ascendant supplémentaire.

La plupart des Arméniens ottomans étaient cependant trop satisfaits de leur sort pour être sérieusement affectés par la propagande russe, mais ceux qui le furent émigré en Arménie russe pour se joindre aux attaques dirigées contre la puissance et la stabilité ottomanes. Les terres qu’ils abandonnèrent alors furent redistribuées aux réfugiés musulmans qui se repliaient en masse sur l’Empire, fuyant les persécutions en Russie et en Europe orientale. Ce fut là l’origine de sérieux conflits de propriété lorsque beaucoup de ces émigrants ou leurs descendants, mécontents de la vie en Russie, cherchèrent à se rétablir dans l’Empire Ottoman au cours des vingt dernières années du XIXe siècle.

Les Russes ne furent pas les seuls à vouloir protéger les chrétiens ottomans. L’Angleterre et la France patronnèrent des activités missionnaires qui aboutirent à la conversion, respectivement au protestantisme et au catholicisme, de nombreux Arméniens et à la création en de l’Église arménienne catholique à Istanbul, puis de l’Église réformée en .

Cependant, ces nouveaux faits sont sans lien direct avec le développement du "problème arménien" si ce n’est comme indices du mécontentement qui allait croissant à l’intérieur de l’église grégorienne, mécontentement dont les Russes essayaient de tirer profit.

D’un autre côte, la Charte ottomane de joua un rôle capital. Tout en préservant l’existence des différentes communautés et des Églises et institutions qu’elles entretenaient, le gouvernement ottoman accordait dès lors l’égalité des droits et obligations à tous ses sujets, quelle que fût leur religion, cherchant en même temps à éliminer tous les privilèges spéciaux ou distinctions basées sur les croyances, et demandait aux communautés de réviser leurs propres législations dans cette perspective. En ce qui concerne plus particulièrement les Arméniens, cette décision aboutit au "Code de la communauté arménienne", rédigé par le Patriarche et mis en application par le gouvernement ottoman le 29 mars . D’une importance particulière, ce nouveau règlement plaçait la communauté arménienne sous l’autorité d’un Conseil de 140 membres, tous arméniens, dont 20 prêtres du patriarcat d’Istanbul, 80 représentants laïques provenant d’Istanbul et 40 membres provenant des provinces.

La Charte de éveilla l’intérêt de l’Angleterre et de la France pour les Arméniens et, du même coup, accrût celui des Russes pour ce même groupe ethnique. Cette attention devait plus aux intérêts impérialistes de ces nations qu’à une affection spéciale pour les Arméniens. En vue d’ébranler et de détruire l’État ottoman, la Russie essaya dès lors d’obtenir le concours des Arméniens en leur promettant de créer en Anatolie orientale une "Grande Arménie" qui devait comprendre plus de territoires entre la mer Noire et la Méditerranée que les Arméniens n’en avaient jamais occupé dans toute leur histoire.

C’est dans ce contexte que la guerre russo-turque (1877-1878) éveilla les rêves d’indépendance des Arméniens grâce à l’aide et aux conseils prodigués par les Russes. Vers la fin de la guerre, le Patriarche arménien d’Istanbul, Nerses Varjabedian prit contact avec le tsar par l’intermédiaire du Catholicos d’Etchmiadzine et lui demanda de ne pas rendre aux Ottomans "les territoires d’Arménie orientale" occupés par les forces russes. Immédiatement après la guerre, il se rendit dans le camp russe à San Stéfano, aux abords immédiats d’Istanbul, et dans un entretien avec le commandant-en-chef, le Grand-duc Nicholas, lui suggéra d’annexer à la Russie la totalité de l’Anatolie orientale et d’y créer un État arménien autonome jouissant d’un régime très proche de celui déjà accordé à la Bulgarie. Au cas où cela se révélerait impossible et où il faudrait rendre aux Ottomans les territoires en question, il demandait que les troupes russes fussent maintenues sur place jusqu’à l’introduction de mesures favorables aux Arméniens dans l’organisation et la législation de ces provinces. [1] Les Russes donnèrent leur aval à cette dernière proposition qui fut incluse dans le traité de San Stéfano (art. 16).

De plus, tandis que les négociations étaient encore en cours, les officiers arméniens de l’armée russe se dépensaient sans compter pour fomenter le mécontentement chez les Ottomans arméniens, les encourageant à agir pour obtenir "le même genre d’indépendance acquise par les chrétiens des Balkans." Ce message eut une influence considérable sur les Arméniens de l’Anatolie orientale, même longtemps après le retrait des forces russes.

Cependant, le traité de San Stéfano ne constitua pas le point final de la guerre russo-turque. La Grande-Bretagne craignait à juste titre que les clauses relatives à la création d’une "Grande Arménie" dans l’est ne fussent la base d’une hégémonie russe, non seulement dans ces régions, mais aussi dans l’Empire ottoman tout entier. Bien plus, de la "Grande Arménie", cette hégémonie risquait de s’étendre jusqu’au golfe Persique et à l’Océan Indien où les Russes pourraient aisément menacer les possessions britanniques aux Indes. En échange de la signature d’un accord avec les Ottomans, autorisant les Britanniques à occuper l’île de Chypre pour leur permettre de contrer d’éventuelles menaces russes sur l’Anatolie orientale, la Grande-Bretagne accepta de faire usage de son influence en Europe pour remettre en question les dispositions de San Stéfano.

C’est dans ce but que fut organisé le Congrès de Berlin. Il eut pour résultat d’obliger la Russie à évacuer toute l’Anatolie orientale à l’exception des régions de Kars, Ardahan et Batoum, tandis que les Ottomans s’engageaient à introduire des "réformes" sous la garantie des cinq Puissances européennes signataires dans les provinces de l’est avec lequel les Arméniens vivaient.

C’est à partir de cette époque que l’Angleterre en vint à considérer le "problème arménien" comme son domaine réservé et à intervenir régulièrement pour s’assurer d’une solution conforme à ses propres vues.

Une délégation envoyée par le Patriarcat d’Istanbul assista au Congrès de Berlin mais elle ressentit une telle déconvenue devant le traité final et devant le rejet de ses propres propositions par les Puissances qu’elle regagna Istanbul avec le sentiment que "rien ne serait résolu sans recours à la lutte et à la révolution." [2]
La Russie, de son côté, quittait le Congrès sans avoir atteint ses objectifs principaux et contrainte de laisser la Grèce et la Bulgarie sous l’influence britannique. Avec une vigueur accrue, elle renouvela donc ses efforts pour obtenir le contrôle de l’Anatolie orientale en s’appuyant une fois de plus sur les Arméniens.

Mais elle se heurtait désormais aux Britanniques qui cherchaient eux aussi à influencer les Arméniens et à les utiliser en jouant sur leurs ambitions nationales, encore qu’à ce point de vue, selon l’écrivain français René Pinon connu en fait pour ses opinions pro-arméniennes : "l’Arménie entre les mains des Britanniques deviendrait un bastion avancé s’opposant à l’expansion russe." Quelle que fut l’influence, les Arméniens étaient en fait devenus des pions que les ambitions impérialistes manoeuvraient aux dépens des Ottomans.

C’était le Premier ministre Benjamin Disraeli et les Conservateurs qui avaient défendu l’intégrité de l’Empire ottoman contre l’expansionnisme russe au Congrès de Berlin. Mais avec la venue au pouvoir de William E. Gladstone et des Libéraux en 1880, la politique britannique se modifia du tout au tout, visant toujours à protéger les intérêts britanniques mais cette fois en démembrant l’Empire ottoman et en créant à sa place de petits Etats amis dont l’Arménie.

Conformément à cette politique, la presse britannique fut encouragée à ne mentionner l’Anatolie orientale que sous le nom d’Arménie ; des consulats britanniques furent ouverts dans toute la région pour permettre des contacts plus soutenus avec la population chrétienne locale ; on augmenta le nombre de missionnaires protestants envoyés à l’Est ; on mit sur pied un Comité d’Amitié anglo-arménienne pour influencer l’opinion publique en faveur de cette nouvelle orientation.

La façon dont la Russie et la Grande-Bretagne manipulèrent les Arméniens à leur propre avantage est fort bien illustrée par de nombreux textes arméniens ou étrangers dont nous ne citerons que quelques exemples. L’ambassadeur français à Istanbul, PauLCambon, informait ainsi le Quai d’Orsay en  : "Gladstone organise les Arméniens mécontents, leur inculque le sens de la discipline et leur promet de l’aide ; il en envoie plusieurs à Londres dans le cadre du comité de propagande." Edgar Granville, quant à lui, disait : "il n’y avait pas de mouvement arménien dans les territoires ottomans avant l’intervention des Russes. Des innocents vont souffrir à cause de ce rêve d’une Grande Arménie sous la protection du tsar" et "Les mouvements arméniens entendent rattacher l’Anatolie orientale à la Russie." L’écrivain arménien Kaprielian déclarait fièrement dans son livre La Crise arménienne et La Renaissance : "nous devons les promesses et les inspirations révolutionnaires à la Russie."

Le journal dachnak Hairenik affirmait dans son numéro du que "l’éveil d’un état d’esprit révolutionnaire chez les Arméniens turcs résultait des stimulations russes." Le Patriarche arménien Khoren Achikian écrivait dans son Histoire de l’Arménie : "Les missionnaires protestants dispersés en grand nombre un peu partout à travers la Turquie faisaient de la propagande pour l’Angleterre et encourageaient les Arméniens à demander l’autonomie sous protection britannique. Les écoles qu’ils fondèrent furent les couveuses de leurs plans secrets." Et le chef religieux Hrant Vartabed écrivait :
"L’établissement en territoire ottoman de communautés protestantes protégées par le Grande-Bretagne et les Etats-Unis montre que ces nations n’eurent pas peur d’exploiter jusqu’aux sentiments les plus sacrés de l’Occident, les sentiments religieux, en quête de civilisation", ajoutant que le Catholicos d’Etchmiadzine Kevork V n’était qu’un instrument de la Russie et qu’il trahissait les Arméniens d’Anatolie. [3]

Conformément à ces orientations, à partir de , un certain nombre de sociétés révolutionnaires arméniennes furent créées en Anatolie de l’Est, entre autres la Croix noire et la Société Armenekan à Van et les Gardes nationaux à Erzurum. Cependant, ces sociétés n’eurent guère d’influence à l’intérieur du pays étant donné que les Arméniens vivaient encore dans la paix et la prospérité et n’avaient pas de griefs véritables à rencontre de l’administration ottomane. Avec le temps, donc, elles perdirent leur vitalité et cessèrent pratiquement de fonctionner. Les nationalistes décidèrent en conséquence de déplacer le centre de leurs organisations à l’extérieur de l’Empire : le comité Hintchak vit le jour à Genève en 1887 et le comité Dachnak à Tiflis en . Tous deux déclaraient que leur but fondamental était de "libérer l’Anatolie orientale et les Arméniens du joug ottoman."

Louise Nalbandian, universitaire arménienne bien connue dont les travaux s’inscrivent dans le cadre de la propagande arménienne, expose ainsi le programme Hintchak :

"L’agitation et la terreur étaient nécessaires pour exalter l’esprit du peuple. II fallait aussi exciter la population contre ses ennemis et mettre à profit les représailles de ces derniers. La terreur devait servir à la fois à protéger le peuple et à le gagner au programme Hintchak. Le but du parti était de terroriser le gouvernement ottoman afin d’abaisser le prestige du régime et de hâter sa désintégration. Le gouvernement ne devait d’ailleurs pas être la seule cible de cette tactique : les Hintchaks voulaient aussi se débarrasser des individus les plus dangereux, Turcs ou Arméniens, qui servaient le gouvernement et liquider tous les espions ou mouchards. Afin de les y aider, le parti décidait d’organiser une branche spéciale exclusivement consacrée aux menées terroristes. Le moment le plus opportun pour déclencher le soulèvement général qui verrait la réalisation des objectifs immédiats devait être le moment où la Turquie serait engagée dans la guerre." [4]

De son côté, K. S. Papazian écrit au sujet de la société Dachnak :

"Le but de la Fédération révolutionnaire arménienne (Dachnak) est d’instituer la liberté politique et économique de l’Arménie turque par l’insurrection ... le terrorisme a été adopté dès les premières heures, comme une politique ou une méthode susceptible d’amener la réalisation des buts fixés. Dans le programme adopté en , nous lisons ce qui suit sous le titre "Moyens" : La Fédération révolutionnaire arménienne organise des groupes révolutionnaires afin d’atteindre ses objectifs par l’insurrection ... La méthode no 8 est définie ainsi : Mener la guerre, terroriser les personnalités gouvernementales et les traîtres .. et, la méthode noll : Détruire et piller les institutions gouvernementales." [5]

Un des fondateurs et idéologues du parti Dachnak, le Dr. Jean Loris-Mélikoff, écrivait :

"La vérité, c’est que le parti (le comité Dachnak) était dirigé par une oligarchie qui faisait passer ses intérêts particuliers avant les intérêts du peuple et de la nation ... Les Dachnaks firent des collectes auprès des bourgeois et des grands commerçants ; quand ces ressources furent épuisées, ils eurent finalement recours au terrorisme, suivant en cela, le précepte des révolutionnaires russes selon lequel la fin justifie les moyens." [6]

La même politique était décrite par l’idéologue Dachnak, Varandian dans son ouvrage History of the Dashnagtzoutune (Paris, 1932).
Les auteurs arméniens ont donc reconnu de leur propre chef que le but de leurs sociétés révolutionnaires était de fomenter un soulèvement général, et ce, en utilisant la terreur. Elles ne tardèrent pas à mettre à exécution ce programme et provoquèrent plusieurs émeutes en peu de temps, les partisans Hintchaks prenant l’initiative, suivis par les Dachnaks, mais l’action étant à chaque fois conçue et organisée à l’extérieur avant d’être perpétrée à l’intérieur des frontières ottomanes.

Le premier soulèvement eut lieu à Erzurum en . Il fut suivi la même année par les émeutes de Koumkapi à Istanbul, puis par celles de Kayseri, Yozgat, Çorum et Merzifon en 1892 -1893, de Sassoun en , par la révolte de Zeytoun et le coup de main sur la Sublime Porte en , la révolte de Van et l’occupation de la Banque ottomane à Istanbul en , la seconde émeute de Sassoun en , la tentative d’assassinat du sultan Abdulhamid II en , et la révolte d’Adana en . Les sociétés révolutionnaires arméniennes basées en Europe et en Amérique décrirent toutes ces révoltes et émeutes comme des massacres d’Arméniens par dés Turcs et ce genre de propagande provoqua une émotion considérable dans les populations chrétiennes. Les missionnaires et les autorités consulaires représentant les Puissances en Anatolie jouèrent un rôle capital dans la diffusion de cette propagande à travers la presse, servant ainsi les intentions des gouvernements occidentaux qui désiraient monter l’opinion publique contre les musulmans et les Turcs afin de pouvoir démembrer plus facilement l’Empire ottoman.

Il y eut cependant beaucoup de représentants diplomatiques et consulaires qui rapportèrent honnêtement ce qui se passait vraiment, à savoir que ces révoltes, ces massacres, ces tueries étaient le fait des sociétés révolutionnaires arméniennes qui espéraient bénéficier d’une intervention européenne.

En , l’ambassadeur britannique à Istanbul rapporte des propos que le Patriarche arménien lui a tenus :

"Si une révolution ’ist nécessaire pour attirer l’attention de l’Europe et provoquer son intervention, il n’est pas difficile d’en déclencher une." [7]

Le , l’ambassadeur britannique, Currie, informait le Foreign Office :

"Le but des révolutionnaires arméniens est de fomenter des émeutes, d’amener d’abord les Ottomans à réagir à leur violence et de pousser ensuite les puissances étrangères à intervenir." [8]

Le , le consul britannique à Erzurum, Graves, écrivait dans un rapport à son ambassade à Istanbul :

"Les buts des comités révolutionnaires sont de susciter le_ mécontentement général et d’obliger le gouvernement turc et la population à des réactions violentes, qui attireraient l’attention des nations étrangères sur les souffrances fictives des Arméniens et les pousseraient à intervenir pour remédier à la situation." [9]

A la question de Sydney Whitman, reporter du New York Herald, "Si les révolutionnaires arméniens n’étaient pas intervenus dans ce pays, s’ils n’avaient pas provoqué de révoltes, ces affrontements auraient-ils lieu ", c’est encore Graves qui répondit :
"Bien sûr que non. Je ne pense pas qu’un seul Arménien aurait été tué." [10]
Le vice-consul britannique en poste à Van écrivait le  :
"Les Dachnaks et les Hintchaks ont terrorisé leurs propres compatriotes, ils ont exaspéré les populations musulmanes par des vols et des actions insensées ; ils ont paralysé tous les efforts pour mettre en oeuvre des réformes ; tous les événements en Anatolie ont pour cause les crimes commis par les comités révolutionnaires arméniens." [11]

Le consul général britannique à Adana, Doughty Wily, écrivait en  :
"Les Arméniens recherchent une intervention étrangère." [12]
tandis que le consul - général russe à Bitlis et à Van, le général Mayewski, rapportait en 1912 :
"En 1895 et 1896, les comités révolutionnaires arméniens ont créé une telle suspicion entre les populations locales et les Arméniens qu’il est devenu impossible d’appliquer la moindre réforme dans ces régions. Les prêtres arméniens, au lieu de s’attacher à l’éducation religieuse, ont préféré répandre des idées nationalistes en les affichant sur les murs des monastères et, au lieu de remplir leurs tâches religieuses, ont soulevé les chrétiens contre les musulmans. Les révoltes qui eurent lieu en 1895 et 1896 dans plusieurs provinces turques ne furent provoquées ni par quelque pauvreté extrême des villageois arméniens, ni par des attaques musulmanes. En fait, ces villageois étaient considérablement plus riches et plus prospères que leurs voisins turcs.

Ces révoltes survinrent pour trois raisons :
1. La maturité politique croissante des Arméniens.
2. La diffusion des idées de libération, de nationalisme et d’indépendance dans la population.
3. L’appui apporté par les gouvernements occidentaux à ces idées qu’encourageaient par ailleurs les prêtres.
" [13]
Dans un autre rapport, Mayewski écrivait en  :
"La société révolutionnaire Dachnak s’efforce de faire naître une situation où musulmans et Arméniens s’entre-tueront, permettant ainsi aux Russes d’intervenir. " [14]
Enfin, l’idéologue Dachnak, Varandian admet que son parti "voulait entraîner une intervention européenne" [15] tandis que Papazian affirme que "le but de ces émeutes était de s’assurer que les puissances européennes interviendraient dans les affaires intérieures ottomanes." [16]

Lors de chacune des révoltes armées, les comités révolutionnaires arméniens ont toujours proclamé qu’une intervention européenne était imminente. Certains membres des comités en étaient même persuadés. Lors de l’occupation de la Banque ottomane à Istanbul, le terroriste arménien Armen Aknomi se suicida après avoir effectivement attendu en vain l’arrivée de la flotte britannique. On voit donc qu’à l’origine des émeutes, il n’y a ni pauvreté, ni oppression, ni désir de réforme, mais plutôt une volonté conjointe de la part des comités révolutionnaires arméniens et de l’Eglise arménienne, en connivence avec les puissances occidentales et la Russie, pour créer une situation favorable au démembrement de l’Empire ottoman.

En réponse à ces révoltes, les Ottomans réagirent comme les autres Etats en pareilles circonstances : ils envoyèrent des troupes contre les rebelles pour rétablir l’ordre et, la plupart du temps, y parvinrent rapidement car seule une minorité de la population arménienne appuyait ou aidait les insurgés et les sociétés révolutionnaires.

Cependant en Europe, la presse et le public, que les récits diffusés par les missionnaires et les sociétés révolutionnaires avaient profondément émus, considéraient ces opérations de maintien de l’ordre comme autant de massacres de chrétiens, négligeant les milliers de musulmans sacrifiés et ne tenant compte de façon quasi - automatique, que des doléances des populations chrétiennes.

Très souvent, les nations européennes intervinrent non seulement pour empêcher les Ottomans de rétablir l’ordre mais pour obtenir la libération de plusieurs terroristes capturés, en particulier de ceux qui avaient été impliqués dans le soulèvement de Zeytoun, l’occupation de la Banque ottomane et l’attentat contre le sultan Abdulhamid.

Si la plupart d’entre eux furent expulsés de l’Empire ottoman grâce à l’entremise de leurs protecteurs européens, ils ne tardèrent pas à s’y réintroduire après s’être procuré de faux passeports et documents pour y reprendre leurs activités terroristes. Quelles que pussent être les prétentions des sociétés révolutionnaires arméniennes et les ambitions des puissances impérialistes de l’Europe, il y avait un fait essentiel qui ne pouvait être négligé. Les Arméniens ne constituaient qu’une infime minorité de la population des territoires revendiqués en leur nom, à savoir les six provinces de l’Est censées représenter "l’Arménie historique" (Erzurum, Bitlis, Van, Elazığ, Diyarbakir et Sivas), les deux provinces baptisées pour la circonstance "Cilicie arménienne" (Alep et Adana) et enfin la région de Trabzon qui fut réclamée ultérieurement pour assurer un débouché sur la Mer Noire. Même le Livre Jaune français, qui de tous les ouvrages de référence occidentaux, faisait la part la plus belle aux Arméniens, ne leur accordait qu’une minorité démographique, pour appréciable qu’elle fût :

Population total Population Arménienne Grégorienne Pourcentage de la Population Arménienne
Erzurum 645.702 134.967 20.90
Bitlis 398.625 131.390 32.96
Van 430.000 80.798 18.79
Elazığ 578.814 69.718 12.04
Diyarbakir 471.462 79.129 16.78
Sivas 1.086.015 170.433 15.68
Adana 403.539 97.450 24.14
Alep 995.758 37.999 3.81
Trabzon 1.047.700 47.200 4.50

Ainsi, même dans l’hypothèse la plus favorable, les Arméniens ne représentaient qu’un tiers de la population de ces régions. Selon l’Encyclopedia Britannica de , les Arméniens ne formaient que 15 % de la population totale de ces territoires, ce qui rendait fort improbable toute indépendance, sans l’aide étrangère massive qui eût été nécessaire pour refouler les majorités turques et les remplacer par des immigrants arméniens.

La Russie n’utilisait en fait les Arméniens qu’à ses propres fins. Elle n’avait pas vraiment l’intention d’édifier un Etat indépendant arménien, que ce fût à l’intérieur de ses frontières ou même sur le territoire ottoman.

A peine les Russes eurent ils occupé le Caucase qu’ils adoptèrent d’ailleurs une politique de russification des Arméniens tout en prenant le contrôle de l’Eglise grégorienne arménienne dans leur propre pays. En vertu de la loi de Polijenia (1836), les pouvoirs et les tâches du Catholicos d’Etchmiadzine furent limités et sa nomination confiée au tsar. En , tous les journaux et toutes les écoles de langue arménienne de l’Empire russe furent fermés et, en , l’Etat prit le contrôle direct de toutes les ressources financières de l’Eglise arménienne ainsi que des établissements et des écoles.

A la même époque, le ministre russe des Affaires étrangères, Lobanov-Rostowsky, lançait son fameux slogan "Une Arménie sans Arméniens", slogan qui, ces dernières années, a été délibérément attribué à l’administration ottomane par certains propagandistes et auteurs arméniens. Quelles qu’aient pu en être les raisons, l’oppression des Arméniens par les Russes fut draconienne. L’historien Vartanian estime dans son Histoire du mouvement arménien que "l’Arménie ottomane, en comparaison avec l’Arménie des tsars, jouissait d’une entière liberté dans ses traditions, sa religion, sa culture et sa langue". Edgar Granville écrit de son côté : "l’Empire ottoman était le seul abri des Arméniens contre l’oppression russe".

Que la manipulation des Arméniens par les Russes ait eu pour but d’annexer l’Anatolie orientale et non de créer une Arménie indépendante est amplement démontré par ce qui se passa pendant la Première guerre mondiale. Dans les accords secrets passés entre les puissances de l’Entente pour partager l’Empire ottoman, le territoire que les Russes avaient promis aux candidats à l’autonomie et à l’indépendance fut purement et simplement divisé entré la Russie et la France, sans même que les Arméniens fussent mentionnés, et le tsar répondit simplement aux protestations du Catholicos d’Etchmiadzine que la Russie n’avait pas de problème arménien.

"La Russie tsariste n’a jamais envisagé de patronner l’autonomie arménienne. C’est pourquoi on ne peut considérer les Arméniens qui travaillaient dans ce cadre que comme des agents du tsar qui travaillaient en réalité à rattacher l’Anatolie orientale à la Russie. "

Telle est la conclusion que tire l’écrivain arménien Borian. Pendant toutes ces années, les Russes ont donc trompé les Arméniens et ceux-ci n’en ont rien tiré que des songes creux.


[1URAS, Esat ; op. cit., pp. 212 - 215.

[2URAS, Esat ; op. cit., pp. 250 - 251.

[3SCHEMSI, Kara ; op. cit., pp. 20 - 21.

[4NALBANDIAN, Louise ; Armenian Revolutionary Movement, University of California Press , 1963, pp. 10-111.

[5PAPAZIAN, K. S. ; Patriotism Perverted, Boston, Baker Press, 1934, pp. 14 -15.

[6LORIS-MELIKOFF, Dr. Jean ; La Révolution Russe et les Nouvelles Républiques Transcaucasiennes, Paris, 1920, p. 81.

[7URAS, Esat ; op. cit., p. 188.

[8Le Livre Bleu Britannique, No. 6 (1894) ; p. 57.

[9Le Livre Bleu Britannique, No. 6 (1894), p. 222 - 223.

[10URAS, Esat ; op. cit., p. 426.

[11Le Livre Bleu Britannique, No. 8 (1896), p.108.

[12SCHEMSI, Kara ; op. cit., p. 11.

[13Général MAYEWSKI ; Statistique des Provinces de Van et de Bitlis, pp. 11-13. Petersburg 1916.

[14SCHEMSI, Kara ; op. cit., p. 11.

[15VARANDIAN, Mikayel ; History of the Dashnagtzoutune, Paris, 1932, p. 302.

[16PAPAZIAN, K. S. ; op. cit., p. 19.

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