Le livre de Georges de Maleville
La tragédie arménienne de 1915
SOMMAIRE
Le cadre historique des événements
1er Chapitre - Le cadre historique des événements
Pour bien apprécier les événements tragiques dont nous allons parler, il est nécessaire d’avoir clairement à l’esprit le cadre géographique où ils se sont produits - ainsi que leurs antécédents historiques.
Géographiquement, la Grande Arménie forme un territoire aux frontières indécises dont le mont Ararat (5.165 m) constituerait à peu près le centre et qui serait environ borné par les trois grands lacs du Caucase : Sevan au nord-est, lac de Van au sud-ouest, lac d’Urmia en Azerbaïdjan iranien au sud-est. On ne peut donner plus de précisions sur ces limites qui, pour le passé, sont inconnues.
L’Arménie est donc plus ou moins centrée sur le mont Ararat, dont le nom rappelle le royaume d’Ourartou sous lequel cette région est entrée - pour la première fois - dans l’histoire. Mais cependant, malgré sa position centrale au milieu du Caucase et aux frontières de trois empires (russe, turc et iranien), l’Arménie n’est pas la Suisse : au cœur de la Suisse historique, en haute montagne, il est une région où il suffit de se tourner et de faire un faible parcours dans une direction ou dans une autre, pour se retrouver dans la vallée de l’Inn conduisant à la mer Noire par le Danube, ou dans celle du Rhin conduisant à la mer du Nord par l’Allemagne, ou dans celle du Rhône menant en Méditerranée. La géographie n’a pas favorisé l’Arménie de façon pareille.
Bien sûr, la chaîne de l’Ararat et des montagnes adjacentes est un énorme château d’eau où prennent naissance tous les fleuves de cette région et notamment le Tigre et l’Euphrate qui vont encadrer la Mésopotamie - mais ici la disposition du relief n’est pas en étoile : dans l’Arménie historique, les hautes vallées des fleuves caucasiens ne divergent pas, mais s’imbriquent parallèlement les unes aux autres à la façon de deux mains croisées : un pigeon qui s’envolerait d’Agri, au nord du lac de Van, pour rejoindre au nord la mer Noire en ligne droite, traverserait en moins de 200 kilomètres, 4 vallées parallèles :
- celle du fleuve Murat, affluent de l’Euphrate, qui coule vers l’ouest ;
- celle de l’Araxe qui coule vers l’Est, puis fait un grand coude à la hauteur d’Erivan et va se jeter au Sud Est dans la Caspienne à Bakou ;
- celle du Firat, l’Euphrate, qui arrose Erzincan vers l’Ouest puis va se jeter dans le Golfe Persique après avoir complètement changé de direction ;
- et enfin celle du fleuve Coruh qui coule vers le nord-est, arrose Artvin et va se jeter dans la mer Noire à Batoum.
Ces considérations géographiques ont une importance historique réelle. L’imbrication des vallées, parallèles mais alternativement en sens contraire, entraîne l’absence d’homogénéité des populations autochtones. La Suisse s’est formée parce que ses montagnes centrales étaient habitées par une population très unie, alémanique et germanophone, qui a peu à peu étendu son influence aux alentours. Rien de pareil n’existait jusqu’à une date récente dans le Caucase central - et les populations qui s’y étaient établies au cours des siècles (Géorgiens, Arméniens, Azéris, Kurdes et Turcs) étaient imbriquées les unes dans les autres et voyaient leur influence respective croître ou diminuer selon le déplacement vers l’est, l’ouest ou le nord, de la frontière des trois grands empires dont elles dépendaient.
Nous insistons sur ce point - car il nous paraît essentiel de ne pas interpréter le passé à partir du présent - comme essayent de le faire systématiquement les prétendus porte-paroles des Arméniens dans l’exposé de leurs prétentions. Il est exact qu’il existe aujourd’hui, au Caucase central, un noyau arménien, la RSS d’Arménie dont la population, selon les statistiques soviétiques, est formée à 90% d’Arméniens. Mais il n’en a pas toujours été ainsi. A l’inverse, les "six provinces arméniennes" de la Turquie ottomane (Erzurum, Van et Bitlis, Diyarbakir, Elaziz et Sivas) étaient peuplées, avant 1914, d’une proportion notable d’Arméniens (qui n’étaient néanmoins nulle part majoritaires), alors qu’il ne subsiste plus d’Arméniens aujourd’hui en Anatolie, et que c’est précisément leur disparition qu’on impute, à crime, au gouvernement turc.
La République arménienne qui s’est constituée en sur les ruines de l’empire tsariste par la volonté de l’Angleterre a représenté, durant sa brève existence autonome (1918-1923), le seul État arménien indépendant dont l’Histoire a enregistré l’existence de façon certaine.
En effet, le peuple arménien n’apparaît qu’au VIIe siècle avant J.-C. - après la chute du royaume d’Ourartou sous les coups des Assyriens. Il s’agissait probablement de colons phrygiens, venus de l’Ouest, en tout cas d’ Indo-Européens, ainsi qu’en atteste leur langue. Mais le territoire qu’ils ont alors occupé - à savoir la haute vallée de l’Araxe - était une province assyrienne, qui devint mède - puis grecque à la suite de la conquête de l’Iran par Alexandre. A la mort de celui-ci, l’Arménie échut aux Seleucides.
Vers le début du IIe siècle avant J.-C., on voit émerger, à titre de vassal des Seleucides, une dynastie de princes locaux qui essayent d’obtenir leur indépendance, dans la situation périphérique où se trouve leur principauté, en s’assurant l’alliance d’un de leurs voisins contre l’autre - mais elle ne parviendra jamais à assurer aux Arméniens une indépendance réelle - et ceux-ci demeureront toujours les vassaux d’un lointain empire - à la seule exception de la période 95 et 66 avant J.- C. où un chef local, Tigrane, profitant des difficultés communes de ses voisins Mithridate et le souverain persan, avec les Romains, parvint à s’assurer une indépendance éphémère - mais fut finalement vaincu et soumis par Pompée.
Tigrane était-il "arménien", au sens où nous l’entendrions aujourd’hui de la population arménienne de Marseille ou de Jérusalem ? C’est peu probable. En 400 avant J.-C., quand Xénophon (Anabase) traverse le territoire appelé plus tard Arménie, la population y parle une langue élamite, donc asianique.
L’ethnie arménienne, telle que nous la connaissons aujourd’hui avec ses caractéristiques de langue, de type physique et de religion, ne semble s’être différenciée qu’au Haut Moyen Age. Et faire de Tigrane un "souverain arménien" semble aussi mythique que de faire de Vercingétorix un "général français".
Jusqu’au milieu du VIe siècle de notre ère, l’Arménie va subir, au gré des circonstances, la domination alternée de Rome ou de la Perse - tout en se convertissant en + 301 au christianisme (qui prendra chez elle la forme de schisme grégorien après le Concile de Chalcédoine en 451). En , l’Arménie fut finalement partagée : sa capitale de l’époque, Dvin (près du lac Sevan), ainsi que les territoires de l’Est, échurent à la Perse sassanide ; la région de l’Ouest revint à Byzance. Ce partage est important car on y constate pour la première fois et de façon précise, la division de l’Arménie en deux morceaux selon la ligne de la vallée de l’Araxe, la partie occidentale revenant, comme c’est encore le cas aujourd’hui, au souverain gouvernant l’Anatolie.
En 629, Byzance, luttant victorieusement contre les Perses, conquit toute l’Arménie - mais cet effort fut sans résultat puisque dès 642, les Arabes, venant de Mésopotamie, conquirent Dvin à leur tour, et abandonnèrent d’ailleurs l’administration de la province à des féodaux dépendant directement de Damas puis de Bagdad.
Dans la période de semi-anarchie qui suivit, on constate l’émergence d’une famille noble locale, les Bagration, d’ailleurs d’origine juive, établis à Ani à partir de l’an 800. En 885, Achad Bagratouni réussit à s’imposer aux autres féodaux tout en restant lui-même vassal de Bagdad. Sa famille parviendra, vers 970, à s’assurer une indépendance de fait vis-à-vis des Abassides - mais celle-ci s’accompagnera, en contrepartie, d’un nouveau morcellement féodal de l’Arménie.
C’est de cette époque que datent les monuments arméniens subsistant à Ani.
En , le souverain bagratide légua sa principauté au Basileus Constantin Monomaque qui dut toutefois la conquérir et s’assurer la prise d’Ani.
Ce retour en force des Byzantins fut d’ailleurs sans lendemain car dès , les Turcs seldjoukides défirent à Mantzikart le Basileus Romain Diogène et annexèrent en conséquence l’Anatolie dont l’Arménie.
"L’indépendance", précaire et due à la faiblesse des États voisins, d’une Arménie féodale et d’ailleurs anarchique, avait donc duré environ soixante-quinze ans. Et ce fut tout. Ce n’est pas faire injure à la culture arménienne, brillante par ailleurs, que de le constater. Certains peuples se constituent naturellement en États et s’acharnent dans leurs efforts jusqu’à y parvenir. D’autres s’en désintéressent et attachent plus d’importance à la persistance du lien culturel qui unit leurs membres malgré leur dispersion. C’est ainsi et cette constatation n’implique aucun jugement : simplement il s’agit de reconnaître la vérité. Si les Arméniens avaient eu vraiment et d’eux-mêmes une conscience nationale, ils auraient lutté obstinément jusqu’à imposer leur indépendance - comme firent par exemple, les Albanais ou les Montenegrins - et ils y seraient parvenus d’eux-mêmes - comme tant d’autres nations chrétiennes de l’Empire ottoman - bien avant les "massacres" dont ils furent prétendument victimes à la fin du XIXe siècle. Mais tout au contraire, ils acceptèrent fort sagement pendant huit siècles la domination seldjoukide puis ottomane, ne se plaignant nullement d’un système de gouvernement qui leur permit de pratiquer leur religion en paix, d’occuper dans l’État des charges très importantes et d’acquérir un quasi-monopole dans le négoce. Tels sont les faits.
Il est vrai qu’exista également un royaume de Petite Arménie : fondé au XIIe siècle, dans le tourbillon du passage des croisades, il réunit divers fiefs que les Byzantins avaient constitués à des seigneurs arméniens entre Kayseri et Adana, pour les dédommager de l’annexion de leurs terres en Arménie propre lors de la conquête de . Ces seigneurs s’étaient fait accompagner de leurs serfs, ce qui amena une certaine immigration arménienne en Cilicie.
La principauté arménienne, dont la capitale était à Sis, s’appuya sur les principautés franques d’Edesse (Urfa), Antioche et Tripoli. Elle connut son heure de gloire lorsque le prince Léon II fut couronné roi en par l’empereur Henri VI Barberousse.
Lors de l’invasion mongole de l’Anatolie, en , la Petite Arménie se soumit aux Mongols et soutint, en Syrie, leur politique favorable à la colonisation franque. Cette attitude l’amena, tout naturellement après la défaite du Khan Hulagu en , à être envahie et ravagée par ses ennemis, les Mameluks. Une seconde expédition Mameluk, en , aboutit à la prise de Sis, à la conquête de la Cilicie, et à la déportation à Alep de 40.000 personnes, représentant l’essentiel de la population arménienne. (Ces immigrés d’alors constituent d’ailleurs, malgré une légende complaisamment diffusée aujourd’hui, le noyau du peuplement arménien actuel en Syrie et en Palestine).
Entre-temps, Léon IV, dernier souverain de Cilicie, était mort en , léguant ses prétentions dynastiques sur son royaume moribond aux princes français Lusignan de Chypre. Ainsi disparut le second établissement arménien que l’histoire ait connu.
En , selon les statistiques officielles ottomanes, il demeurerait un peu moins de 150.000 Arméniens recensés, cumulativement dans la province d’Adana et les districts de Kayseri et de Marash, - soit simplement une minorité notable de la population - quelquefois concentrée comme à Zeytoun. Mais invoquer à ce sujet un "droit historique" des Arméniens à la possession de la Cilicie, comme l’a fait une certaine propagande depuis un siècle, est aussi absurde que si la Belgique revendiquait la Palestine et le Liban au motif que des barons flamands ont jadis conquis ces territoires, ont été rois de Jérusalem et ont construit dans ces deux régions des forteresses qui portent des noms français.
Il est nécessaire de le souligner - quoique ce soit une évidence - car dans les rêveries grandioses auxquelles les Arméniens se sont abandonnés vers , ils avaient imaginé une Arménie gigantesque, riveraine de trois mers, d’Adana à Trabzon et s’étendant jusqu’à Bakou ! Le sort ne leur a pas permis de pareilles conquêtes. Et ils n’avaient en tous cas à de telles prétentions, aucun droit quel qu’il fût.
La Grande Arménie, nous l’avons dit, avait donc perdu son autonomie en 1045 lors de sa reconquête par les Byzantins. Elle avait depuis lors cessé d’exister en tant qu’entité politique indépendante. Mais elle allait bientôt perdre de nouveau son unité - sans retrouver sa souveraineté - ce qui entraînera pour les populations arméniennes des conséquences extrêmement graves - qui sont à l’origine de tous leurs malheurs par la suite.
Vassale des Seldjoukides, puis des Ottomans, envahie par Timour (en ), l’Arménie fut conquise vers par les Turcomans du Mouton Blanc - puis annexée à l’Iran par les Séfévides en . A l’époque, la frontière occidentale du territoire conquis se situait entre Erzincan et Sivas.
A partir de , le sultan ottoman Selim 1er entrepris la conquête de l’Anatolie orientale et s’assura par la victoire de Tchaldiran sur les Séfévides alors installés à Ispahan, la domination de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan. Il s’ensuivit toutefois d’une guerre prolongée contre la Perse qui ne se termina qu’en par un brillant succès de Soliman le Magnifique, puisque le traité d’Amasya lui accordait, outre l’Arménie, la totalité de l’Azerbaïdjan ainsi que la Mingrélie (Géorgie) et l’Abkhazie.
Cependant, cette suzeraineté ne durera pas et, par le traité de Kasr-i-Chirine, conclu en , le sultan rétrocéda à la Perse la partie orientale de la Transcaucasie, à savoir l’Azerbaïdjan, et la partie de l’Arménie située à l’est de l’Araxe avec Erivan et Etchmiadzine. L’Arménie était donc à nouveau divisée - comme mille ans plus tôt, entre deux puissances qui la jouxtaient, et selon le même tracé.
Et la frontière se retrouve aujourd’hui exactement la même, remontant le cours de l’Araxe jusqu’au grand coude du fleuve vers l’Ouest, en amont d’Erivan.
Mais depuis , la limite a entre-temps été considérablement modifiée du fait de l’intervention des Russes au Caucase.
Dès le traité de Kutchuk-Kaînardji qui consacre, en , la perte de suzeraineté des Ottomans sur la Crimée, il est manifeste que le projet politique des Russes est d’annexer les rives de la mer Noire. Ils y procèderont petit à petit, par petit morceau, avec une obstination inébranlable.
En ce qui concerne la rive orientale, le premier recul ottoman est marqué par le traité de Bucarest en qui consacre la cession aux Russes de l’Abkhazie et de la Géorgie - d’ailleurs annexés dès . Libérées de la pression turque, les armées du tsar Alexandre 1er, qui sont sur place au Caucase, entament aussitôt contre la Perse une interminable guerre qui ne prendra fin en que par la cession par les Persans aux Russes de tous leurs territoires au nord de l’Araxe, et notamment du Khanat d’Erivan, c’est-à-dire de l’Arménie orientale. Par le traité de Turkmentchay, signé au mois de mars, les Russes deviennent donc frontaliers des Turcs et succèdent aux Persans dans la souveraineté sur une partie du territoire de l’Arménie historique.
Et un mois plus tard, dès , l’armée de Loris Melikov qui venait de terminer la campagne d’Arménie, envahit l’Anatolie turque dans le cadre des opérations de la cinquième guerre russo-turque et met pour la première fois le siège devant la forteresse de Kars. C’est en cette occasion également que, pour la première fois, les populations de l’Arménie turque verront apparaître, secondant l’armée russe, des unités de volontaires arméniens originaires d’Erivan, fanatisés par le Catholicos d’Etchmiadzine, et chargés de terroriser la population musulmane tout en appelant la population arménienne turque à la révolte.
Le même scénario se reproduira imperturbablement durant quatre-vingt-dix ans, chaque fois que les armées russes effectueront une percée sur le même territoire, à cette nuance près qu’avec le temps la propagande russe perfectionnera ses méthodes et qu’à partir du moment où la "question arménienne" sera devenue un objet d’agitation permanente, les armées russes seront assurées de pouvoir compter en territoire turc, et sur les arrières de l’armée turque, sur le concours de bandes rebelles armées, qui en attendant la percée de l’armée russe, harcèleront les armées turques et tenteront de les détruire par derrière.
La campagne de fut sans résultat pour les Russes, car au traité d’Andrinople, ils abandonnèrent le territoire envahi ; toutefois, la Turquie perdait Batum.
Lors de la guerre de Crimée, à l’automne , après la chute de Sébastopol, le nouveau tsar Alexandre II fit un effort obstiné pour venger l’échec de son père. Il prit Kars, mais la forteresse fut rétrocédée au traité de Paris en , et la frontière antérieure confirmée.
Vingt ans plus tard, lors de la campagne de , les Russes étaient bien décidés à rendre, cette fois, leur pénétration en Arménie définitive. Après la troisième prise de Kars et le désastre du front turc occidental, le traité de Berlin (en retrait sur celui de San Stefano qui abandonnait en plus Agri et l’Ararat), cédait aux Russes la haute vallée de l’Araxe et les districts de Kars et d’Ardahan. Les Russes s’empressèrent d’ailleurs de rattacher Kars à leur chemin de fer de Tbilissi et de rendre sa forteresse formidable.
Trente-six ans vont alors s’écouler jusqu’au prochain conflit, marqué par la déclaration de guerre du . Mais cette période assez longue ne sera nullement un moment de paix pour l’Arménie turque. A partir de , et pour la première fois dans son histoire, l’Arménie turque est parcourue de révoltes, de banditisme et d’une agitation sanglante que le pouvoir ottoman essaye de réprimer sans grand succès. Les rébellions - nous y reviendrons - se succèdent selon une chronologie qui n’est pas fortuite : l’agitation se répand systématiquement et la répression qui accompagne nécessairement le rétablissement de l’ordre installe des rancunes tenaces.
Tout le territoire compris entre Erzincan et Erzurum au nord, Diyarbakir et Van au sud est soumis durant plus de vingt ans à une provocation à la révolte avec toutes les conséquences que cela entraîne dans une région au surplus éloignée et sous-administrée.
Il faut garder ces considérations présentes à l’esprit si l’on veut comprendre l’esprit d’énervement et de rancœur dans lequel se trouvaient les populations concernées au début de la guerre, juste avant la survenance des événements que nous allons examiner.
Au , la Turquie entre en guerre.
Et au printemps , son gouvernement décide de transporter la population arménienne de l’Anatolie orientale en Syrie et en Haute Mésopotamie, alors territoire turc. Il s’agirait, en réalité, nous prétend-on, d’un massacre, d’une mesure d’extermination déguisée. Nous allons examiner ce qu’il en est. Mais il est nécessaire, avant d’exposer et de discuter ces événements douloureux de considérer, toujours d’après la carte, les déplacements de la ligne de front durant la guerre.
Aujourd’hui, sauf dans les grandes villes, il n’y a pratiquement plus d’Arméniens en Turquie. La frontière turco-russe a été repoussée sur la ligne de et une République d’Arménie fédérée à l’URSS rassemble l’essentiel de la population arménienne. Que sont devenus les Arméniens qui vivaient autrefois en Turquie ? Sont-ils tous morts ? C’est une question dont on ne peut se faire aucune idée si l’on examine pas, préalablement, le plan des opérations durant la guerre :
Au mois de , l’armée turque, commandée par Enver, attaque en direction de Kars et subit à Sarikamis un désastre dû autant au froid et à l’impréparation qu’à la résistance ennemie. Le front se stabilise ensuite, à l’est d’Erzurum aux alentours de la nouvelle frontière.
Au début de , à l’insu des Turcs, les Russes amorcent un mouvement tournant en contournant l’Ararat et en descendant vers le sud le long de la frontière persane. C’est alors qu’éclate la révolte des Arméniens de Van, qui entraîne le premier déplacement important de population arménienne durant la guerre - sur laquelle il faut donc un peu nous arrêter :
Dès le , un télégramme du gouverneur de Van annonce l’insurrection et précise : "Nous pensons qu’il y a plus de 2.000 rebelles et essayons de réprimer cette insurrection. [1]" Peine perdue d’ailleurs, car le , le même gouverneur informe que la rébellion s’étend dans les villages des alentours [2]. Un mois plus tard, la situation est désespérée : voici ce que câble le gouverneur le : "4.000 rebelles ont été ramenés des alentours dans la région. Les rebelles coupent les routes, attaquent les villages des alentours et les incendient. Actuellement, beaucoup de femmes et d’enfants n’ont ni foyer, ni maisons... Ne conviendrait-il pas de transférer ces femmes et ces enfants (musulmans) dans les provinces de l’Ouest ?"... [3] Ce ne peut malheureusement pas être fait aussitôt et voici les conséquences de cette carence :
"L’armée russe du Caucase commence une offensive en direction de Van" - nous dit l’historien américain Stanford J. Shaw [4] - "avec le soutien d’un grand nombre de volontaires arméniens... Quittant Erivan le ... Ils atteignirent Van le et organisèrent et exécutèrent un massacre général de la population musulmane locale durant les deux jours suivants... Un État arménien fut constitué à Van sous protection russe, et il semblait qu’il pourrait se maintenir après la disparition des habitants musulmans morts ou en fuite."
La population arménienne de la ville de Van ne représentait, avant ces événements tragiques, que 33.789 personnes, soit 42 % seulement de la population totale [5]. Ceci donne une idée de l’ampleur de ces massacres perpétrés sur une population désarmée (les musulmans hommes étaient au front) dans le simple but de faire le vide.
Et ces agissements n’eurent rien d’accidentel ni de fortuit. Voici ce qu’en dit un autre historien, Valyi : "En , les révolutionnaires arméniens s’emparèrent de la ville de Van et y établirent un état-major arménien sous le commandement d’Aram et de Varelou" (deux chefs du parti révolutionnaire Dachnak). "Le " (probablement ancien style), "ils livrèrent la ville à l’armée russe après avoir nettoyé le district de tous les musulmans... Parmi les leaders arméniens les plus notoires" (à Van), "se trouvait un ancien membre du Parlement turc, Pasdermadjian, connu sous le nom de Garro. Il avait pris la tête des volontaires arméniens lorsque les hostilités entre les Turcs et les Russes avaient commencé". [6]
Le , le tsar faisait d’ailleurs parvenir "ses remerciements à la population arménienne de Van pour son dévouement" - [7] tandis qu’Aram Manukian était nommé gouverneur par les Russes.
Shaw poursuit la description des événements à la suite de la création de l’administration arménienne insurgée.
"Des milliers d’Arméniens de Mush ainsi que des autres principaux centres de l’Est commencèrent à accourir dans le nouvel État arménien, et parmi eux, beaucoup de fugitifs des colonnes de déportés » (qu’on venait de constituer)... "A la mi-juillet, il y avait au moins 250.000 Arméniens assemblés dans la région de Van...". Au début de juillet, cependant, des renforts ottomans repoussèrent l’armée russe. Celle-ci était accompagnée dans sa retraite par les milliers d’Arméniens qui redoutaient un châtiment pour les meurtres que l’Etat mort-né avait rendu possible [8]. » Un auteur arménien violemment hostile aux Turcs, Hovannisian, écrit : "La panique fut indescriptible. Après un mois de résistance au gouverneur, après la libération de la cité, après l’établissement d’un gouvernement arménien, tout était perdu. Fuyant derrière les forces russes en retraite, près de 200.000 réfugiés, perdant le plus clair de ce qu’ils possédaient dans les embuscades répétées des Kurdes, se précipitèrent en Transcaucasie [9]." L’auteur estime à 40.000 le nombre des Arméniens tués durant cette déroute.
Nous avons un peu insisté sur les événements de Van car ils sont malheureusement tristement exemplaires :
D’abord, on y saisit clairement à quel point l’insurrection dans les régions à fort peuplement minoritaire arménien était générale au début de et menaçante pour les armées ottomanes qui se battaient contre les Russes. Il s’agit là - purement et simplement – des faits de trahison devant l’ennemi. Ce comportement des Arméniens est d’ailleurs systématiquement minimisé aujourd’hui par les auteurs favorables à leurs prétentions - voire purement et simplement nié : la vérité les gêne.
D’autre part, les télégrammes officiels ottomans confirment l’opinion de tous les auteurs objectifs sur la volonté systématique des leaders arméniens de supprimer la majorité - musulmane - de la population locale, pour pouvoir s’emparer du pays. Nous l’avons déjà dit et nous y reviendrons : nulle part, dans l’Empire ottoman, la population arménienne qui s’était volontairement éparpillée, ne constituait une majorité - même faible - permettant la constitution d’une région arménienne autonome. Dans ces conditions, il ne restait aux révolutionnaires arméniens, pour faire triompher leur politique, que le "moyen » de transformer la minorité en majorité par l’extermination de la population musulmane. Ils ont eu recours à ce procédé chaque fois qu’ils ont eu les mains libres - contre l’opposition des Russes eux-mêmes.
Enfin, et c’est un élément essentiel de nos constatations - quand on cherche à faire le compte des Arméniens prétendument massacrés par les Turcs, il ne faut en aucun cas, pour l’observateur honnête, faire correspondre le nombre des disparus avec celui des prétendus victimes : tout au long de la guerre, les déplacements du front, et l’espoir insensé de voir se constituer en pleine guerre un état arménien autonome, sous protection russe, ont entraîné une véritable aspiration de la population arménienne ottomane. C’est Hovannisian, auteur arménien, qui nous le dit. La folle insurrection de Van draine à elle, de tous les points de l’Anatolie orientale, 200.000 Arméniens qui s’enfuiront ensuite, en franchissant des montagnes de 3.000 m, en Arménie russe, pour revenir plus tard à Erzurum, s’enfuir de nouveau avec d’autres, et ainsi de suite. Il est inévitable qu’une population qui subit un tel calvaire, en pleine guerre, perde une partie considérable de ses effectifs.
Mais l’honnêteté devrait conduire à refuser d’imputer aux Turcs ces pertes humaines, dues exclusivement aux circonstances de la guerre, et à la folle propagande qui, depuis des décennies, intoxiquait les Arméniens ottomans en leur faisant croire qu’ils pourraient, par la révolte et par l’assassinat, constituer un État autonome alors qu’ils étaient minoritaires partout.
Revenons à l’histoire des combats :
La percée ottomane fut sans lendemain et dès le mois d’août, les Turcs durent de nouveau céder Van aux Russes. Le front oriental se stabilise alors sur une ligne Van-Agri-Horasan jusqu’à la fin de l’année .
Mais en , se déclenche une grande offensive russe sous la forme d’une tenaille à deux branches : l’une contournant le lac de Van par le sud, en direction de Bitlis et de Mus, l’autre se dirigeant à partir de Kars vers Erzurum qui fut prise le .
Ici encore, les Russes étaient accompagnés d’irréguliers Arméniens décidés à faire le vide devant eux :
Shaw note : "Il s’ensuivit le pire massacre de la guerre puisque plus d’un millionde paysans musulmans et de nomades durent s’enfuir, tandis que des milliers d’entre eux étaient taillés en pièces alors qu’ils essayèrent de suivre l’armée ottomaneen retraite vers Erzincan [10]." On s’étonnera de l’ampleur de ce chiffre : il donne une idée de la réputation de férocité que les auxiliaires arméniens avaient acquise et qu’ils entretenaient par la terreur (les armées russes n’étant bien entendu pas en cause).
Les revers ottomans s’accumulèrent alors : le , Trabzon était prise, et au mois de juillet, Erzincan : Sivas même était menacée. Cependant l’offensive russe au sud,autour du lac de Van était repoussée. A l’automne de , le front formait donc une poche, convexe du côté turc, qui incluait Trabzon et Erzincan en territoire russe, pour rejoindre Bitlisvers le sud. Il demeurera stationnaire jusqu’au printemps de .
Bien entendu, les organisations révolutionnaires arméniennes crurent la victoire russe assurée et s’imaginèrent que leur rêve était réalisé, d’autant plus que le territoire nouvellement occupé disposait maintenant d’un port, Trabzon. On vit donc affluer dans la région d’Erzurum toute une population d’Arméniens, les fuyards de Van mais aussi des émigrants de l’Arménie russe.
Tout au long de l’année , l’armée russe, paralysée par la révolution de Petersbourg, resta l’arme au pied. Le , les Bolcheviks signèrent avec le gouvernement ottoman l’armistice à Erzincan – et celui-ci fut suivi, le par le traité de Brest-Litovsk qui consacrait la restitution à la Turquie des territoires de l’Est qui lui avaient été soustraits en . Les Russes restituaient Kars et Ardahan et "l’Arménie" était donc réduite à son territoire naturel de peuplement dense, l’Arménie russe.
Mais les Arméniens, eux, ne l’entendaient pas ainsi. Dès le , ils obtenaient des Bolcheviks qui retiraient leurs troupes, d’être armés à leur place (Dt n° 13 de Lénine). Puis ils constituaient, avec les Georgiens et les Azéris, le , une république socialiste unie de Transcaucasie, de tendance menchevik, qui récusait d’avance les stipulations du traité à intervenir à Brest-Livotsk. Enfin, profitant de la décomposition de l’armée russe, les auxiliaires arméniens organisèrent, notamment à Erzincan et à Erzurum un massacre systématique de la population musulmane, accompagné d’horreurs insoutenables, racontées par la suite par des officiers russes scandalisés [11]. Le but était toujours le même : faire le vide pour assurer aux immigrants arméniens l’exclusivité du territoire aux yeux de l’opinion internationale. Shaw [12] déclare que la population turque des cinq provinces de Trabzon, Erzincan, Erzurum, Van et Bitlis qui totalisait 3.300.000 personnes en 1914, était réduite à 600.000 réfugiés après la guerre !
On comprend qu’à la nouvelle de ces forfaits, l’armée turque ne soit pas restée inactive : le , elle reprenait Erzurum, contre les Arméniens cette fois, puis avançait vers l’est en refoulant à nouveau devant elle, comme à Van, en 1915, ceux des Arméniens fraîchement immigrés qui avaient mauvaise conscience.
Le , les républiques caucasiennes signaient avec la Turquie un traité qui confirmait les stipulations de Brest-Litovsk et consacrait le tracé de la frontière antérieure à , tout en permettant aux troupes turques de contourner l’Arménie par le sud pour aller prendre Bakou contre les Anglais, ce qu’elles firent le . L’armistice de Moudros les y surprit le suivant.
Dans la période de décomposition de l’Empire ottoman qui suivit, les Arméniens s’empressèrent de tirer parti du retrait des troupes turques : le , ils réoccupaient Kars (et les Géorgiens, Ardahan), ce qui fait que la ligne du "front" était à nouveau déplacée vers l’Ouest, suivant à peu près la frontière de . De là, durant dix-huit mois, les Arméniens vont multiplier les coups de main sur la périphérie du territoire occupé par eux, notamment en direction du nord-ouest, vers la mer Noire et Trabzon [13].
Et bien entendu, ils vont tenter à nouveau un peuplement dans la région de Kars, ceci d’autant plus que le "12e point de Wilson" s’il a garanti la souveraineté turque sur la partie turque de l’Empire ottoman, a prévu la dislocation du surplus de l’Empire ottoman sur la base du principe des nationalités. Et la manœuvre aurait pu réussir si l’on considère que l’article 89 du traité de Sèvres () - dont on sait qu’il ne fut jamais ratifié et qu’il est donc mort-né - confiait l’arbitrage des frontières de la future Arménie au président des U.S.A.
Le sort des armes en décida autrement. La Turquie étant ressuscitée grâce à Mustafa Kemal, le général Kazim Karabekir prit l’offensive contre les Arméniens le . Le , il prit la ville de Kars et le Alexandropol (Gümrü), en Arménie soviétique, après avoir refoulé devant ses armées, pour la troisième fois en cinq ans de guerre, une masse énorme d’Arméniens qui manifestaient ainsi à leur façon leur refus de se soumettre à l’autorité turque.
Ainsi s’achève l’histoire des migrations de la population arménienne sur le front de l’Est. Or, cette population n’a, de fait, jamais pu être prise en compte [14] dans les statistiques des prétendus "massacres" commis par les Turcs sur les Arméniens. Tout ce qu’on sait d’elle, c’est que les survivants, en nombre strictement indéterminé, et après une épreuve effroyable, se sont réfugiés en Arménie soviétique. Or, combien étaient-ils ces malheureux que la sottise des hommes et une propagande criminellement absurde ont poussés à aller s’établir en pleine guerre sur la ligne de feu pour y bâtir, grâce au massacre de la population autochtone, un état chimérique ? A Van, plusieurs centaines de mille. A Erzincan, à Erzurum, on n’en sait rien. Mais ce qu’on sait, c’est qu’ils sont à compter, même s’ils ont survécu, parmi les "disparus" de la guerre.
Et comme leur nombre est strictement indéterminable, nous croyons qu’on ne pourra jamais avancer, quant aux victimes du déplacement, un nombre même approximatif. Ceci est à garder présent à l’esprit quand nous traiterons de cette question un peu plus loin.
Et, bien que nous ne fassions pas un exposé d’histoire diplomatique, nous ne pouvons terminer cette brève histoire des frontières orientales de l’Anatolie sans rappeler les dispositions des traités qui ont mis enfin un terme, de façon stable depuis plus de soixante ans, à ces guerres et à ces souffrances renouvelées entretenues - il faut bien le dire - par l’action de l’impérialisme étranger dans l’Empire ottoman.
Le était signé à Alexandropol un armistice suivi, dès le , d’un traité de paix consacrant la frontière actuelle. Ce traité signé par le gouvernement social-démocrate arménien de Vratzian ne fut, en fait, jamais ratifié à Erivan car l’Arménie était en pleine guerre révolutionnaire et son gouvernement dut, le jour même du traité, céder la place aux Bolcheviks [15].
Le gouvernement de Mustafa Kemal était toutefois déjà en pourparlers avec les Bolcheviks eux-mêmes, et ces négociations aboutirent le au traité de Moscou - toujours en vigueur - dont l’article 1er reconnaît la frontière orientale de la Turquie en son tracé actuel et dont l’article 15 stipule que "la Russie s’engage à exercer les pressions nécessaires sur les républiques transcaucasiennes pour qu’elles reconnaissent dans leurs traités de paix avec la Turquie les parties du traité turco-russe qui les concernent".
Les "pressions" dont il est question tenaient à une similitude de régimes, car en , les gouvernements en question étaient tous devenus bolcheviks. Et c’est sur ces bases que s’ouvrit à Kars, en , une conférence qui réunit la Russie, la Turquie, l’Azerbaïdjan, la Géorgie et l’Arménie, laquelle aboutit au traité du qui constitue encore aujourd’hui la charte des conventions diplomatiques concernant l’Anatolie orientale [16].
En son article 1er, les parties contractantes considèrent comme nuls et non avenus tous les traités passés entre elles par leurs gouvernements antérieurs - à la seule exception du traité turco-russe de .
A l’article 4, les parties arrêtent le tracé de la frontière toujours actuelle - et à l’article 15 "chacun des gouvernements signataires s’engage à proclamer une amnistie générale pour les meurtres et délits commis en temps de guerre sur le front de l’Est par les sujets des autres parties".
Cette dernière disposition est fort intéressante car elle signifie que les Puissances signataires étaient réellement disposées à faire la paix entre elles, qu’elles s’engageaient donc très sagement à oublier le passé et qu’en conséquence, elles renonçaient d’avance, en tant qu’États, à soutenir les prétentions, toujours insensées et parfois criminelles, des prétendus "justiciers" actuels de la "cause arménienne".
Ceux-ci le savent bien, d’ailleurs, et ils ne peuvent donc aujourd’hui obtenir d’appuis officiels qu’auprès d’organismes internationaux anonymes parfaitement étrangers aux questions dont il s’agit. Ils se rabattent alors sur le terrorisme, espérant soulever par des meurtres répétés une tempête d’indignation contre... leurs victimes !
Pourtant, là encore, le traité de Lausanne, qui mit un terme à la guerre de 1914 en ce qui concerne la Turquie, mit également, et d’avance, un terme pour toujours aux réclamations tardivement formulées depuis quelques années par les personnes qui prétendent aujourd’hui, sans le moindre mandat, être les porte-paroles des Arméniens [17].
En effet, le traité, en son article 31, offrait une option durant deux années aux citoyens des nouveaux États détachés de l’Empire ottoman pour réclamer la nationalité turque et retourner dans leur ancien pays. Fort peu d’Arméniens expatriés le firent : le choix leur a pourtant été offert. Et s’il n’y a plus aujourd’hui d’Arméniens en Anatolie orientale, on ne leur a pas interdit d’y revenir.
De même les articles 45, 63 et 65 règlent l’apurement des dettes de l’État ottoman envers les citoyens étrangers - donc envers les Arméniens devenus étrangers, au sujet de leurs biens personnels séquestrés lors de la déportation : toute cette comptabilité a été apurée depuis longtemps et l’on voit mal quelles "terres" ou quels "biens" les petits-fils des déportés pourraient venir réclamer soixante ans après le remboursement offert à leurs grands-parents.
Enfin et surtout, en son protocole annexe signé de tous les belligérants de , le traité de Lausanne stipule une "amnistie générale pour toute personne qui, du fait de sa conduite pendant la guerre, pouvait être considérée comme coupable".
Voilà qui est clair et net : quelle que soit la qualification, nouvelle ou non, qu’on cherche à donner aux faits, que ceux-ci soient prescriptibles ou non, les États participants à la guerre de ont renoncé définitivement, pour eux-mêmes et pour leurs ressortissants – à toute plainte et toute poursuite.
La cause est entendue et les parties concernées ont renoncé fort sagement, à la juger, tout comme la république d’Arménie l’a fait pour sa part par le traité de .
C’est le simple bon sens : il est un temps pour faire la paix et pour oublier ce que la guerre, par sa nature, a toujours d’horrible.
Mais alors les "justiciers" de la cause arménienne, dont juridiquement la cause n’a aucun fondement, en sont réduits à soulever l’opinion internationale contre la Turquie pour des motifs irrationnels, sentimentaux, en déformant systématiquement les faits jusqu’à susciter la haine. Ce genre d’entreprise n’est nullement à négliger car aucun pays, quelle que soit sa force, ne peut vivre sans estime et sans amis. Nous allons donc discuter si à l’examen des faits, la Turquie - ottomane ou non - mérite - ou non - qu’on lui garde estime.
Ceci nous amènera, dans une dernière partie, à exposer brièvement les motivations : les motivations prétextes et, derrière elles, les motivations réelles des justiciers improvisés de la cause arménienne. Et disons qu’il apparaît déjà qu’elles sont beaucoup moins sublimes que la cause qu’ils prétendent défendre.
Introduction | Le prétendu génocide arménien (partie 1) |
[1] Cité par Gürün qui donne p. 240 les sources d’archives.
[2] Télégramme cité in dito, p. 240.
[3] Dito, p. 241.
[4] S.J. Shaw, tome II, p. 316.
[5] Shaw, ibidem.
[6] Félix Valyi, Révolutions in Islam, Londres, 1925, p. 253.
[7] Cité par Gürün, p. 261.
[8] Shaw, op. cit., p. 316.
[9] Hovannisian, Road to independance, p. 53, cité par Shaw, ibidem.
[10] Shaw, op. cit., p. 323.
[11] Khlebov, Journal de Guerre du 2e régiment d’artillerie, cité par Gürün, p. 272.
[12] P. 325.
[13] Voir Gürün, op. cit., p. 295-318 qui s’appuie sur les mémoires du général Kazim Karabekir et sur ceux des observateurs Rawlinson (anglais) et Robert Dunn (américain).
[14] Tous les passages soulignés dans l’ouvrage, y compris les extraits de citations, l’ont été par l’auteur.
[15] Sur l’histoire des républiques caucasiennes à la fin de la Première Guerre mondiale, v. Afanasyan cité en bibliographie.
[16] Voir les textes dans Gürün, op. cit., p. 316.
[17] Voir Gürün, op. cit., p. 351.