COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME Mardi 27 janvier 2015
"Génocide arménien" : « Le parlement ne doit pas jouer les historiens »
Olivier Francey
Mercredi, la Suisse affrontera devant la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme Dogu Perinçek, qui avait publiquement nié l’existence du "génocide arménien". L’avocat et conseiller national Yves Nidegger (UDC/GE) compte faire entendre la parole des 130 000 Turcs vivant en Suisse en défendant la position de la Fédération des associations turques de Suisse romande
Mercredi, la Suisse affrontera Dogu Perinçek devant la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) à Strasbourg. Le président du Parti des travailleurs de Turquie avait publiquement nié l’existence d’un "génocide Arménien" perpétré par l’Empire ottoman en 1915. Condamné pour discrimination raciale par le Tribunal de police de Lausanne (jugement confirmé par le Tribunal fédéral), Perinçek a bénéficié du soutien de la CEDH, cette dernière estimant que la Suisse avait violé sa liberté d’expression. L’avocat et conseiller national Yves Nidegger (UDC/GE) compte faire entendre la parole des 130 000 Turcs vivant en Suisse en défendant la position de la Fédération des associations turques de Suisse romande.
Le Temps : Pourquoi le terme de génocide n’est-il pas applicable aux événements de 1915 ?
Yves Nidegger : C’est aux historiens de dire si ce terme est applicable ou non et une commission d’historiens turcs et arméniens a précisément été formée pour cela dans le cadre des protocoles de Zurich. Tant que ce débat historique est en cours, il n’y a pas à sanctionner les opinions, fussent-elles fausses ou détestables, de l’une ou l’autre des parties.
– Le Conseil national a pourtant reconnu l’existence d’un tel génocide en 2003…
– C’est toujours une erreur pour un parlement de jouer les historiens, ce n’est pas son rôle. Dans une démocratie, on ne peut pas avoir les mêmes personnes qui disent l’histoire officielle sous forme de résolution et qui édictent une norme pénale pour sanctionner ceux qui auront le mauvais goût d’être en désaccord avec elle. Si c’était possible en Union soviétique, cela ne peut pas l’être en Suisse.
– Pour quelles raisons les déclarations de Dogu Perinçek ne tombent-elles pas sous le coup de l’article 261bis du Code pénal, qui condamne ceux qui « minimisent les crimes contre l’humanité » ?
– L’article parle de celui qui « minimisera grossièrement » un crime contre l’humanité. Or, les massacres ne sont pas niés par M. Perinçek. Il ne dit pas que les Arméniens n’ont pas souffert ou que leurs souffrances sont factices. Il dit simplement que le fait de qualifier ces événements de génocide pour accuser la Turquie est un mensonge international. On peut être en désaccord complet avec ce qu’il dit. La liberté d’expression a bien sûr des limites, mais les limites que l’Etat peut mettre à l’exercice de la liberté d’expression sont aussi limitées. La question est là.
– Comment expliquer la vigueur avec laquelle se battent les autorités turques pour refuser le terme de génocide ?
– L’explication est à peu près la même que pour une Suisse qui n’a pas envie de se faire condamner par la CEDH pour avoir violé la liberté d’expression. Les Turcs n’ont pas envie de se faire qualifier de nazis. Qui en aurait envie, d’ailleurs ?
– Il est tout de même cocasse que l’UDC que vous êtes défende un avis qui est défavorable à la Suisse, qui plus est devant une cour que votre parti tente de tuer, non ?
– (Rires) Pour la première fois, vous allez voir l’UDC invoquer la jurisprudence infaillible de la Cour et la supériorité du droit international. Si la Grande Chambre désavoue la Suisse, soit l’on modifie l’article 261bis, soit on quitte la CEDH.
– Si l’on reconnaît à Dogu Perinçek le droit de s’exprimer, ne faudrait-il pas autoriser la construction d’un mémorial arménien dans le parc de l’Ariana, près de l’ONU ?
– Pas dans le parc de l’Ariana sous les fenêtres de l’ONU. Et puis, celui qui agit ici, c’est la ville de Genève, c’est l’Etat, même si tout cela s’est fait à la demande insistante des Arméniens. Lorsque l’Etat fait de l’histoire officielle en disant : « J’estime que c’est un génocide », ce n’est pas tout à fait la même chose que si un privé érigeait un mémorial sur une parcelle privée, par exemple à l’église arménienne. Je suis de l’avis de Didier Burkhalter : marquer le territoire onusien avec une accusation extrêmement grave d’un peuple contre un autre n’est pas conforme à l’esprit de Genève ni à celui de la Genève internationale.