OPINION
La Turquie est un pays musulman à 99% et laïc depuis 1937. Cette notion y est même devenue une valeur fondamentale, sous l’influence du fondateur de la Turquie moderne, Mustafa Kemal Atatürk, et de l’armée. Aussi, l’amendement présenté par le parti au pouvoir (AKP) qui proposait d’autoriser le port du voile à l’université a soulevé un véritable tollé.
Le port du voile est interdit dans tous les établissements scolaires et universitaires, publics ou privés. Alors, sur les campus, il n’est pas rare de croiser des étudiantes coiffées de bérets, qui contournent ainsi la loi...
Le fait que certaines femmes, à présent, portent le voile doit-il être considéré comme une menace pour la laïcité turque ?
Non. Quand on parle avec ces femmes voilées, on s’aperçoit qu’elles ont parfaitement assimilé les valeurs laïques. Les femmes voilées actuelles s’appuient, comme vous et moi, qui ne nous couvrons pas, sur les principes de laïcité pour refuser la polygamie, une distribution inégalitaire des héritages ou le divorce décidé par le mari seul. Cela est dû en grande partie à la spécificité de l’islam turc, qui a intégré la laïcité.
Certains laïques font valoir que, si l’on cède aujourd’hui sur le voile, les islamistes chercheront demain à imposer leurs règles dans tous les domaines...
Les femmes voilées souhaitent, en réalité, une laïcité qui soit appliquée avec plus de tolérance.
Ainsi, le 7 février 2008, le Parlement vote un amendement constitutionnel proposé par le gouvernement qui vise à lever l’interdiction du port du voile à l’université, en vigueur depuis des décennies. C’est un débat très sensible dans une Turquie laïque. Les parlementaires ont voté l’amendement par 401 voix contre 110. Il faut en effet passer par une modification de la Constitution pour autoriser les étudiantes à porter le voile sur les campus universitaires.
Les ex-islamistes du Parti de la Justice et du développement (AKP), au pouvoir, pouvaient compter sur le soutien du parti d’opposition nationaliste (MHP). Ensemble, les deux formations totalisent plus d’élus que la majorité requise des deux tiers pour modifier la Constitution.
Le projet du gouvernement comprend un paragraphe déclarant que "personne ne peut être privé de son droit à l’éducation supérieure". Sous-entendu, des jeunes femmes renoncent par conviction religieuse à aller à l’université, parce qu’elles ne peuvent y porter le voile.
Le sujet suscite des tensions dans le pays entre ceux qui considèrent que l’interdiction du voile à l’université est une violation de la liberté religieuse et ceux qui craignent que son autorisation ne vienne saper les fondements du système laïc. Les laïcs craignent aussi que la levée de l’interdiction n’augmente la pression sociale sur les jeunes filles pour qu’elles se voilent.
Le Parti républicain du peuple, qui estime qu’une levée de l’interdiction du voile serait un premier pas vers un régime islamique, a promis de contester tout amendement devant la Cour constitutionnelle. "La question n’est pas le foulard, mais la laïcité", explique Kemal Anadol, un élu du parti qui dénonce une tentative pour "ouvrir une brèche" dans le système laïc du pays.
Quelque 200 sympathisants de gauche se sont rassemblés près du Parlement à Ankara pour protester contre le projet du gouvernement. "Nous n’autoriserons pas le foulard !", "A bas l’AKP !", ont scandé les manifestants.
Au cours du week-end, plus de 125.000 personnes, des femmes en majorité, avaient défilé dans les rues d’Ankara contre la légalisation du voile. Et des dizaines de présidents d’universités s’étaient quant à eux réunis pour exprimer leur opposition.
L’armée quant à elle a choisi de rester à l’écart du débat, même si souvent les généraux se sont élevés contre les atteintes à la laïcité instaurée par le père de la nation, Mustafa Kemal Ataturk, et dont l’armée se voit comme la garante.
Tant l’épouse du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan que celle du président Abdallah Gul portent le voile. Et la femme de ce dernier est une des principales militantes du dossier en Turquie : en 1998, elle avait porté l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme après s’être vue interdire l’université pour cause de voile. Avant de retirer sa plainte pour raisons politiques lorsque son mari est devenu ministre des Affaires étrangères. (AP)
Quoiqu’il en soit, c’est un sérieux revers infligé au Parti de la justice et du développement (AKP), au pouvoir en Turquie depuis 2002. Jeudi 5 juin, la Cour constitutionnelle turque a annulé l’amendement adopté au Parlement en février et autorisant le port du foulard islamique dans les universités, le jugeant contraire au principe de laïcité. Les onze juges de la Cour, qui avaient été saisis par une formation d’opposition, se sont prononcés contre le texte, estimant qu’il enfreignait les dispositions de la loi fondamentale mentionnant le caractère laïque de la République de Turquie et qui sont "non amendables", selon le communiqué de la Cour.
Le port du voile est un sujet très controversé en Turquie et très sensible pour les turcs vivant à l’étranger. Certes, nous connaissons les fondements de la république. Toutefois aujourd’hui le problème est autre. En effet, peut-on empêcher ces jeunes femmes d’étudier sous prétexte que leurs croyances nécessite le port du voile ?
Inci