Turquie News vous soumet la traduction d’un éditorial de Mehmet Ögütçü publié dans le quotidien Zaman en date du 3 octobre 2007.
Ögütçü reprend point par point les thèses et demandes des nationalistes arméniens et y répond avec objectivité.
Nous vous souhaitons bonne lecture.
Par Mehmet Ögütçü
Laissons de côte pour l’instant les discussions interminables sur la façon de résoudre les longs conflits caucasiens en Ossétie, Abkhazie et Haut-Karabakh, pour se concentrer sur un sujet ‘brûlant’ que nous avons abordé pendant une session informelle Turco-Arménienne avec quelques fractions arméniennes influentes. J’éviterai de les nommer sans permission, conformément aux règles de la Chambre de Chatham. Leurs points de vues sont en italiques et mes propres réponses précédés d’un point :
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Cette fois il semble que la motion sur le génocide arménien est en passe d’être adoptée par le Congrès américain. Vous vous rendez compte que les implications d’une telle résolution pour la Turquie seront plus vastes et plus sérieuses que les motions adoptées par les Parlements brésiliens, polonais et autres. Si l’adoption de ce texte n’est pas empêchée et que la Turquie persiste dans son intransigeance, vous devez vous attendre à ce que l’Arménie et notre Diaspora présentent de nouvelles demandes. En un mot, le geste de reconnaître diplomatiquement l’Arménie, d’ouvrir les frontières et de lever l’embargo ont contribué à l’élaboration de la motion au Congrès et à la création d’un environnement favorisant le dialogue sur d’autres questions.
J’ai peur qu’avec une telle tactique on obtienne seulement l’effet inverse. Ankara ne peut pas accepter naïvement ce que vous énoncez. Le texte sur le « génocide » arménien a été longtemps utilisé comme moyen de pression sur la Turquie. Même si l’adoption d’une telle motion puisse être, d’une façon ou autre, empêchée cette année, nous savons qu’elle réapparaîtra sur l’ordre du jour l’année prochaine et comportera d’autres concessions. Par conséquent, le but ne devrait pas être de sauver un jour ; il devrait être de réaliser une véritable réconciliation et une paix historique pour les générations actuelles et futures de notre région. La seule chose qui maintienne la Diaspora soudée est ses efforts inlassables d’obtenir la reconnaissance internationale du « génocide » arménien et de mettre en avant les étapes suivantes liées à une telle reconnaissance. Pour cette raison, je ne crois pas personnellement que la Diaspora abandonnera son approche coutumière. La Diaspora arménienne n’a aucune intention de quitter Chicago, Marseille ou Beyrouth pour retourner dans sa patrie. Ils jouissent souvent de vies confortables dans leurs pays d’adoption. La nouvelle génération diasporique n’a aucun lien organique avec l’Arménie d’aujourd’hui, qui souffre de conditions graves et doit subir les répercussions de leur politique.
Réellement, la Turquie a échoué dans sa politique pour reconnaître l’Arménie et la Diaspora arménienne. Notre géographie nous rend dépendant l’un de l’autre. Le degré de dépendance est beaucoup plus élevé pour l’Arménie que pour nous. Les Turcs sont profondément préoccupés par les réclamations qui suivront la reconnaissance du « génocide », ainsi que l’annoncent la plupart des représentants de la Diaspora en utilisant la « tactique de salami » pour poursuivre la Turquie. Tout geste sur votre part pour clarifier vos intentions futures contribuera sans aucun doute à améliorer la confiance mutuelle et nous incitera à croire en votre bonne foi. Ceci sera certainement réciproque. Une chose que nos amis arméniens devraient avoir apprise à ce jour est que la Turquie ne cessera jamais de défendre ses intérêts nationaux ainsi que sa fierté, quelle que soit les pressions internationales. Au contraire, de telles pressions consolideront seulement sa détermination.
Le génocide est une réalité. Nous ne laisserons pas cette réalité être diluée par les Turcs qui demandent de réunir une autre commission indépendante d’historiens. Nous acceptons que les deux côtés se reconnaissent les uns avec les autres. Vous devriez comprendre le trauma des générations d’Arméniens. A contrario, si je me mettais à la place d’un Turc de la nouvelle génération, naturellement, je ne voudrai pas être marqué comme descendant d’une nation ayant commis un génocide envers d’autres personnes. Nous reconnaissons la difficulté d’accepter ce fait. En fait, vous devriez savoir qu’il n’y a aucun consensus en Arménie sur ce sujet. Par conséquent, des négociations bilatérales pourraient se tenir après des excuses officielles d’Ankara sur ce qui s’est passé durant la période ottomane pour déterminer les étapes suivantes. Ces étapes pourraient inclure, par exemple, la reconnaissance mutuelle des frontières existantes conformément au droit international, l’arrêt de la campagne pour la reconnaissance internationale du génocide, la garantie d’un couloir commercial qui donnera à l’Arménie l’accès à la mer par Trabzon, etc.
Les deux côtés ont leur propre version de la « réalité ». La priorité doit être de rapprocher ces différentes « réalités » de sorte que nous parlions plus ou moins la même langue. Dans ce contexte, les résultats scientifiques d’une commission indépendante, et non des décisions de politiciens, devraient nous guider dans cette nouvelle ère. Les « faits » auxquels vous vous référez sont des « faits » établis la plupart du temps unilatéralement sans beaucoup de référence à la vaste documentation des archives ottomanes, russes et allemandes. En outre, les accusations arméniennes dépassent le cadre des dirigeants ottomans ; ils impliquent également les ‘pères fondateurs’ de la République turque. La Turquie a signé la convention de l’ONU sur la prévention et la punition du crime du génocide. Si une des parties soutient qu’une autre partie interprète mal la convention et ne se conforme pas à ses dispositions, elle a le droit de porter le cas devant la Cour de Justice internationale en vertu de l’article IX de la convention, afin que le crime de génocide soit établi par une décision d’une cour compétente. Je doute que la Diaspora observera tous les conseils donnés par Erevan. Il se trouve souvent que la Diaspora dicte la politique de Erevan, en particulier sur ce sujet.
Si une vraie réconciliation est recherchée, nous devrions également être respectueux de la mémoire des centaines de milliers de Turcs et de musulmans massacrés durant ces événements malheureux dans l’Anatolie. Je n’oublierai pas les dizaines de diplomates turcs abattus par les terroristes arméniens dans les années 70 juste parce qu’ils étaient Turcs. Ajoutons à ceci les récents massacres aveugles d’Azéris de Khodjalou par les troupes arméniennes. Mon humble suggestion est d’ériger un monument colossal sur le mont Ag(r ? (Ararat, ndlt), visible des deux côtés de la frontière, en mémoire de toutes les personnes massacrées impitoyablement. Elle devrait être conçue par un groupe d’architectes turcs et arméniens. En outre, d’égale importance est l’engagement dans une diplomatie donnant donnant au niveau gouvernemental pour une stratégie efficace, réaliste et équilibrée de communication visant nos deux peuples. Ceci afin d’augmenter les chances de toute réconciliation admise par eux dans un but d’étude des amères leçons de l’histoire et de regarder avec confiance le futur de nos nouvelles générations.
La « question » arménienne est à un carrefour critique aujourd’hui. L’occasion s’est présentée de clore ce dossier et de relancer nos relations avec une nouvelle vigueur. Or, alternativement, nous continuerons à nous envelopper dans l’obscurité d’une histoire controversée et nous sèmerons d’autres graines de haine et d’animosité pendant de longues années à venir. Le choix nous appartient : Les deux parties devraient réduire au minimum l’impact des tiers — L’Azerbaïdjan pour la Turquie, et la Russie, l’Iran et la Diaspora pour l’Arménie — et accepter une solide ‘feuille de route’ mutuellement convenue, pour réaliser un vrai progrès. Autrement, ce processus d’hostilité flamboyante deviendra malheureusement irréversible et fera souffrir les deux côtés avec des pertes sérieuses.
Travailler pour une solution politique plutôt que militaire (sur laquelle Azerbaïdjan est décideur) est le choix qu’Ankara préfère. Une intervention non garantie par des puissances extérieures, transformera la région déjà turbulente en un baril de poudre. C’est pour cette raison que nous devons, avec soin et une approche du futur, réfléchir sur le comment nous pouvons jeter un pont entre nos positions et nos perceptions de la « réalité » et mettre un arrêt aux accusations mutuelles et aux discours incendiaires. Tout en faisant cela, nous devrions continuer à établir des liens informels sur le culturel, le commercial et les transports ainsi que sur des activités de la société civile, déjà en cours, pour inspirer une confiance entre ces deux grandes nations afin de réaliser une réconciliation historique et durable.
Mehmet Ögütçü [1]
source : Zaman