Le nationalisme kurde irakien à la rescousse du PKK (Irak/Turquie)
Lors de la réunion des pays voisins de l’Irak, qui s’est déroulée à Istanbul les 2 et 3 novembre, la Turquie a réitéré sa demande aux autorités irakiennes d’agir contre les terroristes du PKK qui utilisent, en toute liberté, le Nord de l’Irak comme base arrière afin d’y organiser et perpétrer des attentats sur le territoire turc.
Le secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon a jugé samedi à Istanbul cette situation « inacceptable », déclarant : « il est clairement inacceptable que le territoire irakien soit utilisé pour mener des attaques en Turquie », ajoutant qu’il partageait les « inquiétudes de la Turquie » à ce sujet. Il a appelé en outre à la création de mécanismes de coopération entre Ankara et Bagdad pour assurer l’étanchéité de leur frontière commune [1].
En dépit de la multiplication des attaques sanglantes des terroristes du PKK en Turquie (plusieurs dizaines de soldats tués, série d’attentats à Istanbul, Izmir et dans les stations balnéaires dans l’Ouest du pays) et d’une colère légitime soulevée par ces attaques, la Turquie a fait preuve d’une réelle retenue et privilégié l’action diplomatique avec les autorités irakiennes.
Néanmoins cette action diplomatique n’a jusqu’à maintenant porté aucun fruit. Le gouvernement central irakien est sans pouvoir dans le Nord du pays - région contrôlé par le gouvernement autonome kurde et par les Etats-Unis – or d’une part les Etats-Unis hormis un soutien de forme n’ont rien entrepris contre la présence des terroristes du PKK en Irak, et d’autre part les Kurdes d’Irak sont fondamentalement opposés à toute action, interne comme externe, contre les bases et les dirigeants PKK situés en Irak.
Ainsi les chefs Kurdes Massoud Barzani et Jalal Talabani déclaraient conjointement le 22 octobre dernier, lors d’une conférence dans la ville de Selahattin, qu’ils ne considéraient pas le PKK comme organisation terroriste, qu’ils ne livreraient pas même un « chat kurde » à la Turquie, et qu’ils riposteraient en cas d’attaque de la Turquie contre les bases du PKK en Irak [2].
Le 23 octobre le Ministre turc des affaires étrangère, Ali Babacan, se rendait à Bagdad afin de demander aux autorités irakienne d’agir en 6 points contre la présence du PKK en Irak [3]. Bagdad promettait d’agir mais le Président irakien, d’origine kurde, démentait toute promesse [4] (ce qui montre qu’il n y a plus guère de pouvoir central en Irak), Talabani ajoutait : « nous avons dit à de nombreuses reprises qu’il n’y a pas de dirigeants du PKK dans les villes kurdes. Ils vivent dans les monts Kandil avec des milliers de leurs combattants, nous ne pouvons donc pas les arrêter et les remettre à la Turquie ». Or si l’autorité kurde ne peut agir contre le PKK dans la région sous son contrôle, pourquoi refuser à la Turquie d’effectuer des opérations dans les monts Kandil, réagissant agressivement, comme si ces opérations la visaient, : « si la Turquie intervient nous nous défendrons » ? [5] Dernièrement l’Alliance kurde, parti représenté au parlement irakien, accusait la Turquie d’avoir en fait des « visées douteuses » sur le territoire kurde autonome : « Politiquement, le PKK est la cible à court terme, mais la cible à long terme, ce sont les Kurdes, car ils veulent les empêcher d’avoir un Etat à eux. » [6]- mais sachant que la Turquie a investi plus de dix milliards de dollars dans le développement économique du Nord irakien et fournit actuellement la majeure partie de l’électricité de cette région (à des prix réduits), on peut sérieusement douter des interprétations selon lesquelles elle en voudrait la perte.
En fait derrière toutes ces déclarations contradictoires des Kurdes d’Irak, et les propagandes sur une supposée « menace turque » (qui inverse la situation, en effet c’est la Turquie qui est attaquée depuis l’Irak), propagandes allégrement rapportées par certains médias hostiles à une quelconque intervention de la Turquie en Irak (CNN, Reuters ou Le Monde entre autres), il y a la volonté des kurdes irakiens de protéger, au nom et sous l’impulsion d’un nationalisme vigoureux et expansionniste, leurs « frères » du PKK. C’est dans ce sens que Leyla Zana, ancienne responsable nationaliste kurde de Turquie, assurait le 26 octobre dernier : qu’« aucun kurde honorable ne livrera un des ces frères » [7].
Aujourd’hui la Turquie est déterminée à lutter contre les bases et l’activisme du PKK en Irak, de l’autre côté l’autorité kurde irakienne portée par une politique et des sentiments nationalistes, prend parti pour le PKK. Les prochaines semaines et l’action des Etats-Unis seront déterminantes dans l’évolution de la crise.