Par Nathalie Goulet, sénateur de l’Orne, Membre de la Commission des Affaires étrangères du Sénat et de l’Assemblée Parlementaire de l’OTAN


Le devoir de mémoire fait partie de l’honneur d’une Nation et, à ce titre, deux catégories d’ayant droits sont absolument prioritaires : ceux qui sont morts pour notre survie et nos libertés (pendant les deux guerres mondiales) et ceux qui ont été tués par ce qu’ils luttaient, contre nous, pour leur survie et leurs libertés (massacres commis sous couvert de nos politiques coloniales, esclavagistes ou collaborationnistes). Ces deux catégories de victimes nous interpellent, au-delà de la mort et du temps qui passe, elles n’ont été qu’imparfaitement reconnues et dédommagées. Mais instrumentaliser les victimes et les blessures inscrites dans la mémoire collective d’un peuple quel qu’il soit, par le vote à mains levées d’une cinquantaine de députés la veille de Noël est inacceptable.

Le Président a ouvert hier la boîte de Pandore de la mémoire, de ses amnésies et de ses obsessions. Aujourd’hui la Turquie réplique et nous rappelle notre passé en Algérie, demain les habitants de Gaza et du Haut Karabagh, les Kurdes, les Irakiens,les Algériens les Harkis viendront en France rechercher dans notre droit ce que l’histoire ne leur aurait pas donne pas ou pas encore.

Les lois mémorielles, beaucoup l’ont dit et notamment le président Badinter homme d’Etat au-dessus de tout soupçons, sont inutiles dangereuses et courent le risque d’ inconstitutionnalité d’ailleurs et c’est heureux ce texte n’est pas encore une loi et d’ici là il faudra que les esprits s’apaisent.

La France qui est amie de la Turquie et de l’Arménie aurait mieux fait de laisser les parties gérer ce différent historique puisque notre droit reconnait déjà le génocide de 1915 et que la Turquie a accepté sur ce sujet une commission d’experts internationaux.

Le texte voté hier menace explicitement les historiens ottomanistes avant même la conclusion de leurs travaux. Rappelons l’inacceptable condamnation de l’immense orientaliste Bernard LEWIS (Princeton), référence historique internationale, avait pourtant été par un tribunal parisien qui n’était nullement composé d’historiens.

Cette promesse présidentielle heurte de façon inappropriée et injuste nos amis turcs et nos compatriotes français d’origine turque au moment où nous avons besoin de tous pour lutter contre la crise. Elle risque de renforcer un certain communautarisme à moins qu’elle n’importe sur notre sol les stigmates d’un conflit auquel notre pays est totalement étranger, sinon pour avoir accueilli ses victimes.

Que dira le Président si la Turquie annule sa commande de 100 Airbus ? Espérons que le Sénat mette un terme à ce naufrage législatif à haut risque.