2007-2008, un tournant pour la Turquie
En ce début d’année, comme le veut la tradition, c’est le moment de faire des bilans et de se projeter dans le futur. Il en va de même dans la presse turque, qui ne déroge pas à la règle. Ainsi Yusuf Kanli, l’éditorialiste du Turkish Daily News, revient-il sur les temps forts de 2007, une année « très difficile pour la Turquie ».
Que retient-il de l’année qui vient de s’écouler ? La victoire de l’AKP aux législatives anticipées, l’élection d’Abdullah Gül à la présidence de la République, les divergences entre l’armée et le gouvernement sur la lutte contre le PKK en Irak du Nord, le consensus trouvé après la rencontre Bush-Erdogan du 5 novembre dernier, les complications survenues dans les relations euro-turques, l’émergence d’Angela Merkel et de Nicolas Sarkozy, et enfin l’incapacité à avancer vers un règlement de la question chypriote.
Et en 2008, quels sont les rendez-vous importants qui feront l’actualité de la Turquie ? La lutte contre le PKK sera bien évidemment toujours au premier plan, comme le rappelle l’éditorialiste. Mais au-delà de l’action purement répressive, le gouvernement « aura la possibilité de mener une action à caractère politique, juridique, économique et psychologique, pour éradiquer les causes profondes du terrorisme séparatiste ».
Et si pour le moment, comme le souligne Yusuf Kanli, l’opposition « éprouve une sorte d’allergie à utiliser le mot “amnistie” », le gouvernement, pour sa part, « devra entreprendre une action d’une manière ou d’une autre pour faire revenir ceux qui sont dans les montagnes, mais aussi pour empêcher les citadins de rejoindre les gangs formés dans les montagnes ».
Mais l’année 2008 sera également marquée, pour le chroniqueur turc, par l’adoption d’une nouvelle Constitution dite civile, par opposition à celle héritée du coup d’Etat militaire de 1980. Voulue par l’AKP, cette Constitution, qui pourrait bien dominer l’agenda des six premiers mois de l’année, devrait donner l’occasion d’avoir un vif débat sur le renforcement de la démocratie et des droits individuels.
« L’AKP, écrit Yusuf Kanli, va devoir recourir à ses talents de magicien pour ne pas toucher à l’article 2 de la Constitution – qui dispose notamment que “ la République de Turquie est un Etat démocratique, laïc et social gouverné par l’Etat de droit” – et mener en même temps une série de réformes centrées sur le citoyen, visant à élargir les libertés individuelles, y compris dans le domaine de la religion. » Pour l’éditorialiste du Turkish Daily News, la manière dont la Turquie va traiter cette question « conditionnera pour une large part ce que sera effectivement l’année 2008 ».
Autres bornes incontournables : la question de Chypre et les relations euro-turques, qui n’auront pas vraiment marqué l’année 2007. Mais dans la perspective de « l’évaluation de 2009 », comme l’écrit le journaliste, Ankara devra « mener une action sur Chypre et relancer le processus de réformes voulu par l’UE ». Sur le problème de Chypre, beaucoup de choses seront liées, selon Yusuf Kanli, au résultat de l’élection présidentielle chypriote grecque de février prochain ; en revanche, le destin des réformes d’harmonisation aux standards de l’UE, en particulier celles concernant les droits des minorités, dépendra « de la force du gouvernement », qui sera « fortement liée au succès de la lutte contre le PKK ».
Un dossier qui marque évidemment de son empreinte la transition entre 2007 et 2008. Bilal Çetin, du quotidien Vatan, relève que les forces armées turques ont mené « la plus grande opération antiterroriste transfrontalière de leur histoire ». Une opération qui a « détruit en grande partie les installations [du PKK] et les canaux par lesquels [il] recevait son soutien logistique ». Aujourd’hui, écrit-il, l’organisation séparatiste est « dans une situation bien plus grave qu’en 1999, au moment où son leader Abdullah Öcalan était remis à la Turquie ».
« Dans les prochains jours, poursuit Bilal Çetin, un projet de loi sera présenté qui accélérera la dissolution de l’organisation, en encourageant les militants cachés en Irak du Nord et dans les montagnes de Turquie à se rendre. Parallèlement à cela, le gouvernement devrait présenter rapidement une série de mesures socio-économiques destinées aux régions de l’est et du sud-est anatolien, pour assécher le terreau sur lequel se nourrit la menace terroriste à l’intérieur de nos frontières. En bref, conclut le journaliste de Vatan, on espère vivement que 2008 sera une année tournant en matière de lutte antiterroriste et que le terrorisme séparatiste sera neutralisé. »
Dans Sabah, Ergun Babahan revient sur le projet de loi qu’évoquait Bilal Çetin dans Vatan. Il s’agirait d’une « loi sur le retour à la maison » (un doux euphémisme pour ne pas employer le mot “amnistie”) – une loi préparée par le gouvernement et l’armée pour faciliter le désarmement du PKK. Mais il y a un point qui pose problème, note le chroniqueur de Sabah : à qui les armes vont-elles être rendues ? La solution à ce problème, pour Ergun Babahan, c’est le président irakien Jalal Talabani qui l’a proposée dans son interview au quotidien Taraf, en déclarant qu’en cas d’amnistie, les militants du PKK seraient prêts à rendre leurs armes aux Etats-Unis ou au gouvernement irakien. Le chroniqueur de Sabah note que ni le gouvernement ni l’armée n’apprécient le mot “amnistie” – un problème sémantique qui pourrait donc être surmonté par cette « loi sur le retour à la maison ».
2007 a donc été marquée par cette lutte contre le PKK, mais hormis l’assassinat de Hrant Dink, dont le premier anniversaire sera commémoré le 19 janvier prochain, l’année qui vient de s’achever restera également celle de la vaste propagande du lobby arménien aux USA pour contraindre le Congrès américain à s’allier sur les thèses nationalistes arméniennes à propos des événements de 1914-1922.
Dans une chronique du Turkish Daily News, Mehmet Ali Birand revient sur cette affaire, actuellement en suspens depuis le vote de la Commission des Affaires étrangères, le 10 octobre dernier.
Le journaliste turc, soucieux de se projeter dans le futur, souligne que ses contacts au sein de l’administration Bush ainsi que les personnes concernés par cette question sont à peu près unanimes : le retour de la résolution en 2008, année électorale, est peu probable. « Cependant, restons prudents, avertit Birand, car la résolution arménienne reviendra en 2009. Si nous refermons le dossier et oublions tout ce qui s’est passé, comme nous l’avons déjà fait précédemment, la résolution frappera sûrement encore à la porte. »
Or, quand bien même cette résolution n’a pas d’effet contraignant, l’intervention de l’administration Bush a épargné un « effondrement moral » à la Turquie, qui « aurait perdu son pouvoir de persuasion ». Elle a donc bien « fait marquer un point » à la Turquie, mais cela n’empêche pas Birand de demeurer méfiant, car « les miracles ne se produisent pas tout le temps ». Autrement dit, en cas de victoire des Démocrates à l’élection présidentielle, les vainqueurs pourraient avoir envie de « solder le problème une fois pour toutes ».
« Que devrions-nous faire alors ? », s’interroge le journaliste. Parmi les possibilités d’action concrète, il suggère trois pistes :
1. la création de la Commission mixte d’historiens ;
2. l’ouverture de la frontière avec l’Arménie pour accroître le volume des transactions commerciales ;
3. l’augmentation des manifestations sportives et culturelles avec l’Arménie, afin de multiplier le nombre des messages envoyés à Erévan.
« Et cette liste peut être allongée, conclut le chroniqueur. Les officiels à Ankara devraient commencer à réfléchir et à travailler à une stratégie. Sinon nous perdrons la partie ; et cela ne servira à rien de pleurer après coup. »