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Partie 4 - La déportation des Musulmans de Georgie

La déportation des Musulmans de la région géorgienne de Meskhétie est l’une des nombreuses déportations perpétrées par le régime stalinien au cours de la Seconde guerre mondiale. Elle se produit en quelques jours, en novembre 1944, bien après que l’Armée rouge eut défait la Wehrmacht à Stalingrad et alors qu’aucune présence allemande ne menace le Caucase. Cette déportation, à l’instar de toutes les précédentes, se déroule selon un processus bien rodé. Près de 100 000 musulmans sont ainsi exilés de leur région montagneuse du sud de la Géorgie vers les lointaines républiques d’Asie centrale. Les déportés, alors qu’aucune accusation précise n’est portée à leur encontre, sont taxés de traîtres à la nation soviétique. Ils subissent l’exil, se retrouvent en liberté surveillée et sont victimes d’une punition collective héréditaire.

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par Sophie Tournon



Histoire

Les témoins

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Les témoins

Il semble évident que des témoins ont observé et même vécu les déportations, ne serait-ce que les conjoints de déportés qui n’ont pas été raflés. Cependant, il existe à notre connaissance très peu de témoignages écrits permettant d’entrer dans les détails des rafles effectuées ces cinq jours de novembre 1944.

L’un des témoignages les plus précieux est celui que Nazira Vatchnadze nous livre dans ses mémoires (2004). Précieux, car riche de détails inédits, mais aussi précis dans ses observations. Nazira a 18 ans lors de la déportation. Son récit est le seul qui mentionne la présence des soldats du NKVD dans les villages musulmans bien avant la déportation, étayant la thèse d’une organisation préparée longtemps à l’avance.

Elle raconte notamment l’emprisonnement préventif et systématique des hommes revenus du front, seuls capables d’inspirer un semblant de résistance au moment des rafles. Elle est aussi la seule qui rapporte le témoignage d’amis présents lors des incendies volontaires des archives de l’État Civil en Meskhétie, actes qui permettent la disparition de toute trace officielle concernant les déportés, leur identité et leur origine ethnique. Sa description de la déportation confirme le haut degré de préparation de ces opérations, d’où leur efficacité, leur rapidité et leur parfaite organisation.

Le témoignage de Latifchakh Baratachvili est tout aussi éclairant (1988). Il décrit soigneusement les conditions de vie dans les wagons, et fait part de sa totale incompréhension face aux événements, alors même qu’il est membre du Parti et fervent patriote. Le recueil de témoignages de déportés de S. Alieva (1993), les articles de K. Baratachvili parus dans le bihebdomadaire l’Accent Caucasien (2000-2006) et l’ouvrage de Marine Beridze (2005) sont les trois principales sources rapportant les récits de vie de quelques déportés ou enfants de déportés. Tous ont en commun leur parution tardive, concomitante de l’effondrement de l’URSS.
Pratiquement aucun témoin tiers (bystander) ne s’est exprimé sur ce sujet. Le témoignage de Gola Khvedidze (Meditsinis muchaki, 27/06/1990) est une exception. Réquisitionné comme médecin dans un des trains lors de la déportation, il rapporte quelques paroles échangées avec des Meskhètes, paroles qui forgent son opinion quant à leur origine ethnique géorgienne, ce qui va à l’encontre de la propagande soviétique les présentant comme des espions turcs.

Deux interprétations permettent de comprendre cette indigence de témoignages. D’une part, il est formellement interdit de faire l’histoire de la déportation. Les témoins directs et tiers sont soumis à toutes sortes de contrôles. Ils craignent la délation incitée par les autorités et sont contraints d’accepter le tabou imposé à leur mémoire. D’autre part, il se peut, comme l’avance K. Tomlinson (2002), que le silence des Meskhètes et leur apparente apathie mémorielle soit le fait d’une stratégie de survie psychologique. Le refoulement des événements traumatisants leur assurerait un équilibre de vie centré sur leur présent et non accaparé par un passé problématique. Toutefois, cette théorie est contestable. En effet, l’hémorragie mémorielle dont font preuve les Meskhètes lorsqu’ils sont interrogés sur leur expérience et leur besoin de
s’exprimer sont évidents. Le contexte même de la prise de parole est alors à prendre en considération. K. Tomlinson reconnaît que ses interlocuteurs étaient constamment sur le qui-vive, craignant trop parler, comme si, dans le Caucase russe, la délation persistait des années après la disparition de l’URSS. On peut aussi tenter une troisième explication à ce silence : les témoins avides de raconter ne rencontrent pas.

La déportation des Musulmans de Georgie d’oreilles désireuses ou capables d’écouter. Cela signifie qu’aujourd’hui encore, les Géorgiens ne sont pas prêts à entendre une histoire et une mémoire qui ne correspondent ni à leur histoire officielle ni à leur mémoire collective.

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Voir également :
 Wikipedia.org
 Ahiska.org.tr
 Ahiskalilar.org


Les victimes Les mémoires

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