28 mars 2024

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Terrorisme : chronologie des dernières semaines de la lutte contre le PKK (Turquie - Etats-Unis - Irak)

Publié le | par Ilker TEKIN | Nombre de visite 1018
Terrorisme : chronologie des dernières semaines de la lutte contre le PKK (Turquie - Etats-Unis - Irak)

L’invasion de l’Irak par les forces de la coalition – Etats-Unis et Grande-Bretagne en tête – a permis à l’organisation terroriste PKK de s’implanter solidement dans le Nord irakien. En effet, profitant du chaos et d’un soutien des Kurdes d’Irak, le PKK a établi des camps d’entraînement, essentiellement dans les monts Qandil, dans lesquels sont basés près de 3 500 militants. Par ailleurs l’organisation terroriste a acquis une grande quantité d’armes lourdes, – on se souvient du scandale des armes US disparues et retrouvées entre les mains du PKK. Signe d’une grande liberté d’action en Irak, bien qu’elle ne soit pas une organisation irakienne, le PKK a ouvert des bureaux politiques dans plusieurs villes de ce pays, dont Arbil, Süleymaniye et même Bagdad.

La Turquie estimait de son côté, à juste titre, que le développement du PKK en Irak était un danger pour sa sécurité. Elle restait cependant impuissante face à cette situation et malgré ses nombreuses protestations auprès des autorités irakiennes, celles-ci, hormis des promesses, n’ont rien entrepris contre la présence du PKK sur leur territoire. Cette inaction était d’autant plus assurée que le pouvoir central irakien est symbolique, la région du Nord irakien, qui héberge le PKK, étant contrôlée et administrée par le « gouvernement autonome kurde », sous l’autorité du chef nationaliste kurde Massoud Barzani, qui lui soutient l’organisation terroriste. Ainsi le PKK s’est librement développé en Irak, amassant de plus en plus de moyens – armes et combattants.

Les craintes de la Turquie se justifiaient lorsque le PKK, qui jusqu’ici n’avait mené depuis l’Irak que des opérations de faible intensité, mobilisant des groupes de 5 à 10 terroristes, franchissait un cap au courant du mois d’octobre, en menant coup sur coup des opérations qui mobilisaient des centaines d’hommes et des armes lourdes, faisant plusieurs dizaines de victimes en Turquie. Des spécialistes stratégiques, comme le chercheur américain Michael Rubin, voyaient dans ces attentats l’empreinte des Peshmergas kurdes (soldats du « gouvernement autonome kurde » d’Irak) – le nouveau mode opératoire du PKK étant tout à fait similaire à celui enseigné par les forces armées américaines à ces même Peshmergas.

Cette nouvelle [1] stratégie appliquée par le PKK visait sans aucun doute à attirer la Turquie dans le bourbier irakien et généraliser le conflit à une guerre Turquie – Irak, ou à une guerre entre Turcs et Kurdes. Néanmoins malgré une opinion publique choquée et en colère, le gouvernement turc n’agira pas dans le sens d’une réponse impulsive et unilatérale - réaction qui se serait inévitablement retournée contre la Turquie - mais misera avant tout sur l’action diplomatique. Ainsi dés le 24 octobre, le ministre turc des affaires étrangères, Ali Babacan, se rendra en Irak afin de rencontrer les dirigeants irakiens et leur demander d’agir en 6 points contre le PKK. L’un de ces points concernait la capture et la remise des chefs du PKK à la Turquie. Point sur lequel le gouvernement central irakien s’engageait à agir, mais que le « gouvernement autonome kurde » refusait catégoriquement - les leaders kurdes Barzani et Talabani avaient qualifié de « rêves » les demandes turques, ajoutant qu’ils ne livreraient pas même « un chat kurde » à la Turquie. Le ministre des affaires étrangères irakien Hoşyar Zebari, plus nuancé, décrétait les monts Quandil comme « no man’s land », afin de parer toute demande d’action turque. D’autres rencontres diplomatiques auront lieu par la suite, avec, en point d’orgue, le déplacement le 5 novembre du premier ministre Recep Tayyip Erdogan, à la Maison Blanche. Pour diverses raisons, ce marathon diplomatique s’annonçait donc complexe pour la Turquie.

La principale difficulté dans lutte contre le PKK en Irak, réside dans le fait que les Kurdes sont aujourd’hui portés par des sentiments nationalistes exacerbés, ce qui pousse les Kurdes irakiens à faire preuve de solidarité avec « leurs frères » du PKK. Ainsi, à la suite des récents attentats en Turquie et la décision du Parlement turc d’autoriser son armée à poursuivre les terroristes en Irak, le chef nationaliste kurde, Massoud Barzani, déclarait : « si la Turquie intervient en Irak nous nous défendrons » ou bien « la Turquie nous menace ». En reprenant à son compte les pressions que la Turquie essaye d’exercer sur le PKK, Barzani rend évidemment difficile l’isolation de l’organisation terroriste. Cependant cette solidarité des Kurdes irakiens avec le PKK reste fragile, d’une part, elle n’a pas l’appui des Etats-Unis - grand soutien des Kurdes en Irak - et d’autre part, prendre fait et cause pour l’organisation terroriste, après les agressions de cette dernière contre la Turquie, peut s’avérer stratégiquement dangereux. Si bien que l’influent leader kurde et actuel président de l’Irak, Jalal Talabani, à l’inverse de Massoud Barzani, a changé sa politique et s’est rapproché de la Turquie sur le dossier du PKK.

Pour des raisons différentes de celles des Kurdes irakiens, les Etats-Unis étaient également opposés à une quelconque opération turque - position fermement rappelée par le président américain George Bush. Même si la non-participation de la Turquie à l’invasion de l’Irak en 2003 a joué dans le refroidissement des relations américano-turques, et l’inaction des Etats-Unis face au PKK - dans la préparation d’une guerre contre l’Iran, les Etats-Unis ont même entraîné et armé l’organisation terroriste Pejak, branche du PKK en Iran -, la principale raison d’un refus américain à une opération turque dans le Nord irakien, résultait de leur volonté de préserver la relative stabilité de cette région, la seule d’Irak où ils peuvent encore se maintenir. Mais devant la détermination de la Turquie, et face au risque réel de perdre un allié précieux et de longue date [2], le gouvernement américain agissait finalement en organisant, début novembre, une réunion à la Maison Blanche, entre le premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, et le président américain, George Bush. A l’issue de cette rencontre, hormis un soutien clair mais de forme, peu d’engagements concrets étaient pris. Le président américain promettant des partages de « renseignements » avec les autorités turques mais sans objectifs précis.

De son côté, le PKK commençait à mettre en garde les autorités kurdes et américaines contre toute assistance à la Turquie dans des opérations contre leurs camps. Menaçant de déstabiliser le Nord irakien, un des hauts responsables de l’organisation terroriste, Cemil Bayik, déclarait ainsi : « Les Etats-Unis, l’Union patriotique du Kurdistan et le Parti démocratique du Kurdistan doivent comprendre que si nous le voulons, nous pouvons provoquer l’instabilité et mettre leurs intérêts en danger. » Ces mises en garde, et craintes du PKK montrant par ailleurs que la situation était en train d’évoluée. En effet, la stratégie du PKK était de généraliser son conflit avec la Turquie, afin de créer un front à l’intérieur duquel il se serait renforcé, mais l’échec de cette stratégie fragilise et expose désormais l’organisation terroriste, qui redoute aujourd’hui l’intervention militaire turque, qu’hier il appelait.

Néanmoins avec l’installation, fin novembre, de conditions climatiques rigoureuses à la frontière turco-irakienne, la plupart des analystes turcs prédisaient le report sine die d’opérations militaires contre les bases irakiennes du PKK. Prédiction contredite lorsqu’une première opération aérienne, ciblée et restreinte, était lancée le 1er décembre contre les positions du PKK, près de la frontière turque. Suivie, deux semaines plus tard, par une seconde offensive aérienne, ciblée mais de plus forte intensité, dans les monts Qandil, cœur des camps irakiens du PKK. Cette offensive qui visait les hauts responsables du PKK, dont Murat Karayilan, a été menée, selon le Chef de l’État-major turc, Mehmet Yaşar Büyükanıt, en coordination avec les autorités américaines. Cette déclaration de Büyükanıt, par la suite démentie par les Américains, a toutefois provoqué l’ire de Massoud Barzani, qui pour protester contre la « position américaine », refusait de rencontrer la secrétaire d’Etat Condoleezza Rice à Bagdad. Enfin ce 18 décembre des soldats turcs ont franchi la frontière turco-irakienne pour la première fois, avançant de 5 Km à l’intérieur de l’Irak afin d’attaquer des positions du PKK dans ce secteur.

Après ces trois opérations contre le PKK en Irak, la Maison Blanche réagissait par la voix de son porte-parole Dana Perino, déclarant soutenir la Turquie dans sa lutte contre le terrorisme et que le PKK était « une menace pour la Turquie, l’Irak et les Etats-Unis ». La Maison Blanche demandait par ailleurs à la Turquie que ses opérations restent « ciblées et limitées », c’est-à-dire de faire attention aux populations civiles. Sur ce point, il est évident que la Turquie n’a aucun intérêt à ce qu’il y ait des victimes civiles, mais il est en revanche de l’intérêt des nationalistes kurdes d’affirmer, afin d’attirer la réprobation de la communauté internationale et de mettre la pression sur la Turquie, que l’armée turque vise des civils. Ainsi, suite aux opérations du 16 décembre, Massoud Barzani, furieux et exalté, fustigeait la Turquie, sur les bases d’informations non vérifiées et rapportées par l’« agence de presse » Firat - qui est l’organe de communication du PKK - faisant état d’une victime civile. Cette situation poussait le ministre des affaires étrangère turc, Ali Babacan, à réaffirmer que les seules cibles de la Turquie sont les terroristes du PKK.

A ce jour, il est difficile de se prononcer sur l’efficacité des dernières opérations turques. En effet les seules informations actuellement disponibles proviennent de l’« agence de presse » pro-PKK, Firat. Il semble toutefois peu probable que l’organisation terroriste ait subi de lourdes pertes, d’autant plus que ses combattants ont eu tout le loisir de se dissimuler - deux mois séparent les premières pressions turques, de l’opération aérienne dans les monts Qandil. Ici compte évidemment la qualité des renseignements américains. Si le PKK a été touché sérieusement, il est fort à parier qu’il ripostera par des attentats soit en Irak ou plus probablement en Turquie. Nous pouvons affirmer, malgré tout, que la Turquie a remporté une première et importante bataille, qui est celle de limiter la liberté d’action et de développement du PKK en Irak.

Chronologie des étapes-clés du conflit :

. 2 octobre : le PKK commet un attentat dans un quartier marchant à Izmir, faisant 1 mort et 11 blessés.

. 8 octobre : plus d’une centaine de terroristes du PKK franchissent la frontière turco-irakienne et attaquent des soldats turcs, faisant 13 morts, avant de retourner dans leur base irakienne.

. 17 octobre : le Parlement turc autorise l’armée à poursuivre à chaud les terroristes du PKK en Irak.

. 18 octobre : le président américain George Bush s’oppose très clairement à une éventuelle opération militaire turque contre les bases du PKK en Irak : « nous disons de manière très claire à la Turquie que nous ne pensons pas qu’il soit dans leur intérêt d’envoyer des troupes en Irak ».

. 19 octobre : le « gouvernement autonome kurde » en Irak proteste contre le vote du Parlement turc, dans les villes d’Arbil et de Duhok près de 2 000 manifestants kurdes se réunissent pour protester également contre ce vote.

. 21 octobre : le Parlement irakien dénonce à son tour le vote de la Turquie.

. 21 octobre : le PKK lance de nouveau une attaque avec des moyens massifs : plus de 200 terroristes venant d’Irak attaqueront un convoi de l’armée turque, qui fera 12 morts, 17 blessés, et 8 soldats seront enlevés.

. 21 octobre : Le président du « gouvernement autonome kurde » en Irak, Massoud Barzani déclare sans ambages qu’il est « utopique » de penser qu’ils livrent les leaders du PKK à la Turquie. Se solidarisant au PKK, en prenant à son compte les pressions turques sur l’organisation terroriste, il ajoute : « si la Turquie nous attaque, nous nous défendrons ».

. 22 octobre : le ministre des affaires étrangères Hoşyar Zebari affirme que les monts Qandil, où sont basés les camps du PKK, ne sont pas sous contrôle du gouvernement irakien, qu’il s’agit, selon ses dires, d’une zone « no man’s land ».

. 22 octobre : les deux leaders kurdes irakiens, Jalal Talabani et Massoud Barzani, s’engageant une politique hostile et de rapport de force contre la Turquie, déclarent lors d’une conférence de presse commune dans la ville irakienne de Selahattin, qu’ils ne considèrent pas le PKK comme organisation terroriste, et que les demandes de la Turquie concernant l’arrestation et la livraison des chefs du PKK basés en Irak seront sans réponses. Barzani ajoutera à la provocation en affirmant qu’il ne livrera pas même « un chat kurde » aux autorités turques.

. 24 octobre : une nouvelle attaque du PKK est déjouée près de Hakkari à la frontière turco-irakienne.

. 24 octobre : malgré les déclarations des leaders kurdes qui rendent difficile l’action diplomatique, le ministre des affaires étrangères turc, Ali Babacan, se rend en Irak pour rencontrer son homologue Hosyar Zebari, ainsi que le président irakien, Jalal Talabani, afin de leur demander d’agir en 6 points contre la présence du PKK en Irak. Les autorités irakiennes s’engagent à prendre des mesures contre l’organisation terroriste.

. 25 octobre : la Turquie, n’écartant pas l’option militaire terrestre, commence à masser des soldats le long de la frontière truco-irakienne.

. 2 novembre : réunion des pays voisins de l’Irak, qui s’est déroulée à Istanbul les 2 et 3 novembre, la Turquie a réitéré sa demande aux autorités irakiennes d’agir contre les terroristes du PKK qui utilisent, en toute liberté, le Nord de l’Irak comme base arrière afin d’y organiser et perpétrer des attentats sur le territoire turc.

. 5 novembre : le premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan se rend à Washington afin de rencontrer le président américain George Bush, pour parler de la lutte contre le PKK en Irak. Le président Bush, sans s’engager sur un plan précis, se dit solidaire de la Turquie et promet des partages de « renseignements ».

. Mi-novembre : certains analystes évoquent le report de toute action militaire contre le PKK, en raison de l’arrivée de l’hiver et des conditions climatiques difficiles dans la région.

. 28 novembre : le PKK sentant le vent tourné (le travail diplomatique de la Turquie portant petit à petit ses fruits) redoute désormais une opération militaire turque en Irak. L’organisation

. 1er décembre : les forces armées turques lancent une opération ciblée et restreinte, contre les positions du PKK en Irak près de la frontière turque.

. 16 décembre : dans la nuit de samedi à dimanche, la Turquie lance une opération aérienne de moyenne ampleur contre les positions du PKK dans les monts Qandil.

. 18 décembre : des commandos turcs passent la frontière turco-irakienne pour la première fois, avançant de 5 Km à l’intérieur de l’Irak afin d’attaquer des positions du PKK dans ce secteur.

. 18 décembre : Le leader nationaliste kurde, Massoud Barzani, affirme sur la base d’informations de « l’agence de presse » Firat - organe de communication du PKK - que les forces armées turques ont visé des civils. Information démentie par le ministre des affaires étrangères turc Ali Babacan.

. 19 décembre : la Maison Blanche réagissait, par la voix de son porte-parole Dana Perino, déclare soutenir la Turquie dans sa lutte contre le terrorisme.


[1L’opposition violente structurant cette organisation, elle ne peut fonctionner que dans le conflit ou dans la préparation de conflits.

[2En 2000, 56% des Turcs avaient une opinion favorable des USA ; 12% en 2005

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