Pour bien comprendre la lutte contre l’organisation terroriste et séparatiste PKK dans le Nord irakien, il est important de rappeler qu’après l’invasion de l’Irak en 2003 par les forces de la coalition, l’Irak s’est enfoncé dans le chaos : morcellement du pays, guerre civile, explosion du terrorisme, rébellion contre l’occupant. A la tragédie humaine (plus d’un million de morts et 4 millions de déplacés irakiens), s’est ajoutée la tragédie de la destruction d’un pays (patrimoine culturel pillé, unité nationale perdue) – l’Irak n’existe plus que sur le papier.
Le chaos irakien a évidemment créé un vide de pouvoir, dont ont profité les groupes mafieux et terroristes comme les islamistes d’Al-Qaeda, d’Ansar-al-Islam ou les séparatistes du PKK. Ainsi de 2003 à 2007 le PKK s’est solidement et en toute liberté implanté dans le Nord irakien – sous le regard tout à fait indifférent et parfois bienveillant des Etats-Unis pourtant grands promoteurs de la guerre contre le terrorisme… –, amassant de plus en plus d’armes et de combattants.
Des organisations comme Al-Qaeda ou le PKK fonctionnant sur l’opposition violente, elles ne peuvent subsister que dans le conflit ou dans la préparation de conflits. Ainsi fin 2007, sûr de ses forces et de ses moyens, le PKK s’est lancée dans une stratégie du pire, en commettant des attentats de grandes ampleurs sur le territoire turc. Ces attentats préparés et lancés depuis l’Irak, mobilisant des centaines d’hommes, avaient pour objectif d’attirer et de coincer la Turquie dans le bourbier irakien. Dans ce cadre l’organisation terroriste comptait sur une réponse rapide et unilatérale des forces armées turques.
Plusieurs éléments incitaient le PKK à croire sa stratégie « jouable ». D’une part, l’organisation terroriste comptait sur la solidarité nationaliste et du soutien des Kurdes d’Irak afin de créer un front commun contre la Turquie. D’autre part, le PKK comptait sur un soutien des Etats-Unis eux-mêmes, en effet la région kurde est la seule d’Irak où les forces armées américaines peuvent se maintenir, ainsi l’organisation terroriste supposait une opposition des Etats-Unis, plus ou moins directe, à la Turquie afin de préserver la relative stabilité de cette région.
Néanmoins, même si deux éléments – solidarité nationaliste des Kurdes irakiens et opposition des Etats-Unis – ont joué à plein dans les premiers moments de la crise, la Turquie, loin d’actions unilatérales, a déployé une politique diplomatique résolue, patiente et finalement efficace, qui a eu pour conséquence de désolidariser, en partie, les Kurdes irakiens des terroristes du PKK, et de pousser les Etats-Unis à soutenir la Turquie dans la lutte contre le PKK dans le Nord irakien.
Aujourd’hui, avec l’échec de la stratégie consistant à une généralisation du conflit, une intervention militaire turque en Irak n’est logiquement plus souhaitée mais au contraire redoutée par le PKK. Ainsi, à partir de fin novembre, comme nous les mentionnions sur notre site, l’organisation terroriste proférait des menaces (attentats dans les grandes villes turques, assassinats de Turkmènes irakiens, déstabilisation du Nord irakien…) en cas d’opérations militaires contre leurs bases en Irak – essentiellement dans les monts Qandil.
Malgré l’arrivée de l’hiver qui faisait prévoir aux spécialistes un report au printemps d’opérations contre les camps du PKK, la Turquie, en coordination avec l’Etat major américain, lancera, le 16 décembre, une première attaque aérienne dans les monts Qandil. Suivront plusieurs opérations limitées et ciblées contre les bases du PKK à la frontière turco-irakienne.
Les réactions à ces opérations seront diverses :
. Les Etats-Unis soutiendront la Turquie contre le PKK, déclarant que l’organisation terroriste est « une menace pour la Turquie, l’Irak et les Etats-Unis ».
. Les Kurdes irakiens, en particulier le leader nationaliste Massoud Barzani, sans doute non mis dans la confidence quant aux opérations contre les camps du PKK, fustigeaient celles-ci, mais n’entraient pas en opposition directe ou armée avec la Turquie – le « gouvernement autonome kurde » avait dans un premier temps massé ses soldats (les Peshmergas) le long de la frontière turco-irakienne et miné le secteur afin de parer à des opérations contre l’organisation terroriste.
. Le PKK quant à lui mettait ses menaces d’attentats à exécution :
24 décembre : un attentat est déjoué à Istanbul. Un terroriste transportant un sac à dos, contenant 3.5 kg d’explosif TNT, est arrêté alors qu’il venait de déposer son sac près d’un guichet du métro Mecidiyeköy.
28 décembre : une bombe cachée dans une poubelle explose dans le quartier de Şişli à Istanbul sans faire de victimes.
30 décembre : pour des raisons de sécurité, les fêtes de fin d’année, qui chaque année réunissent des centaines de milliers de personnes, sont annulées à Taksim et à Kadıköy.
2 janvier : dans le quartier Küçükçekmece d’Istanbul l’explosion d’une bombe fait 3 blessés.
3 janvier : à Diyarbakir, une voiture piégée explose près d’une école, au passage d’un autobus militaire, le bilan provisoire fait état de 4 morts et 68 blessés, dont 6 graves.
Ainsi, le PKK utilise le chantage terroriste afin de contraindre les autorités turques à arrêter les opérations militaires contre leurs bases en Irak – le bastion irakien étant vital pour l’organisation terroriste. Or après les dernières attaques meurtrières du PKK, la Turquie est aujourd’hui déterminée à agir dans le Nord irakien contre le terrorisme qui la prend pour cible.