C. Cem OĞUZ / ccem@bilkent.edu.tr

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Les perceptions turques

La réconciliation turco-arménienne est en fait depuis bien longtemps un champ de bataille politique, plutôt qu’un sujet d’éthique.

Les vues unilatérales et l’implication biaisée de l’Occident rendent la situation encore plus compliquée. Il y a un besoin urgent d’empathie, mais les résolutions parlementaires justifieront simplement des points de vue respectifs, fermant davantage les portes au dialogue. Si j’étais une autorité européenne ou américaine, je réfléchirais certainement à la raison pour laquelle le Patriarche, dans le discours en question, aurait pu critiquer les grandes puissances de l’époque, de la France aux U.S.A, puisqu’elles avaient une responsabilité également.

Actuellement, aucun Turc sensé ne sous-estime l’étendue de la tragédie subie sur ces terres au cours des deux derniers siècles. La réminiscence, cependant, ne vient pas facilement car elle provoque de façon inhérente une sorte de réflexe d’auto-défense. Les Turcs perçoivent l’insistance de la réconciliation avec le passé comme ayant des motifs politiques.

La méfiance turque se renforce. De fait, une autre question émerge ici, qui, si elle n’obtient pas de réponse, me rend pessimiste quant aux perspectives de réconciliation turco-arménienne : est-ce que les sociétés peuvent se réconcilier avec leur passé si elles se sentent de moins en moins en sécurité ?

Dans un tel contexte, mes suggestions à l’État turc pour aborder les allégations arméniennes incluraient les étapes suivantes :

I. Court terme : convoquer immédiatement la Grande Assemblée Nationale Turque pour formuler une déclaration nationale, destinée à être signée par tous les partis politiques siégeant ou non au parlement, qui réaffirme que les allégations du "génocide" arménien sont infondées et inacceptables, ajoutant que la Turquie est prête à payer les conséquences de son prétendu « déni », quelles qu’elles soient ; mettre en place une institution intergouvernementale avec la participation des branches significatives du gouvernement afin de gérer efficacement les allégations arméniennes et l’ignorance de l’Occident ; augmenter nos efforts internationaux en vue d’une commission conjointe d’historiens ; et ne pas ouvrir la frontière tant que l’Arménie n’annonce pas qu’elle est d’accord pour trouver une solution pour les territoires occupés en Azerbaïdjan et au Nagorno-Karabakh.

II. Moyen terme : Encourager le développement d’un réseau de groupes citoyens ou d’ONG pour promouvoir la compréhension et empêcher des vagues de colères populaires dans les sociétés ; créer un monument aux morts pour que les Turcs puissent rendre hommage aux victimes de la Première Guerre mondiale, y compris celles d’origine arménienne ; convoquer un groupe de travail de chercheurs pour préparer des livres d’histoire qui empêcheront les deux parties d’utiliser des ouvrages qui promeuvent la xénophobie et le nationalisme ; institutionnaliser des visites réciproques de haut niveau.

III. Long terme : Travailler à la formulation d’une législation similaire à celle qui existe en Allemagne, qui restreint les « propos racistes » envers les citoyens non musulmans du pays.

Après avoir vu ce qu’a eu à endurer le Patriarche Mutafian, tant chez les Turcs que chez les Arméniens, je suis attristé de dire que l’on ne peut être optimiste quant à ce noeud gordien [1]. Je trouve ceci particulièrement démoralisant, car je crois que le conflit ne peut être résolu que par des actions émanant de braves gens, comme le Patriarche.

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