29 mars 2024

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Partie 2 - La déportation des Musulmans de Georgie

La déportation des Musulmans de la région géorgienne de Meskhétie est l’une des nombreuses déportations perpétrées par le régime stalinien au cours de la Seconde guerre mondiale. Elle se produit en quelques jours, en novembre 1944, bien après que l’Armée rouge eut défait la Wehrmacht à Stalingrad et alors qu’aucune présence allemande ne menace le Caucase. Cette déportation, à l’instar de toutes les précédentes, se déroule selon un processus bien rodé. Près de 100 000 musulmans sont ainsi exilés de leur région montagneuse du sud de la Géorgie vers les lointaines républiques d’Asie centrale. Les déportés, alors qu’aucune accusation précise n’est portée à leur encontre, sont taxés de traîtres à la nation soviétique. Ils subissent l’exil, se retrouvent en liberté surveillée et sont victimes d’une punition collective héréditaire.

Sommaire :

par Sophie Tournon



Histoire

Les responsables

Publié le | par TN-pige | Nombre de visite 228
Les responsables

Les causes lointaines de la déportation des Musulmans de Meskhétie datent de la fin du XIXe siècle, moment où l’empire tsariste, auquel la Géorgie est annexée, reprend la Meskhétie aux Ottomans. Les deux empires belligérants s’accordent sur des échanges de populations. Une grande partie des Musulmans de Géorgie est ainsi chassée vers la Sublime Porte. Ceux qui restent demeurent indésirables aux yeux des autorités russes puis bolcheviques. Ces dernières, lors des Grandes Purges des années trente, éliminent définitivement l’élite intellectuelle meskhète. En 1941, le Commandement militaire de la Transcaucasie prévoit de déporter ces Musulmans potentiellement déloyaux du fait de leur passé turcophile.

La déportation des Musulmans de Georgie guerre mondiale donne l’occasion de concrétiser ce plan hérité d’une longue tradition politique impériale de gestion des populations.

Dans les faits, les documents ordonnant la déportation reflètent en tous points ceux des déportations précédentes. Signés par L. Beria et par Staline, ces documents classés secrets visent à « l’amélioration de la situation aux frontières de la RSS de Géorgie » (Bugaj, Gonov, 1998:213). Les instigateurs de cette déportation ont en outre pour point commun leur origine géorgienne. Staline et Beria connaissent l’histoire des alliances stratégiques entre Turcs et musulmans de Géorgie et craignent une répétition des soulèvements musulmans de 1918 dans la région. Deux niveaux de lecture s’entremêlent alors. A l’échelon local, l’hostilité des autorités géorgiennes envers les Musulmans de Meskhétie se base sur la mémoire des conflits locaux récents. A l’échelon supérieur, Rapava, Commissaire Populaire à la Défense et Karanadze, aux Affaires Intérieures de Géorgie, transmettent au Kremlin un dossier relatif aux nombres de « Turcs » vivant à la frontière (Bugaj, Gonov, 1998:214 ; Polân, 2001). Ce dossier sert de base à L. Beria et Staline qui cherchent à éliminer toute « cinquième colonne » pouvant nuire à leurs desseins. Au final, la population musulmane de Meskhétie est collectivement soupçonnée d’espionnage à la solde des Turcs.

Dans la hiérarchie des décisions menant à la déportation, le bras armé du Kremlin est le NKVD, ou police politique, chargée d’opérer sur le terrain. Durant les cinq jours de la déportation, entre 4 000 (Polân, 2001) et 14 000 (Bugaj, Gonov, 1998) hommes des troupes spéciales du NKVD sont mobilisés, une trentaine de convois et 900 camions militaires américains, reçus en prêt-bail pour renforcer le front de l’Est contre les Allemands, sont utilisés (Afanasiev, Werth, 2004). Ces troupes spéciales ont été placées autour et dans les villages meskhètes un mois avant l’opération de rafle, pour évaluer directement le nombre de personnes à déporter. Elles interviennent en pleine nuit et donnent trois heures aux civils pour se préparer à partir, sans
autre explication. Ces derniers sont rapidement rassemblés dans les gares et entassés dans les wagons, croyant souvent à un déplacement destiné à les sauver de manœuvres militaires turques à la frontière (Bugaj, 1991). En mars 1949, les Musulmans de Meskhétie issus des rangs du NKVD et des différents organes du Parti sont à leur tour déporté, taxés de traîtres à la patrie et relégués aux confins de l’URSS. Le NKVD, qui contrôle tout le processus de déportation et supervise leur exil, déshumanise les déportés qui ne sont à ses yeux que des chiffres, minimise les aspects négatifs de leur situation et manipule les chiffres officiels pour cacher son incompétence et son irresponsabilité.

Dans les lieux d’exil en Asie centrale, l’accueil est inexistant. Les autorités locales, dépassées par le nombre toujours croissant de déportés, sont dans l’incapacité de remplir leur mission imposée par le NKVD. Les conséquences économiques et sociales de la guerre, déjà dramatiques pour les civils, touchent de plein fouet les déportés totalement démunis. Les républiques, incapables de subvenir aux besoins fondamentaux de leur propre population, délaissent les exilés qui succombent au froid, à la faim et aux épidémies de typhus. De plus, les autorités lancent des rumeurs extravagantes sur les déportés : cannibalisme, criminalité, ce qui les isole encore plus des populations locales. Stigmatisés, discriminés, ils se referment sur eux-mêmes.

En Géorgie, les autorités locales suppriment toute trace de la déportation. Elles font brûler tous les documents d’Etat civil et réduisent en cendres les villages non réappropriés par les déplacés géorgiens.

Toutefois, fait curieux, si parler des déportés est officiellement interdit, la Grande Encyclopédie Soviétique mentionne toujours les Meskhètes en 1954. Pour autant, l’oubli et le silence sont imposés, le sujet est tabou.

Si l’histoire officielle de la Géorgie retient que la population meskhète fut le « berceau » de la nation géorgienne, elle demeure néanmoins silencieuse sur son sort actuel.

S’il est difficile d’établir le degré de complicité, de suivisme ou de complaisance des autorités géorgiennes soumises au diktat de Moscou dans la prise de décision de la déportation, en revanche la responsabilité des plus hautes instances soviétiques, en l’occurrence Staline et Beria, est indubitable. Les conséquences de cette politique de déportation sont multiples. Le déracinement des « Turcs », Khemchiles et Kurdes de

La déportation des Musulmans de Georgie Meskhétie permet leur soumission par la peur et leur exploitation économique dans des terres peu ou pas exploitées. Leur relégation est aussi une tentative de désethnicisation par assimilation forcée en Asie centrale. Les déportés doivent devenir des « Turcs soviétiques » en se diluant parmi les Musulmans de l’Orient soviétique.

Copyright © Online Encyclopedia of Mass Violence


Voir également :
 Wikipedia.org
 Ahiska.org.tr
 Ahiskalilar.org


Le contexte Les victimes

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