Un ouvrage essentiel sur les bonnes manières qu’il fallait adopter pour s’occidentaliser vient d’être traduit de l’ottoman au turc. L’occasion de découvrir comment, à table, il était recommandé de ne pas faire de bruit et de bien distinguer les couverts.
Lütfi Simavi était en quelque sorte l’équivalent d’un ministre des Affaires étrangères durant la période du sultanat de Mehmet Vahdettin et Mehmet V. Son ouvrage intitulé Teşrîfât ve Âdâb-Muâşeret (Protocole et Art de vivre) vient d’être traduit en turc pour la première fois. L’ouvrage, publié par le Ministère des Palais nationaux de l’Assemblée de Turquie, donne des conseils sur les règles de moralité, de vie quotidienne et politique en expliquant les changements de mœurs qui ont suivi l’arrivée de la République. Dans son livre Teşrîfât ve Âdâb-Muâşeret qu’il a rédigé au début du 20è siècle, Lütfi Simavi commence par citer une histoire célèbre : « Appelé par le serviteur de son fils auquel il avait dit qu’il ne serait jamais un homme, mais qui avec le temps était devenu pacha, il lui rétorqua : “Je n’avais pas dit que tu ne pourrais jamais être un pacha, j’avais dit que tu ne serais pas un homme. En me faisant appeler de la sorte, tu n’as fait que confirmer mes dires.” Cette histoire porte en elle une grande signification. » Simavi insiste ensuite sur l’importance du respect des bonnes manières et traite de différents sujets dont l’art de la table, la salutation, les comportements des hommes politiques, la tenue vestimentaire, l’équilibre dans le mariage ou l’union avec des femmes européennes. On trouve dans cette œuvre beaucoup d’indices sur la structure de la société et les mentalités des Ottomans de l’ère de la monarchie constitutionnelle. Il est démontré que la tendance à l’européanisation, qui a suivi l’arrivée de la République, avait déjà pris ses racines à cette époque. La rédaction de l’ouvrage par un homme comme Lütfi Simavi, l’un des derniers ministres de l’Empire Ottoman, dont les fonctions importantes à l’étranger lui avait fait constater les différences des modes de vie entre l’Orient et l’Occident, revêt une importance particulière. Voici quelques anecdotes citées dans la première traduction en turc par le Ministère des Palais nationaux de l’Assemblée de Turquie.
Il est honteux d’être bruyant à table
L’invitation à un dîner doit se faire oralement ou par écrit au moins une semaine à l’avance. L’invité doit informer assez rapidement s’il sera présent ou à défaut, doit présenter ses excuses de ne pouvoir participer en exposant ses raisons. L’horaire de l’invitation doit être respecté. Les grandes réceptions doivent être organisées avec un plan de salle dont l’invité prendra connaissance afin d’éviter toute confusion quant à la place qu’il occupera. Il faut manger assez rapidement les plats pour ne pas empêcher le bon déroulement du service et se faire attendre par les autres invités. Mâchouiller, faire du bruit en buvant du café, des boissons ou de la soupe, roter, couper à l’aide d’un couteau le pain, le poisson, les pommes de terre et autres légumes, font partie des comportements indignes et honteux.
Il faut éviter les tenues de mauvais goût
Toute personne s’apprêtant à se présenter devant une personnalité importante doit impérativement se vêtir d’une redingote de couleur foncée et chausser des bottines ou des chaussures noires. Il est défendu de porter des foulards ou des épingles de cravates extravagantes, des boutons de manchette à diamants ou des chemises brodées. En résumé, toutes les tenues contraires au bon goût doivent être évitées. La courtoisie et la bonne nature résident dans la simplicité élégante. Si l’invitation est officielle, de jour il faut porter une redingote et un foulard de couleur neutre, en soirée il faut porter une stambouline (redingote ottomane) et une cravate blanche.
Qui est Lütfi Simavi ?
Lütfi Simavi est le fils du pacha Soliman, l’un des célèbres vizirs du sultan Abdülmecit. C’est l’une des personnalités ayant servi à l’époque de Sultan Mehmet Resat et Sultan Vahdettin. Il a été désigné par le sultan Mehmet Resat à la suite du détrônement d’Abdülhamid II pour remettre de l’ordre au Palais. Il a quitté ses fonctions, trois ans plus tard, en 1912, de son plein gré. Simavi a été ministre des Affaires étrangères sous le règne du Sultan Vahdettin, en 1918 et 1919. Il a reçu une bonne éducation et connaissait trois langues étrangères. Il a également exercé des fonctions importantes à l’étranger. Outre, « Teşrîfât ve Âdâb-Muâşeret », ses œuvres sont les suivantes : Devr-i Inkilap (La période de révolution) et Sultan Mehmet Reşad Han’in ve Halifenin Sarayinda Gördüklerim (Ce que j’ai vu au palais du Sultan Mehmet Resat Han et du calife).
par Aslihan Kössekoglu Ankara pour Zaman