Le livre de Georges de Maleville
La tragédie arménienne de 1915
SOMMAIRE
Le prétendu génocide arménien (partie 2) | Conclusions |
3ème Chapitre - Les développements récents de l’affaire arménienne
La chasse aux coupables organisée par les ennemis du parti Union et Progrès puis par les Anglais n’ayant abouti à aucun résultat déterminant, - et la Turquie kémalienne ayant signé avec la République d’Arménie, puis avec l’URSS, puis conjointement avec l’URSS et l’Arménie, et enfin avec l’ensemble des puissances ex-belligérantes une série de traités diplomatiques auxquels était joint un protocole d’amnistie générale et réciproque, on aurait pu s’attendre à ce que les tragiques événements de 1915 demeurent, comme tant d’autres catastrophes dans l’histoire, un souvenir douloureux sur les circonstances duquel les historiens seuls auraient discuté.
C’est bien ainsi que l’a vécu l’immense majorité de la diaspora arménienne établie en Occident qui, avec une éminente dignité, a pansé ses blessures, s’est remarquablement adaptée grâce à son calme et son travail dans les divers pays qui l’ont accueillie et n’y a suscité, dans son ensemble, que de la sympathie. Soixante ans ont passé.
1. - Puis brusquement en 1975, au moment où le Liban se décompose, on voit surgir une organisation révolutionnaire arménienne, agissant notoirement avec l’appui d’éléments terroristes basés au Proche Orient [1], qui "crée l’événement" en assassinant, pour faire parler d’elle, toute une série de diplomates turcs en poste à l’étranger, selon un plan parfaitement concerté. On trouve bien vite mêlés à ces "Arméniens" des éléments terroristes provenant de tous les pays du monde. Il s’agirait de "représailles".
On demeure stupéfait qu’un enseignant à l’ENA de Paris écrive candidement à ce sujet :
"Durant trois ou quatre ans, sans échec grave, au terme d’opérations préservant l’anonymat des exécutants, le terrorisme des Arméniens a servi la cause arménienne dans la mesure où la réalité et l’ampleur du génocide motivant ces attentats dépassaient largement dans leur horreur la réprobation à l’égard de ces crimes."
"Le terrorisme publicitaire, qu’on le déplore ou non, trouve là sa justification" [2] [3].
Ainsi donc l’assassinat pur et simple de hauts fonctionnaires totalement étrangers aux faits discutés trouverait sa "justification" dans les motivations politiques propres aux tueurs. N’importe qui se trouve "justifié" d’assassiner n’importe qui si la victime appartient à une nation que le meurtrier estime - lui - souverainement et de sa propre autorité - avoir des "motivations" de haïr.
C’est le règne de la folie homicide et l’institutionnalisation de la barbarie.
Et, malgré tous les appels aux Droits de l’Homme et la phraséologie juridico-humanitaire dont se servent les supporteurs des terroristes pour "justifier" leurs assassinats, c’est aussi un génocide à rebours - la dimension tragique en moins. Car, si "les Turcs" (et on ne sait toujours pas lesquels) n’avaient certes pas le droit de "massacrer les Arméniens", en tant que tels, de quel droit des "Arméniens" assassineraient-ils aujourd’hui "des Turcs" en tant que tels, sinon par une discrimination criminelle alimentant une haine collective ? "C’est la loi du talion appliquée aux arrière-petits-enfants en vertu d’un principe de responsabilité collective que notre système de civilisation rejette catégoriquement" [4].
Au surplus, et comme il fallait s’y attendre, les terroristes "arméniens" n’ont pas tardé à apparaître pour ce qu’ils étaient vraiment au grand dépit de leurs apologistes. Quand, après un certain nombre d’assassinats "sélectifs", les prétendus "vengeurs de la cause arménienne" se sont mis à faire exploser des bureaux de navigation aérienne de diverses nationalités, puis à mitrailler un peu partout, la foule dans les aéroports, l’opinion publique n’a pas tardé à reconnaître dans ces prétendus "justiciers", malgré leur arrogance, des fous sanglants manipulés par le terrorisme international, et auxquels il fallait, purement et simplement, appliquer toute la rigueur des lois pénales.
La tentative de mobiliser l’opinion publique en la soulevant par une série de crimes a donc fait long feu.
2. - Les supporteurs - tardifs - de la "vengeance arménienne" qui prétendent - pour des raisons que l’histoire éclaircira quelque jour - avoir "retrouvé la mémoire" soixante-dix ans après des événements dont ils n’ont pas été témoins, ont donc adopté une autre tactique, plus pacifique, mais dont l’objectif demeure toujours d’ameuter l’opinion publique contre la Turquie actuelle. Ils ont cité la Turquie devant un "Tribunal".
Certes, il n’existe aucune juridiction internationale qui accepte de juger la République turque pour un crime commis avant sa naissance. Les magistrats internationaux sont des juristes compétents et sérieux. Et aucun État qui se respecte n’accepterait d’ailleurs de porter l’accusation dans ces conditions. Surtout pas les Puissances impliquées dans le premier conflit mondial qui sont liées envers la République turque par un traité d’amnistie générale. Pour émouvoir l’opinion publique, les actuels "vengeurs de l’Arménie" ont donc eu recours à un "tribunal" de complaisance.
Un des fléaux de notre époque - et un des signes du déclin du Droit dans les sociétés libérales - est la floraison de prétendus "tribunaux" qui s’instituent eux-mêmes, sans la moindre délégation de quiconque, pour "juger" n’importe qui de n’importe quoi au nom de principes que les pseudo juges ont eux-mêmes proclamés. Le procédé a été initié il y a plus d’un siècle par les nihiliste russes qui ont ainsi "jugé" puis assassiné Alexandre II. Il a fait fortune et depuis lors, dans tous les pays troublés du monde, il ne se passe pas longtemps sans que l’opinion ne soit secouée par la découverte de quelque "tribunal" constitué dans une cave autour d’une personne enlevée, par quelques assassins qui prétendent ainsi légitimer leur crime auprès d’une opinion naïve, alors qu’il ne s’agit que de rapt, de torture, d’extorsion de fonds et souvent de meurtres.
Dans la mesure où l’opinion publique subit - à contre cœur - de tels procédés, il est normal qu’elle accorde une oreille sympathique à la voix d’un "tribunal" tout aussi fictif que les précédents mais composé de personnalités estimées appuyant uniquement leur action sur leur autorité morale. Les "vengeurs des Arméniens" ont eu recours à un tel "tribunal" - qui s’est réuni à Paris, à la Sorbonne, en 1984, avec le concours d’un énorme battage médiatique.
Le "tribunal des Peuples" avait été constitué à Bologne en 1979 par quelques intellectuels qui ont décidé, en toute modestie, de "juger" les États. "Peuples" contre "États", on mesure tout de suite la dimension idéologique de l’entreprise. Et l’initiative en elle-même est assez sympathique : il ne manque pas de "peuples" à notre époque, de minorités ethniques, qui, parce qu’ils vivaient dans une technologie arriérée et ne possédaient pas les moyens d’expression nécessaires, ont été assimilés de force voire exterminés, Indiens d’Amazonie ou Juifs d’Ethiopie par exemple.
Mais l’entreprise du "Tribunal des Peuples" laisse apparaître ses motivations quand on apprend qu’en 1983, juste avant de "juger" la Turquie, le "Tribunal" s’était réuni à Madrid pour "juger" le Guatemala anticommuniste accusé de persécuter une de ses peuplades indiennes, et l’avait "condamné" - en s’abstenant soigneusement de se pencher sur le cas du Nicaragua - presque contigu mais communiste, lui où le gouvernement marxiste pratique à l’encontre des Indiens Miskitos un génocide dont le monde entier est au courant. Quelle objectivité est-ce là ?
Au surplus, de quel droit les prétendus "juges" se sont-ils avec une incommensurable prétention, érigés en "tribunal" justicier des États alors qu’ils n’avaient reçu à cet effet mandat de personne - si ce n’est pour faire illusion auprès de l’opinion publique qui ne va pas rentrer dans le détail des règles de compétence ?
Le procédé avait jadis été utilisé par Bertrand Russell et Jean-Paul Sartre pour "juger" les États-Unis. Si Russell avait fait état de son immense prestige de grand penseur pour condamner ses adversaires au nom de sa propre morale, il eut sans doute été écouté. Mais en utilisant pour son entreprise l’imposture d’un pseudo tribunal, qu’il n’avait pas plus qu’un autre qualité pour constituer, il a bafoué la justice et s’est ridiculisé lui-même.
Les mêmes remarques s’appliquent au prétendu "Tribunal des Peuples" qui n’est apparu, dans le cas de l’Arménie, que comme un instrument au service d’une certaine idéologie, recourant toutefois à un lourd formalisme judiciaire destiné à faire illusion.
Et dans un jargon pesant, directement imité des instances internationales (- les vraies -), le "tribunal" a rendu sa "sentence" et condamné la République turque pour la tragédie de 1915 - sans avoir examiné sérieusement un seul des arguments qu’elle avait exposés - mais en visant ceux-ci ce qui donne une apparence d’objectivité.
Bien entendu, la Turquie ne s’était pas fait représenter devant ces pseudo-juges, et n’avait pas à le faire. Mais elle avait fourni une explication documentée des événements, par des brochures officielles disponibles dans le public. Pour écarter celle-ci sans examen sérieux, le "tribunal" s’est livré à des acrobaties juridiques étonnantes :
Le Droit International Public est caractérisé par le fait qu’il demeure largement coutumier, donc non écrit, mais se trouve en évolution très rapide. On peut donc, à sa convenance, l’interpréter largement à sa guise, voire anticiper sur son évolution et poser comme déjà acquises, des règles qui ne le seront peut-être que dans des décennies, si elles le sont jamais.
Les "juges" de la Sorbonne n’y ont pas manqué : Ce serait alourdir inutilement cet ouvrage que de rentrer dans le détail de raisonnements apparemment juridiques qui n’offrent, au surplus, aucun intérêt.
Qu’il suffise de relever comme des contresens évidents pour tout juriste :
la violation de la règle de la non-rétroactivité des incriminations pénales, règle pourtant admise depuis des siècles dans tous les pays civilisés (avec cette "perle" tirée de l’existence de prétendues "lois d’incrimination pénale déclaratives" !) ;
la violation de la règle selon laquelle, en cas de démembrement d’un Empire, la personnalité de Droit International de celui-ci disparaît sans succession sauf exception expressément acceptée conventionnellement, (il est aussi absurde de poursuivre aujourd’hui la République turque pour les faits commis en 1915 dans l’Empire ottoman, que le serait, par exemple, le fait de poursuivre la Syrie qui était également membre de cet Empire [5]) ;
la distorsion de la notion d’imprescriptibilité des crimes anti-humanitaires qui, à la supposer même applicable rétroactivement à des événements survenus en 1915, ce qui est plus que douteux - ne signifie pas pour autant qu’on puisse poursuivre les coupables au-delà de leur mort ! (Il est de principe général et absolu que la mort physique (ou la dissolution pour les personnes morales), met un terme à toute poursuite pénale, puisque le contraire aboutirait à juger une personne qui serait dans l’impossibilité de présenter sa défense – en violation des principes fondamentaux de la Convention universelle des Droits de l’Homme. Telle est pourtant la manœuvre sournoisement tentée de nos jours contre la République turque) ;
la violation de la règle de l’autorité internationale des Traités, quand la partie prétendument lésée était précisément signataire de ces mêmes traités (Traités de Kars et de Lausanne), et celle de l’article 10 du Pacte de la SDN dont la Turquie fut membre, garantissant l’inviolabilité des frontières des États adhérant au Pacte.
la violation du principe de la personnalité des demandes en justice, le "peuple arménien" envers qui la République turque est condamnée, n’ayant pas de personnalité juridique, si ce n’est par l’organe de la RSS d’Arménie qui n’a même pas été appelée devant le "Tribunal" ;
la violation enfin du principe de la personnalité des fautes - car c’est en définitive sur le peuple turc d’aujourd’hui, à travers son gouvernement actuel, qu’on tente de transférer rétroactivement, par l’intimidation et par l’attentat, une responsabilité collective.
Il est inutile d’insister sur cette œuvre du parti pris dissimulé que fût le "jugement de la Sorbonne" rendu par un organisme qui s’intitule lui-même "tribunal d’opinion". La manipulation de cette même opinion y est par trop évidente.
En réalité, pour faire aboutir les prétentions utopiques de certaines organisations révolutionnaires arméniennes, la démonstration d’un prétendu "génocide" est nécessaire, car c’est le seul "moyen" d’attaquer les Turcs d’aujourd’hui.
En effet, la population arménienne vivant de nos jours en Turquie est de faible importance, et vit uniquement rassemblée dans quelques villes au milieu d’une population musulmane turque. Il est donc impossible d’invoquer à son sujet un quelconque "droit des peuples à disposer d’eux-mêmes", et elle n’en manifeste d’ailleurs nullement l’envie.
Les revendications les plus folles des extrémistes arméniens de l’étranger ne s’appuient en réalité, ni sur un peuplement ni sur un territoire. Le pseudo "Tribunal des Peuples" dut lui-même en convenir à regret. Les prétentions des "Arméniens" ne peuvent donc être formulées que grâce à un détournement de procédure.
3. - Mais le recours à de tels procédés ne les fait pas renoncer. Bien au contraire, encouragés par l’énorme campagne médiatique faite autour des assassinats commis par leurs terroristes, les prétendus porte-paroles de la "cause arménienne" ont fait, depuis quelques années, le siège des Organisations Internationales.
Mais ici, leur dessein se dévoile. Si les actes isolés de quelques desperados nostalgiques pouvaient encore passer, si criminels qu’ils fussent, pour inspirés par le désir de "venger" leurs propres familles, la prétention de faire trancher par des organisations internationales officielles un point d’histoire, au nom d’une Arménie qui politiquement n’existe pas, apparaît tout de suite pour ce qu’elle est, une manœuvre purement et simplement antiturque dont les Arméniens ne sont plus que le prétexte :
La République kémalienne a trop bien réussi aux yeux de certains, et la Turquie moderne occupe une situation géopolitique qui gêne des intérêts. Telles sont les motivations, inavouées, mais clairement visibles, qui se situent aujourd’hui derrière le discours tenu par les amis des "Arméniens". Et ces derniers, à la fois naïfs et rusés, fournissent encore une fois, comme au XIXe siècle, le prétexte d’un dessein politique qui ne peut aucunement leur profiter. Cette évidence n’a pas fait reculer les idéologues qui leur servent de porte-paroles.
Une première tentative fut effectuée pour "authentifier" le "génocide des Arméniens" auprès de la Sous-Commission de Protection des Minorités de la Commission des Droits de l’Homme de l’ONU à Genève. Proposée en 1973, la mention du "génocide arménien" comme un des cas types des mesures qu’il fallait proscrire, fut finalement refusée en 1978 par un vote à l’intérieur de la Sous-Commission.
Les remodeleurs de l’Histoire ne se tinrent pas pour battus et firent parvenir à l’ONU elle-même, en 1979, un appel indigné contre la décision de la Sous-Commission, signé par certains nombres d’intellectuels : on reconnaît là la mise en œuvre du procédé déjà évoqué à propos du pseudo - "tribunal" : contourner la résistance des faits historiques ou la décision d’organismes à compétence précise, pour faire appel à une opinion publique émotive et non-informée.
En 1983, M. Benjamin Whitaker, directeur d’une association humanitaire à Londres, fut chargé par la Sous-Commission de l’ONU d’établir un rapport sur les divers cas de génocide, à discuter lors de la 38e Session.
Cet organisme se réunit au mois d’août 1985, et après plusieurs jours de débats sur d’autres questions, passa à l’examen du rapport Whitaker : celui-ci énumérait, parmi plusieurs cas récents de génocide connus, le "génocide des Arméniens". Après une vive discussion, la Sous-Commission prit acte du dépôt du rapport dont l’opinion n’engageait évidemment que son auteur - mais compte tenu des critiques que celui-ci avait soulevées, refusa par un vote unanime des suffrages exprimés de transmettre ledit rapport à la Commission des Droits de l’Homme. Le document fut donc classé en archives et ce fut tout.
Ceci n’empêcha pas certains journaux arméniens de crier victoire. Influencé par eux, le Journal de Genève alla jusqu’à titrer, le 30 août 1985 : "Les Droits de l’Homme : le génocide des Arméniens est reconnu en Sous-Commission." Ainsi donc tous les procédés sont bons pour manipuler l’opinion publique : le dépôt d’un rapport individuel auprès un organisme - qui par ailleurs refuse de le transmettre - est assimilé à l’entérinement des conclusions de ce rapport [6].
On pourrait tenir tout cela pour discussions oiseuses : qu’importent après tout, ces controverses de procédure à l’intérieur d’une section d’un des innombrables organismes spécialisés de l’ONU, dont on sait par ailleurs le peu de prestige.
Si nous y avons insisté, c’est parce que cet incident met clairement en évidence la cible choisie par "les Arméniens". Peu importe après tout l’ONU dont le rôle effectif est fort limité, peu importe l’attitude des Puissances liées par des traités diplomatiques. Les amis des "Arméniens" ont parfaitement compris que, en temps de paix tout au moins, le pouvoir le plus important est le pouvoir culturel, que l’opinion publique - superficielle et maléable - se manipule par l’intoxication, et que, dans les grandes démocraties libérales du moins, les dirigeants politiques doivent suivre leur opinion publique et ne peuvent en tout cas pas l’affronter.
Après l’échec subi du fait des débordements terroristes, les "vengeurs de la cause arménienne" ont également compris qu’il fallait changer de manœuvre auprès de l’opinion et que la meilleure méthode consistait à faire "authentifier" leur propagande par des organismes politiques officiels dont la décision aurait été surprise grâce au concours intéressé de quelques "alliés objectifs".
Tel fut le cas tout récemment au Parlement de Strasbourg et les conséquences de ce qui s’y passa sont graves, non pas pour "l’Arménie" qui n’en peut rien tirer, mais bien pour l’Europe.
L’origine de cet incident majeur réside dans un rapport de M. Vandemeulebroucke soumis à la Commission politique du Parlement européen. Dans ce rapport, ce parlementaire affirmait - contre toute réalité - que le "génocide arménien" avait été entériné par la Sous-Commission de l’ONU à Genève, et que, en conséquence, le Parlement européen se devait de trancher à son tour sur cette question.
On constate ici, une fois de plus, la mise en œuvre de la politique de déformation de la vérité poursuivie avec acharnement, devant un auditoire de plus en plus vaste, par la propagande "arménienne", en utilisant des équivoques et des amalgames.
Le rapport en question fut déclaré irrecevable par la Commission politique du Parlement européen le 26 juin 1986. Mais sur une nouvelle offensive d’un certain "lobby", il revint devant la même Commission en février 1987, et celle-ci le renvoya à la discussion de l’assemblée plénière. C’est dans ces conditions que, le 18 juin 1987, le Parlement européen adopta une résolution stupéfiante.
Les assemblées parlementaires à compétence restreinte (comme c’est le cas du Parlement européen) ont toujours tendance à vouloir étendre celle-ci. Le Parlement européen n’échappe pas à cette attitude. Ce qui lui permet - en prétendant légiférer pour le monde entier de laisser en suspens les problèmes épineux qui sont de sa compétence personnelle.
On le vit bien lors de la résolution du 18 juin qui comporte des injonctions de droit interne adressées à l’Iran et même à l’URSS !
Et il ne pouvait en être autrement pour la Turquie qui, déjà membre du Conseil de l’Europe, demande son admission dans le Marché commun. Pour diverses raisons, politiques, économiques, sociales, qui sont évidentes et qu’il appartiendra au Gouvernement Turc de souligner s’il l’estime opportun, on fit bien sentir à celui-ci que sa présence n’était pour le moment pas souhaitée au sein de la Communauté Européenne. Mais aucun des motifs en question ne fut réellement évoqué lors de la discussion du 18 juin, dont les Arméniens fournirent le prétexte, et dont les débats se caractérisent par une vertueuse hypocrisie.
La question soumise au Parlement européen consistait donc à déterminer si - selon les termes d’un considérant de la résolution adoptée - "jusqu’à ce jour le gouvernement turc, par son refus de reconnaître le génocide de 1915, continue de priver le peuple arménien du droit à sa propre histoire".
On croit rêver ! L’histoire n’est pas un droit mais un fait ; l’existence de ce fait ne dépend de la reconnaissance de personne. Et le prétendu "droit à l’histoire" n’est, bien entendu, qu’un camouflage idéologique dissimulant, fort mal d’ailleurs, des revendications politiques bien précises et tout à fait actuelles.
C’est ce dont convirent immédiatement un certain nombre de députés européens indépendants lors des débats. Citons l’Allemand Lemmer : "Le Parlement a ainsi inscrit à son ordre du jour un thème qui peut être un objet de recherche historique, mais non un objet de discussion politique actuelle [7]."
L’Anglais Welsh ajoute fort justement : "Ce n’est pas le rôle du Parlement européen de déterminer les responsabilités encourues pour des événements tragiques qui eurent lieu il y a beaucoup d’années et bien avant la signature du traité de Rome. Nous sommes le Parlement de la Communauté Européenne. Nous ne pouvons pas nous comporter comme un tribunal en dernier ressort ni nous constituer juges d’événements historiques [8]."
Et si le Parlement européen avait compétence pour trancher des massacres historiques, pourquoi n’a-t-il pas refusé la porte du Marché commun à l’Angleterre de Mme Thatcher en punition des abominations commises par les armées de Cromwell en Irlande, ou à la France de Mitterrand pour le saccage du Palatinat par Louis XIV ? Pourtant, des témoignages en demeurent encore.
Le champ d’action des redresseurs de torts est d’ailleurs immense : on pourrait imaginer de punir à nouveau la France pour les exactions commises par Napoléon en Espagne, l’Espagne pour la barbarie de Philippe II aux Pays-Bas, le Danemark pour les massacres de Christian II en Suède, et d’autres folies prétendument réparatrices.
L’incompétence d’une assemblée parlementaire à ce sujet est le simple bon sens. Et, dans la logique de cette attitude, une énorme proportion des Députés Européens (les 3/4) refusa de prendre part à un vote sur une question qui ne rentrait pas dans la compétence du Parlement de Strasbourg. On les comprend, mais ce fût une erreur tactique gigantesque, qui risque d’obérer pour longtemps l’avenir de l’Europe elle-même.
En effet, le 18 juin 1987, et en l’absence de la majorité des membres, le Parlement européen adopta par une courte majorité (68 voix pour et 60 voix contre, sur 518 membres), la résolution proposée indirectement par le lobby "arménien".
Les articulats de cette décision sont d’un illogisme étonnant, qui est néanmoins révélateur de ses motivations profondes. On y lit :
"Regrettant profondément et condamnant le terrorisme absurde de groupes d’Arméniens responsables, entre 1973 et 1986, de plusieurs attentats, réprouvés par une écrasante majorité du peuple arménien, ayant causé la mort ou blessé d’innocentes victimes [9]."
"considérant que l’attitude intransigeante devant la question arménienne des gouvernements turcs qui se sont succédés n’a contribué en aucune manière à apaiser la tension [10]..."
Ainsi donc le terrorisme arménien "paye". Et selon une attitude, hélas trop fréquente dans les démocraties occidentales, le Parlement européen s’imagine naïvement pouvoir le désarmer en lui donnant satisfaction, satisfaction d’autant plus facile à accorder qu’elle se fait sur le dos d’un État tiers, en l’occurrence la République turque !
Prêt, dans ces conditions, à toutes les concessions, le Parlement européen déclare ensuite qu’il "est d’avis que les événements tragiques qui se sont déroulés en 1915-1917 contre les Arméniens établis sur le territoire de l’Empire ottoman constituent un génocide au sens de la Convention... de l’ONU [11]."
Ainsi donc voilà l’histoire remodelée et définie à posteriori par une assemblée parlementaire. Contrairement à tous les principes du Droit, nos législateurs européens ne légifèrent pas pour l’avenir - mais pour un fort lointain passé et dans des matières étrangères à leur compétence politique.
Mais se rendant compte de l’absurdité qui consisterait à tirer des conséquences actuelles de la pétition de principe précédemment énoncée, le Parlement européen ajoute aussitôt qu’il "reconnaît cependant que la Turquie actuelle ne saurait être tenue pour responsable du drame vécu par les Arméniens de l’Empire ottoman et souligne avec force que la reconnaissance de ces événements historiques en tant que génocide ne peut donner lieu à aucune revendication d’ordre politique, juridique ou matériel à l’encontre de la Turquie d’aujourd’hui [12]."
Nous verrons dans un instant ce qu’il en a été, dans les faits. Mais si donc la "reconnaissance du génocide" ne peut avoir aucune conséquence pratique, pourquoi donc l’avoir reconnu ? Le rôle d’une assemblée délibérante est-il de légiférer in abstracto, pour les nuages ? Personne ne l’a compris comme cela. Et l’angélisme de la résolution précédente dissimule mal une forte hypocrisie.
On s’en aperçoit aussitôt quand on prend connaissance de la résolution suivante : "Le Parlement... estime que le refus de l’actuel gouvernement turc de reconnaître le génocide commis autrefois contre le peuple arménien par le gouvernement "Jeunes Turcs", sa résistance à appliquer les normes du droit international dans ses différends avec la Grèce, le maintien des troupes turques d’occupation à Chypre, ainsi que la négation du fait kurde, constituent avec l’absence d’une véritable démocratieparlementaireet le non-respect des libertés individuelles et collectives, notamment religieuses, dans ce pays, des obstacles incontournables à l’examen d’une éventuelle adhésion de la Turquie à la Communauté [13]."
Voilà où l’on voulaiten venir ! et dans ce but, tout est amalgamé selon les procédés les plus ordinaires de la propagande. A partir d’une discussion apparemment académique sur la tragédie arménienne, discussion dont on affirme qu’elle est sans conséquences, on rajoute le Dodécanèse, les Kurdes, Chypre, des considérations de politique intérieure turque - tout cela pour déclarer que la Turquie d’aujourd’hui doit demeurer à l’écart de l’Europe car (et cela on ne le dit pas), sa présence y gênerait certains intérêts sur lesquels il est inutile d’insister.
Or la Turquie, qu’on le veuille ou non, constitue un pont entre l’Europe et le Moyen-Orient. "La Turquie doit être l’Europe musulmane s’adressant à d’autres musulmans" (Charles Lemand in Revue des Deux Mondes, mars 1987, p. 608). C’est un fait qui devrait - s’ils étaient responsables - retenir l’attention de nos politiciens à une époque où en France (pour ne citer qu’elle) l’Islam constitue la seconde religion en importance numérique.
Or, un pont a toujours deux bouts. Si la Turquie est refusée en Europe, elle aura, tout naturellement tendance à s’appuyer sur ses voisins de l’Est et du Sud, d’autant plus qu’elle est peuplée de Musulmans d’origine asiatique. Les conséquences d’une telle politique pour l’avenir de l’Europe peuvent être, à long terme, incalculables. En fermant l’entrée de l’Europe à la République turque, les députés socialo-communistes au Parlement européen ont - une fois de plus et par pur sectarisme - trahi les intérêts européens dont ils avaient la charge et compromis l’avenir de l’Europe elle-même.
Et ils n’ont même pas désarmé les révolutionnaires arméniens, comme ils prétendaient piteusement le faire en leur faisant des concessions ; ils n’ont au contraire réussi qu’à renforcer leurs prétentions.
Dans une interview accordée à Gilles Schneider, et publiée par le journal Gamk du 15 juillet 1987, organe du parti révolutionnaire arménien Dachnak, Henri Papazian,un des leaders de ce groupe, déclare : "Les Arméniens ont des revendications historiques. Le peuple arménien a des terres historiques qui se situent aux confins du Caucase... Nous avons aujourd’hui une revendication territoriale clairement exprimée." Ceci pour ajouter : "Dans la résolution du Parlement européen, il est clairement stipulé qu’il faut engager un dialogue politique entre le gouvernement turc et les représentants des Arméniens. Nous sommes tout à fait partie prenante dans une procédure de ce type."
Et voilà ! A quoi sert, dans ces conditions, la résolution du Parlement européen déjà citée selon laquelle l’affirmation du génocide "ne peut donner lieu à aucune revendication d’ordre politique, juridique ou matériel ?" Inconscience, ou hypocrisie de la part de ses auteurs ? En tout cas, irresponsabilité. Il est vrai, fort heureusement, que les gouvernements européens, eux, n’ont pas donné le spectacle d’une pareille démission.
Le gouvernement de la RFA a aussitôt déclaré qu’il s’en tenait à ses déclarations précédentes selon lesquelles une prise de position sur des événements remontant à soixante-dix ans relève des historiens et non des hommes politiques.
Le 7 juillet, le Foreign Office déclarait qu’il n’était pas concerné par la récente résolution du Parlement européen, qui n’engageait que les parlementaires qui l’avaient prise, et non les Etats, comme la Grande-Bretagne, dont ils étaient ressortissants. Les ministres des Affaires étrangères belge et danois ont fait dans le même sens, des déclarations catégoriques.
En France, M. Michel Noir, ministre du Commerce extérieur, déclarait le 3 juillet dans une interview à la télévision turque :
"Le vote (du 18 juin) n’engage pas les gouvernements et les États membres du Parlement européen..."
"La France a une attitude très claire en ce qui concerne la question arménienne [14]. Le gouvernement français n’a pas l’intention de tenir responsable le gouvernement turc actuel des événements survenus il y a soixante-dix ans."
Dans le flot de propagande démagogique que suscite l’affaire arménienne, il subsiste donc un bon sens certain chez les responsables réels de la politique européenne.
Mais cette situation ne doit pas trop faire illusion : que la campagne actuelle de vengeance et de mensonge se développe, qu’elle enregistre quelque nouveau succès de propagande, immédiatement grossi, et la situation des gouvernements européens traditionnellement amis de la République turque risque de devenir difficile, car ils ont à compter avec leur opinion publique.
Dans un ouvrage paru en Grande-Bretagne en 1916, un observateur anglais, honnête et objectif, notait déjà :
"Le Turc ne daigne jamais expliquer son propre cas [15] tandis que les pro-Arméniens s’arrangent toujours à tenir le haut du pavé, effrayant le public en répétant sans cesse, et en l’exagérant, le nombre des victimes, et apparemment en appréciant à sa juste valeur un vieux proverbe oriental : ’Donnez à un mensonge une avance de 24 heures, et il faudra 100 ans avant de la vaincre’ [16]."
Et ce n’est pas sans inquiétude qu’on voit apparaître, de plus en plus fréquemment, une assimilation tendancieuse entre la tragédie de 1915 et le génocide perpétré par les nazis à l’encontre des Juifs. Les survivants de la "Shoah" ne tiennent, pour leur part, nullement à cet amalgame qui repose exclusivement sur une similitude partielle de situation : le déplacement forcé d’une population d’un lieu à un autre. Mais il prospère, car le propre de la propagande est de frapper les esprits par des arguments simplistes et émouvants.
Et l’opinion, même éclairée, a du mal à reconnaître à travers le discours des "vengeurs de la cause arménienne" la mise en œuvre des trois procédés, pourtant bien connus, de la dialectique marxiste :
la reconstruction rétroactive de l’Histoire (qui permettra éventuellement l’application de lois rétroactives) ;
la thèse du complot secret des oppresseurs (d’autant plus pervers qu’ils n’ont pas laissé de trace de leurs noirs desseins) ;
et la culpabilisation de l’adversaire (qu’on poursuivra d’autant plus farouchement au nom de la Morale qu’on confondra, volontairement, la Morale au Droit).
Et devant ce déferlement de propagande qui risque d’avoir pour l’avenir de l’Europe des conséquences très précises et catastrophiques, la réaction de tous les esprits honnêtes est indispensable. Ce livre n’avait pas d’autre but que d’y contribuer.
Le prétendu génocide arménien (partie 2) | Conclusions |
[1] Antérieurement à la décomposition du Liban après 1975, 70 % de la population de ce pays était arménienne. Jérusalem comporte un quartier arménien.
[2] Chaliand et Ternon, Le Génocide, p. 177.
[3] Tous les passages soulignés dans l’ouvrage, y compris les extraits de citations, l’ont été par l’auteur.
[4] Plaidoirie de Maître Loyrette au procès de l’attentat d’Orly, publiée par la Faculté de Sciences politiques de l’Université d’Ankara, 1985, p. 74.
[5] Le Pr. de Vischer, in Théories et réalités en Droit international public (Paris, Pedone, 1970, p. 189) rappelle les principes applicables en la matière : "Relativement aux rapports issus des traités, le principe ne fait pas de doute : sauf engagement contraire assumé par un autre État, ces rapports disparaissent avec la personnalité des États contractants..." Ces dispositions sont à comparer (p. 191) "avec la solution toute juridique uniformément admise, touchant la non-transmissibilité des obligations ex-delicto qui incomberaient à l’État disparu au titre de la responsabilité internationale. Elle découle en effet du seul principe de la personnalité de la faute". Ces principes sont si évidents que le préfacier de l’œuvre du Tribunal des Peuples doit en convenir avec gêne : "La question qui est en réalité posée, et c’est bien pourquoi elle est si difficile (!), est celle de l’identité même de l’État fondé par Mustafa Kemal, unitaire, voire jacobin, succédant à l’Empire hiérarchique et multinational des Ottomans" (P. Vidal-Naquet, in Le Crime, p. 16).
[6] Sur la discussion du rapport Whitaker à Genève, voir T. Ataöv, La vérité au sujet du rapport Whitaker, Faculté des Sciences politiques de l’Université d’Ankara, 1986 - Le professeur Ataöv est lui-même membre de la Sous-Commission de l’ONU qui discuta le rapport.
[7] Parlement européen. Compte-rendu des débats du 18-6-1987, p.454.
[8] Ibidem.
[9] Considérant H.
[10] Considérant i.
[11] Résolution i2.
[12] Ibidem.
[13] Résolution i4.
[14] Le Ministre fait ici allusion à une déclaration de M. Raimond, ministre français des Affaires étrangères, relative à "la tragédie dont la communauté arménienne a été victime il y a soixante-douze ans et qu’elle a vécu comme un génocide" (Journal Officiel, débats de l’Assemblée nationale, réponse à M. Ducoloné. 1re séance du 22 avril 1987). En termes élégants, M. Raimond résume entièrement notre point de vue.
[15] Ecrit en 1916. Les Turcs ont changé depuis.
[16] C.F. Dixon-Johnson, The Armenians, Northgate, Blackburn, 1916, p. 49.