Alors que la glace semble fondre entre Turquie et Arménie et que la société civile turque s’empare de la question de ce passé douloureux, TE souhaitait adresser quelques questions à des personnalités franco-turques engagées.
Engin Akgürbüz, pourquoi ? Engin Akgürbüz est Secrétaire-général du CCAFT-Lyon (comité de coordination des associations franco-turques de la région lyonnaise). Les priorités du CCAFT-Lyon sont l’accès à l’éducation, l’emploi et à la santé dans un environnement mieux protégé. De par ses fonctions, Engin Akgürbüz est confronté en permanence au double problème de faire participer les Turcs aux développements de la société française et de lutter contre les préjugés que tous nous portons en nous.
Depuis quelques mois les choses semblent bouger entre la Turquie et l’Arménie, plus généralement entre Turcs et Arméniens. Quel regard portez-vous sur ces évolutions ?
La paix entre les États est une nécessité absolue pour faire face aux problèmes du présent et plus encore aux défis de l’avenir. Dès qu’on envisage ensemble des questions concrètes qui exigent des actions communes, bien des préjugés et des affrontements anciens perdent leur importance et même leur sens. La réconciliation entre la France et l’Allemagne est la conséquence de l’unification de l’Europe, non la cause des Traités qui ont fondé l’actuelle Union européenne. Aucun Turc ne s’est opposé à ce que l’Arménie fasse partie de la Coopération Économique du Bassin de la Mer Noire, initiée par la Turquie depuis 1992 déjà. C’est exactement cela, la « méthode Jean Monnet » : faire travailler ensemble des peuples et leurs États pour résoudre des problèmes communs. Pour ce travail, le bon sens ne suffit pas. Il faut aussi du courage politique.
Tout le monde avait le regard braqué sur le 24 avril et la possible reconnaissance du génocide arménien par Barack Obama. Est-il normal encore une fois que l’agenda de cette question douloureuse échappe aux principaux concernés, à savoir les Turcs et les Arméniens ?
Le 24 avril est totalement contrôlé par les associations arméniennes les plus activistes et les moins disposées à la réconciliation. Elles profitent de cette date, en France et aux Etats-Unis, pour annoncer ouvertement leur prochain objectif : une mobilisation pour reconquérir les villes de Van, Bitlis, Erzurum… Ces extrémistes ne nous promettent en somme rien moins qu’une guerre civile sur ce qu’ils nomment « l’Arménie de l’Ouest ». C’est un programme à ne pas prendre à la légère, sachant le rôle actif joué par les militants armés de la FRA-Dachnak dans la toute récente guerre du Haut-Karabag.
24 Avril 1915. Je n’ai pas oublié qu’en avril 1915, au plus fort de la Guerre mondiale, se préparait la troisième tentative militaire des Anglais et des Français pour forcer les Dardanelles, débarquer à Çanakkale et foncer sur Constantinople, à moins de 300 km. Constantinople où, dans la communauté arménienne, certains groupes se préparent activement à cette heureuse éventualité. 25 avril 1915 : Français, Anglais, Australiens et Néo-Zélandais débarquent. Ils ne quitteront les lieux qu’en janvier 1916.
Alors oui, je rêve d’une date choisie d’un commun accord, où Arméniens et Turcs, unis dans un même sentiment de compassion et de fraternité, devant un même monument érigé en commun, se recueilleront sans arrière-pensée en mémoire de toutes les victimes de ces « temps déraisonnables ».
Il n’est aujourd’hui qu’une figure qui rapproche, sur des malentendus, Turcs et Arméniens : Hrant Dink. Que pensez-vous de son message de réconciliation entre les deux peuples ?
Seul Hrant Dink peut parler au nom de Hrant Dink. En chacun de nous il y a un visage, une voix de Hrant Dink qui nous parle et chacun en retient ou en comprend ce qu’il peut et qui s’amplifie au fil des jours. J’ai lu il y a peu de jours le discours où M. Gérard Collomb, maire de Lyon, invoque la mémoire de Hrant Dink puis, d’un même souffle et sans rougir, répète une fois encore le bréviaire rédigé par les organisations activistes arménienne et la liste des fausses vérités qui entretiennent soigneusement et pour longtemps l’antagonisme. Un discours de complaisance, à l’exact opposé de ce que fut la vie de Hrant Dink. M. Collomb et M.Obama sont des hommes politiques. Ils ne retiennent de l’Histoire que ce qui leur convient le temps d’un discours, ce qui n’est pas la meilleure manière de respecter ni le passé ni l’avenir des peuples.
Nous venons de vivre les commémorations du 24 avril : selon vous, les Turcs doivent-ils tenter de s’adresser aux Arméniens ? Comment ?
Les Turcs n’ont pas attendu le 24 avril 2009 ni une initiative gouvernementale pour parler aux Arméniens. Ils sont plusieurs dizaines de milliers qui vivent à Istanbul, venus en droite ligne d’Arménie pour mieux gagner leur vie et soutenir ainsi leurs familles restées au pays. À ma connaissance, ils ne sont victimes d’aucun pogrom. Aucun Turc non plus ne reproche à un Arménien d’être un « Plombier polonais » venu voler son emploi et son pain. C’est jour après jour et tout au long de l’année, année après année, que la confiance se construit. Coude à coude, dans un même effort face aux problèmes du jour.
source : turquie européenne