100e anniverssaire de la république de Turquie

Partie 3 - La déportation des Musulmans de Georgie

La déportation des Musulmans de la région géorgienne de Meskhétie est l’une des nombreuses déportations perpétrées par le régime stalinien au cours de la Seconde guerre mondiale. Elle se produit en quelques jours, en novembre 1944, bien après que l’Armée rouge eut défait la Wehrmacht à Stalingrad et alors qu’aucune présence allemande ne menace le Caucase. Cette déportation, à l’instar de toutes les précédentes, se déroule selon un processus bien rodé. Près de 100 000 musulmans sont ainsi exilés de leur région montagneuse du sud de la Géorgie vers les lointaines républiques d’Asie centrale. Les déportés, alors qu’aucune accusation précise n’est portée à leur encontre, sont taxés de traîtres à la nation soviétique. Ils subissent l’exil, se retrouvent en liberté surveillée et sont victimes d’une punition collective héréditaire.

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par Sophie Tournon



Histoire

Les victimes

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Les victimes

Il est pratiquement impossible d’établir avec exactitude le nombre de victimes déportées, tant les archives divergent. Les premiers rapports font état de 91 000 déportés, certains analystes avancent un maximum de 120 000. L’identité des déportés est tout aussi complexe : outre une minorité de tsiganes (deux wagons leur sont « réservés »), il est question d’environ 75 000 « Turcs », ce terme englobant des Géorgiens musulmans aussi appelés Meskhètes, des Turcs, des Tarakamas, des Azéris, 9 000 Kurdes et 1 300 Arméniens sunnites (Khemchiles) et quelques tsiganes déportés dans deux wagons.

Lors de la déportation, les hommes du NKVD répétaient cette seule phrase : « On vous déporte.
Rassemblez-vous. Vous avez deux (trois) heures. » (Bugaj, Gonov, 1998:215). Certains se font rassurants en faisant croire à un déplacement temporaire, d’autres pillent les maisons sous les yeux mêmes des propriétaires. Les conjoints musulmans de non-Musulmans sont épargnés, mais dans les faits, les familles restent globalement soudées et choisissent l’exil. Toutefois, ceux qui restent sont soumis à des contrôles humiliants et à d’insupportables pressions psychologiques (L. Baratachvili, 1988, n9:106).

Après la guerre, les déportations se poursuivent : une résolution du Conseil des Ministres de l’URSS du 29 mai 1949 ordonne la déportation du Sud Caucase de tous les Turcs, Grecs et Dachnaks (révolutionnaires) arméniens, sans préciser leur nombre (Bugaj, Gonov, 1998:222). Les frontières turco-soviétiques sont ainsi littéralement nettoyées de tout « élément suspect », en premier lieu des Musulmans.

Entassés dans les wagons de fret, les déportés sont maintenus dans l’ignorance de leur sort. Lors du trajet -près d’un mois -, l’absence d’hygiène, d’eau et d’alimentation les affaiblit et les décime. Ceux qui meurent de faim, de froid ou de maladies sont jetés hors des wagons, parfois enterrés à la hâte dans les congères. Les estimations font état de 15 000 à 18 000 morts lors du transfert. La situation s’avère tout aussi dramatique une fois arrivés en Asie centrale. Lors des premières années d’exil, jusqu’à 30 % des déportés périssent. Le taux de mortalité dépasse de loin le taux de natalité, tendance qui ne s’inverse que vers 1949 (Zemskov, 2003:203).

L’hiver rigoureux, les nombreuses épidémies de typhus et la faim sont les principales causes de mortalité. Il n’existe aucune statistique officielle permettant d’évaluer l’impact réel de la déportation et de ses conditions sur l’évolution démographique des « Turcs » et autres déportés de Géorgie. Des recoupements opérés avec les autres peuples déportés permettent toutefois d’avancer qu’entre 10 % et un tiers des déportés ont succombé aux conditions imposées par le trajet et l’exil forcé.

Les déportés sont assignés à des emplois pour lesquels ils n’ont bien souvent aucune compétence. Pour survivre, enfants, femmes et personnes âgées doivent travailler. Tous sont alors des « colons spéciaux », main-d’œuvre malléable et sous-payée, soumise à des contrôles stricts. Il n’est pas rare que les membres d’une même famille soient exilés dans des villages différents, voire des républiques distinctes. Toutefois, des communautés de Meskhètes, de Kurdes et de Khemchiles se forment progressivement, soudés par le traumatisme de la déportation et l’incompréhension de leur stigmatisation. L’endogamie semble généralisée,
certes par tradition, mais aussi, elle est due à leur situation d’isolés, de stigmatisés, de « peuples punis ».

Dès 1956, après la politique de déstalinisation entamée sous N. Khrouchtchev, des leaders meskhètes

La déportation des Musulmans de Georgie appelés Turcs Meskhètes) fondent un mouvement de lutte pour le retour en Géorgie, le VOKO (Comité organisationnel temporaire pour la libération) probablement sur le modèle des Tatars de Crimée, leurs compagnons d’infortune. Mais ce mouvement n’obtient aucune réponse à ses nombreuses pétitions et lettres ouvertes. Sa faiblesse structurelle et ses divisions internes l’empêchent d’être un véritable foyer d’agitation
dans une URSS hégémonique, sourde à toutes revendications identitaires aussi légitimes soient-elles.

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Voir également :
 Wikipedia.org
 Ahiskalilar.org


Les responsables Les témoins

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