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Europe

"La Turquie est européenne"

Publié le | par Hakan | Nombre de visite 280

L’Europe ne se limite pas à la construction institutionnelle européenne. La Turquie est européenne indépendamment de son adhésion ou non à l’UE. Une opinion de Mehmet A. SAYGIN, Juriste.

La question de l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne ne cesse d’être d’actualité depuis 1959, date à laquelle cet Etat, par le biais de son premier ministre de l’époque, adressa à la Communauté économique européenne (l’ancêtre de l’UE) une demande officielle d’association.En dépit de l’importance de cette question, d’autant plus grande que cette aventure coïncide pratiquement avec l’histoire de l’"immigration turque en Europe" (nous reviendrons sur cette terminologie), ce ne sera pas l’objet de mon propos.

En effet, le débat politique "Turquie-UE" ne doit pas occulter une double réalité, à savoir que l’Europe ne se limite pas à la construction institutionnelle européenne (première clarification) et que la Turquie est européenne indépendamment de son adhésion ou non à l’UE (deuxième clarification). Développons.

L’Europe ne se limite pas à la construction institutionnelle européenne. Elle lui donne un sens contemporain, en termes d’échanges, de liberté de mouvement, de dialogue, de projet de société transnationale, mais toujours est-il que l’Europe précède l’UE. Si cette dernière faillit, le Vieux Continent n’en maintiendra pas moins ses assises historiques, sociologiques et civilisationnelles.

La Turquie est européenne indépendamment de la question de son adhésion à l’UE. Cette mise au point découle directement de la précédente. En effet, le débat sur l’accession de la Turquie à l’UE est très généralement présenté comme suit : la Turquie et l’Europe forment deux entités séparées par une ligne (historique selon certains, géographique selon d’autres) étanche et la Turquie souhaite rompre cette ligne de démarcation pour intégrer la "famille" Europe.Or, cette présentation résulte d’une double désinformation : la première tend à amalgamer l’Europe à la seule UE (la Suisse et la Norvège : des Etats extra-européens ?), la seconde tend à considérer que parce que la Turquie ne fait pas partie de l’UE, elle ne fait forcément pas partie de l’Europe.

Cela n’a pas de sens de mettre en avant l’argument géographique pour décider si la Turquie est dans l’Europe ou pas, en particulier sur la base d’une grille de lecture contemporaine. Sans compter que l’application stricte de cet argument exclurait de fait un Etat membre de l’UE, à savoir Chypre. Ce sont donc les arguments politique et historique qui doivent être analysés pour apprécier l’européanité de la Turquie. Il faut vérifier si la Turquie (a) fait partie d’un ensemble appelé "Europe".

Pour ce faire, les archives ottomanes constituent une source d’informations extraordinaire. Prenons quelques exemples, parmi beaucoup d’autres, qui illustrent l’européanité de la Turquie au-delà des affirmations parfois entendues selon lesquelles "l’Empire ottoman a été présent en Hongrie et dans les Balkans durant plusieurs siècles" et "l’Empire ottoman a été l’homme malade de l’Europe".1560. Lettre impériale du Sultan Soliman le Magnifique envoyée au Roi de France François II. Le Sultan y répond à l’appel à l’aide adressé par François II contre ses ennemis, y rappelle les liens d’amitié qui ont prévalu entre le père de François II et lui et y insiste sur la continuité de ces liens d’amitié et de bonne intelligence.

1565. Lettre impériale du Sultan adressée au Roi de France, faisant suite à une lettre adressée au Sultan par le Roi de France dans laquelle ce dernier l’informe que les tensions qui dominent les relations de la France avec la Reine d’Angleterre ont été dissipées au profit de la paix, ce à quoi le Sultan répond par un message de contentement et d’appel au renforcement des relations bilatérales.

1565 toujours. Lettre impériale du Sultan adressée au Roi du Portugal, consacrant l’appel de ce dernier au renforcement des liens d’amitié entre les deux puissances.

Ces exemples proviennent du XVIe siècle et ont pour objectif d’illustrer l’ancienneté de l’européanité de la Turquie. Mais il est possible de choisir des exemples plus récents également.1838. Le Sultan Mahmud II entérine le premier accord commercial entre l’Empire ottoman et la Belgique. C’est la même année, d’ailleurs, que le Sultan signe l’ordre impérial de reconnaissance de l’Etat belge.1847. Des représentants irlandais adressent une lettre de remerciements au Sultan Abdülmecid suite à l’aide financière que celui-ci fait acheminer à destination des nécessiteux de ce pays.

C’est bien en tant que puissance européenne que l’Empire ottoman a envisagé sa relation aux autres puissances européennes. Certes, cette histoire commune a été parsemée de conflits divers mettant en scène la Sublime Porte. Mais cette donnée ne lui est nullement applicable de façon exclusive, puisque cette histoire commune a été traversée par d’innombrables querelles opposant les autres puissances européennes entre elles, France et Angleterre en tête.

Ces quelques pièces d’archives suffisent à (dé) montrer que l’européanité de la Turquie, à savoir son intégration politique et historique dans la "famille" Europe, est à tout le moins pluriséculaire. Il s’agit d’une histoire partagée de longue date. C’est pourquoi il ne me semble pas correct de faire coïncider la présence des Turcs en Europe avec l’histoire de l’"immigration", de même qu’il me paraît rigoureusement inexact sur le plan historique de présenter le processus d’adhésion de la Turquie à l’UE comme une rencontre inédite à peine vieille d’un demi-siècle.

Je suis convaincu qu’il faut réhabiliter ce passé commun, réaffirmer l’européanité de la Turquie et, de toutes parts, éviter de tomber dans le piège tendu par l’amalgame réducteur entre les formulations "Europe" et "UE". Les mots, ici comme ailleurs, sont importants.

Source : La Libre.be


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