Installée à Istanbul, dans le quartier de Besiktas, depuis vingt ans, Nadine Senkur vit au rythme du mélange des cultures française et turque dans une ville qu’elle a vu grandir et se moderniser
GAËLLE LAURENT-DRIDI (à ISTANBUL)
Dans l’intense trafic des rues stambouliotes, sur la rive européenne d’Istanbul, Nadine est chez elle. Cette Dunkerquoise, qui enseigne le français, a choisi de s’installer en Turquie il y a maintenant vingt ans. Un exil intervenu après ses études au collège Southwark de Londres, où elle y a rencontré son futur mari. « J’ai obtenu le Cambridge proficiency qui m’a permis ensuite de travailler à l’école de langues de la Chambre de Commerce de Dunkerque tandis que mon mari entamait son service militaire, raconte-t-elle des souvenirs plein les yeux. Je l’ai rejoint avant qu’il ne le finisse. Et j’ai habité avec ma belle-mère qui était veuve. J’ai alors donné des cours dans une petite école de langues privée avant de faire quelques années à l’Institut, ensuite intégrer le Lycée Saint-Michel. Enfin, j’ai commencé à enseigner dans mon lycée actuel ».
Au fil du temps, au contact de la population turque, Nadine Senkur prend ses marques et donne naissance à sa fille (17 ans) puis son fils (13 ans). Pour une Européenne, l’adaptation n’est pas simple. Mais elle s’accroche et se fond progressivement dans la culture de son pays d’accueil. « Cela n’a pas été facile au début, bien sûr, confie-t-elle. Mais l’accueil de ma nouvelle famille et l’attention qu’ils m’ont portée, leur volonté de comprendre, de se faire comprendre, sans s’imposer, a été déterminante. Il faut qu’un chemin vers l’autre culture se fasse des deux côtés ».
Pour Nadine, le mélange des cultures est particulièrement enrichissant, en dépit des difficultés qu’il engendre. « J’aime apprendre les langues et les mondes nouveaux qu’elles laissent entrevoir, poursuit la Nordiste. Passer d’une langue à l’autre n’est pas facile et psychologiquement, cela entraîne des changements dont on n’a pas toujours une conscience très nette. C’est en tout cas synonyme d’ouverture d’esprit et de remise en question permanente. Pas angoissante pour autant. Attentive et essentielle si on veut s’adapter à ce qui est différent ».
Choisir l’exil, par amour ou pour tout autre raison, entraîne un changement de vie. Nadine a fait ce choix et l’assume. Sa vie défile au rythme des cultures française et turque : « Nous fêtons les fêtes musulmanes et chrétiennes. Nous mangeons des plats turcs et des plats français. Nous pouvons rentrer en France régulièrement, au moins une fois par an. Ma famille vient aussi. Nous partageons alors nos vacances entre Istanbul et le sud ». Au quotidien, tout est différent mais tellement proche de la France. Les enfants prennent des cours de ballet, de piano, de natation, de basket ou de guitare.
Son quartier, Besiktas, n’est ni résidentiel ni populaire.
Noël à Dunkerque
En vingt ans, la Dunkerquoise a vu sa ville d’adoption changer et se moderniser pour s’affirmer aujourd’hui comme une véritable mégalopole où se mêlent encore petit artisanat et construction d’immeubles imposants : « Istanbul est une ville moderne qui s’est énormément développée et j’ai été témoin de beaucoup de changements. Le week-end, nous allons au cinéma, au concert. Nous allons voir, s’ils passent en salle, Cem Yilmaz ou Yilmaz Erdoian, les Gad Elmaleh turcs. D’ailleurs, j’ai passé le DVD de Gad Elmaleh en classe, les élèves ont beaucoup aimé ! ».
Toujours très attachée à son Nord natal, évidemment, Nadine ne manque pas de revenir à Dunkerque régulièrement. « Nous y avons passé les fêtes de Noël et nous avons pu profiter de Lille, des illuminations, de la vieille ville, s’enthousiasme-t-elle. Nous sommes passés dans le quartier de l’université catholique pour la montrer à ma fille car elle y fera sans doute ses premières années universitaires ». Habituée à vivre à distance, la famille de Nadine a toujours été dispersée aux quatre coins de la France... et de l’Europe. « Les départs ont eu lieu pour des raisons professionnelles. Mais nous restons liés, en contact régulier », précise-t-elle. Loin des yeux, près du coeur.w
France-Turquie : des relations incomprises sur les rives du Bosphore
En marge de la rencontre de football, en Ligue Europa, entre Fenerbahçe et Lille, Nadine aborde les relations difficiles entre les deux pays, qu’elle tente de décrypter avec objectivité. Et regrette certaines images négatives. À Istanbul, il faut veiller à ne pas provoquer d’incident diplomatique. Ne pas s’afficher avec les couleurs d’un club dans le quartier de l’autre. « Nous vivons à Besiktas mais mon mari et mon fils sont supporters de Fenerbahçe, explique Nadine. Ici, le foot est une passion, on fait attention à ne pas provoquer ». Touchée par un deuil familial en début de semaine, la famille de Nadine ne pourra pas assister au match de ce soir. Elle a tout de même suivi le match aller à la télévision, qui a fait couler beaucoup d’encre dans la presse turque. « Il a été fait écho d’une maladresse de l’interprète turc qui a salué les supporters de Fenerbahçe venus de Grèce... », regrette Nadine. Contre les préjugés En Turquie, l’incident a fait grand bruit. Et a presque été considéré comme une provocation de la part des Français. Un sujet sensible mais plutôt récurrent. « J’ai envie aussi de dire qu’il faut malheureusement se disputer contre les préjugés côté français , explique Nadine. Car l’image de la Turquie n’est pas positive en France et lorsque je regarde les infos de TV5, je suis souvent en colère de voir que seuls les côtés négatifs sont mis en exergue. Combien de Français savent qu’Istanbul est la capitale européenne de la culture cette année ? Je ne veux pas non plus donner une image idyllique de mon pays d’adoption, ce serait ridicule. Il y a tant de chemin à faire. Mais on a envie de défendre les énormes efforts qui ont été faits ». Et profiter d’Istanbul, capitale européenne de la culture, pour s’affirmer au coeur de l’Europe.wG.L-D."