Turquie/Arménie/Terrorisme
La politique du pire menée par les comités arméniens
Nous soumettons à nos lecteurs la traduction d’extraits d’un livre publié par William Leonard Langer (1896-1977), qui fut maître de conférences (1925-1936) puis professeur (1936-1942 ; 1952-1977) d’histoire contemporaine à l’université de Harvard, analyste en chef (1942-1945) pour l’Office of Strategic Services (OSS), directeur adjoint de la CIA (1950-1952), directeur du département d’histoire de Harvard, président de l’American Historical Association (1957) et docteur honoris causa et des universités de Yale et Hamburg (1955). William Langer a aussi reçu le prix Brancorft, décerné par l’université de Columbia (New York), en 1954.
« Les ambassadeurs à Istanbul ne mirent pas longtemps à suivre le développement de cette agitation. Dès 1888, le représentant anglais rapporta la présence de révolutionnaires [arméniens] et la saisie d’écrits séditieux. Des affiches révolutionnaires furent placardées dans les villes, et de nombreux Arméniens riches furent soumis au chantage, forcés de contribuer financièrement à la cause [nationaliste].
Les Européens présents en Turquie s’accordaient à dire que le but immédiat des agitateurs était de mettre du désordre, de susciter des représailles inhumaines, et ainsi de provoquer l’intervention des puissances. Pour cette raison, disait-on, ils opéraient dans de préférence dans des régions où les Arméniens étaient une minorité sans espoir, et où les représailles seraient certaines. Un des révolutionnaires dit au Dr Hamlin, fondateur du Robert College, que les bandes hintchakistes attendaient l’occasion propice pour se jeter sur les Turcs et les Kurdes, les tuer, incendier leurs villages et s’enfuir ensuite dans les montagnes. Mis en rage, les musulmans fondraient alors sur les Arméniens sans défense et les massacreraient avec une telle barbarie que la Russie envahirait le pays au nom de l’humanité et de la civilisation chrétienne et en prendrait possession. Quand le missionnaire horrifié s’écria que ce projet était le plus atroce et le plus infernal qui ne se fût jamais vu, la réponse fut : “Assurément, cela peut vous paraître ainsi, mais nous, les Arméniens, nous sommes décidés à conquérir notre liberté. C’est parce qu’elle a entendu parler des atrocités bulgares que l’Europe a libéré la Bulgarie. Quand des millions de femmes et d’enfants auront fait entendre leurs plaintes et versé leur sang, elle finira par entendre aussi notre cri... Nous sommes désespérés. Nous allons le faire.”
Les troubles sérieux commencèrent en 1890, à Erzurum, et du sang fut versé. […]
Il n’est pas nécessaire d’avoir une vive imagination pour se figurer la réaction des Turcs face à l’agitation des révolutionnaires. Ils avaient constamment à l’esprit, sinon la révolte des Grecs, du moins l’insurrection [de 1876] en Bulgarie et la désastreuse intervention de la Russie et autres grandes puissances. […]
Ceci, au moins, ne peut pas être nié : les révolutionnaires préparaient une grande conflagration, et qu’ils suscitaient beaucoup d’inquiétude de la part du sultan et de ses ministres. […] Nul ne pourrait blâmer le gouvernement [ottoman] pour avoir anticipé de grands troubles, et pour avoir pris ses précautions. Probablement pour contrecarrer les efforts entrepris afin de rallier les Kurdes au mouvement [révolutionnaire arménien], le sultan organisa, en 1891, les tribus dans les fameux régiments Hamidié, sur le modèle des brigades russes de Cosaques, et qui devaient théoriquement servir à la défense des frontières. […] S’installant à partir de 1892, les régiments Hamidié, quelquefois aidés par des troupes régulières, commencèrent à attaquer les établissements arméniens, à brûler les maisons, à détruire les cultures et à s’en prendre aux habitants.
Et ainsi les révolutionnaires commencèrent à obtenir ce qu’ils désiraient : des représailles. Cela n’avait aucune importance, pour eux, que des gens parfaitement innocents souffrissent ainsi, pour la réalisation d’un programme décidé par un groupe installé à Genève ou Athènes, un groupe qui n’avait jamais reçu aucun mandat de la communauté arménienne. […] Hogarth parle de certains Arméniens, dans les provinces [anatoliennes], qui ont qu’ils souhaitaient que les patriotes les laissent seuls. Mais ce gens-là ne furent jamais consultés. Qu’ils le veuillent ou non, ils étaient destinés par d’autres à être sacrifiés ; leurs vies étaient le prix à payer pour la réalisation de l’État national-socialiste fantasmé par les fanatiques. »
William L. Langer, The Diplomacy of Imperialism. 1890-1902, New York, Alfred A. Knopf, 1960, pp. 157-160 (1re édition, 1935).