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La revanche du droit sur la politique

Publié le | par Maxime Gauin | Nombre de visite 660
La revanche du droit sur la politique

Nous publions la version française de l’article publié par Maxime Gauin, chercheur à l’International Strategic Research Organization (USAK-ISRO, Ankara) dans l’Hürriyet Daily News des 3 et 4 mars (édition du week-end).

Quelques jours après la décision d’une cour d’appel fédérale américaine de rejeter les demandes formulées par des Arméno-Américains contre des compagnies d’assurance allemandes, le Conseil constitutionnel français a censuré la proposition de loi pénalisatant la « négation » des accusations infondées de « génocide arménien ». Le Conseil a fait valoir qu’un tel texte législatif porte atteinte à la liberté d’expression. Il n’a pas explicitement censuré la loi de 2001 qui « reconnaît » le « génocide », mais certaines de ses remarques - notamment sur le champ de la loi - montrent clairement que ce texte aussi est inconstitutionnel.

Il n’y a plus d’espoir sérieux pour une nouvelle proposition de loi de censure à propos de la question arménienne, selon les termes de son communiqué, « n’a formulé aucune appréciation sur les faits en cause ».

Personne ne devrait être surpris. Les nationalistes arméniens ont été mis en garde plusieurs fois, par des juristes tels que l’ancien ministre de la Justice (1981-1986) et président du Conseil constitutionnel (1986-1995) Robert Badinter ; par des parlementaires, comme le président de la commission des Lois Jean-Pierre Sueur, qui présenta en vain une motion d’irrecevabilité. M. Badinter annonça « une revanche du droit sur la politique ». C’est bien ce qui s’est produit.

La première leçon à tirer de cette affaire, en matière de politique étrangère, c’est la forte implication de la diplomatie arménienne dans les intrigues visant à obtenir le vote de cette proposition de loi inconstitutionnelle. M. Sarkozy avait promis ce vote à Erevan, et non dans une ville française comptant une importante communauté arménienne ; Mme Boyer assista au vote du Sénat depuis un couloir, en compagnie de diplomates arméniens. Les principales associations arméniennes de France soutinrent le texte, mais furent reléguées au second plan.

De fait, à quoi d’autre fallait-il s’attendre de la part d’Erevan ? Les autorités arméniennes ont vidé les protocoles de Zurich de leur substance, après leur signature en 2009. L’Arménie a envahi l’Azerbaïdjan occidental en 1992-1994, et occupe toujours quelque 20 % du territoire azerbaïdjanais, purgé de sa population azérie par des méthodes sanguinaires.

Depuis les années 1990, tant les partis d’opposition que de la majorité en Arménie ont largement diffusé les idées de G. Nejdeh, comme s’il s’agissait d’une référence. Nejdeh fut dirigeant de la Fédération révolutionnaire arménienne et aussi un nazi, qui partit des États-Unis pour se rendre en Europe au début de la Seconde Guerre mondiale, et ainsi combattre dans l’armée du Troisième Reich, sur le front de l’est. Ce qui est peut-être encore plus important, c’est que l’Arménie est largement dépendante de la Russie et de l’Iran, deux pays qui ne veulent pas voir un renforcement de l’unité européenne et occidentale, surtout pas dans le contexte de la crise syrienne. Une fois de plus, nous constatons que la question arménienne a été utilisée contre l’unité occidentale, avec la complicité de politiciens aveugles en Occident même. Je ne dis pas cela pour prôner un quelconque fatalisme, et encore moins quelque généralisation que ce soit à propos des Arméniens, mais simplement pour montrer le degré des difficultés et le type de problème qui se posent.

Une autre leçon, cette fois tant pour les relations internationales que pour la politique française, c’est que s’il reste dans notre pays certains professionnels actifs de l’antiturquisme intransigeant, en revanche, la conscience de l’importance de la Turquie va croissant en France, de même que l’exaspération face aux communautarismes qui menacent l’intérêt national et la liberté d’expression, au premier chef les nationalistes arméniens. Michel Diefenbacher, président du groupe d’amitié France-Turquie à l’Assemblée nationale, qui collecta les signatures pour l’une des deux saisines du Conseil constitutionnel, avec quelques autres députés, a déclaré le 21 février, sur Radio Made in Turkey :

« La France et la Turquie ont des relations qui sont très anciennes, qui ont été très constructives. Quand on va en Turquie, que l’on voit ce qu’est l’organisation administrative en Turquie, ce qu’est la conception de l’Éducation nationale en Turquie, la laïcité qui existe en Turquie comme en France, ce qu’est l’image de la France en Turquie, on voit très bien que ces relations entre les deux pays ne sont pas banales. Par conséquent, on ne peut pas accepter que ces relations se dégradent. Il faut tout faire pour renouer des liens d’amitié, pour que de part et d’autre, on se comprenne davantage. […] En tout cas, moi, c’est ce qui me motive très profondément. »

Il est temps de mettre en pratique ces paroles, au moyen de structures permanentes appropriées.


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