Massacres Arméniens : de nouveaux documents remettent en cause une vieille accusation

Par Edward J. Erickson, lieutenant-colonel de réserve dans l’armée américaine, est docteur en histoire militaire ottomane et chercheur à l’université de Leeds (Grande-Bretagne). Il est l’auteur, notamment, de Ordered To Die, A History of the Ottoman Army in the First World War (2000), Ottoman Army Effectiveness in W.W.I : A Comparative Study (2006) et The Sultan’s army : A History of the Ottoman Military, 1300-1923 (2007).
Le débat sur la déportation et les massacres des Arméniens dans l’est de l’Anatolie pendant la Première Guerre mondiale est devenu de plus en plus polémique avec le temps. Les opposants à l’entrée de la Turquie en Europe le considèrent comme un péché originel.
Néanmoins, sur cette question, des politiciens s’autorisent à porter des jugements, qui tiennent plus de la polémique que des faits historiques. 90 ans après que des centaines de milliers d’Arméniens – et des millions d’autres – sont morts pendant le premier conflit mondial, il devient important de dépouiller les archives pour montrer ce que contiennent réellement les documents historiques de l’armée ottomane.
La question n’est pas de savoir si beaucoup d’Arméniens ont péri pendant la guerre de 1914-1918 ; mais il y a controverse historique sur la cause des conditions dans lesquelles les populations civiles arméniennes moururent : ont-elles été victimes de la tourmente de la guerre, ou d’assassinats de masse exécutés sur ordre du gouvernement ottoman ? Plus précisément, le débat qui consiste à définir si c’est un génocide ou non repose sur trois piliers : les cours martiales qui ont siégé en 1919-1920, quand le nouveau gouvernement turc, formé après la défaite de l’Empire ottoman, fit juger et condamner des hauts fonctionnaires du pouvoir précédent pour crimes de guerre ; des documents figurant dans les Mémoires de Naim Bey [1], récit prétendument écrit par un fonctionnaire ottoman revendiquant avoir participé à la déportation des Arméniens ; et le rôle de l’Organisation spéciale (Teskilat-I-Mahsusa), une sorte de force spéciale d’intervention ottomane.
Récemment, deux chercheurs ont débattu de la nature des massacres arméniens de la Première Guerre mondiale. En particulier, ils ont parlé du rôle joué — ou non — dans les massacres de l’Organisation spéciale et des relations que pouvait avoir avec cette organisation un officier prussien d’artillerie connu dans les récits seulement par son nom : Stange [2].
Le premier, Vahakn Dadrian directeur des recherches sur le génocide à l’institut Zoryan de recherches arméniennes contemporaine, écrit que Stange était « l’officier allemand le plus gradé qui assuré le commandement des opérations de guérilla sur la frontière turco-russe », un des quelques « complices majeurs de la mise en œuvre des massacres », et commandant suprême de l’Organisation Spéciale [3].
Dadrian argue que le gouvernement ottoman avait dévolu à l’Organisation spéciale la tâche de la déportation à l’arrière des zones de combat, où elle devint le principal exécutant des massacres arméniens. Il fonde son accusation contre Stange sur des rapports allemands de seconde main, concernant des massacres commis dans le secteur où Stange opérait, et utilise des témoignages controversés présentés devant les cours martiales d’Istanbul en 1919 pour mettre en cause l’Organisation spéciale. Depuis lors, un certain nombre de personnes ont pris les assertions de Dadrian pour argent comptant [4].
L’année dernière cependant, Guenter Lewy, professeur émérite de sciences politiques à l’université du Massachusetts, s’est inscrit en faux contre les thèses de Dadrian, car, selon lui, Stange n’était pas le commandant opérations de guérilla menées par l’Organisation spéciale, et que son unité d’opération n’évoluait pas dans la zone des massacres, lorsqu’ils furent commis [5].
En histoire, les détails ont de l’importance. Compte tenu de l’importance que des personnalités publiques contemporaines donnent à des événements remontant à neuf décennies, il est indispensable de clarifier les opérations menées par Stange, pour le débat actuel. Dans cette optique, l’histoire militaire turque officielle des campagnes menées pendant la première guerre mondiale (en vingt-sept volumes), est un outil précieux, bien que rarement utilisés dans les travaux historiques européens et américains [6]. Ces volumes ne sont pas facilement accessibles aux chercheurs des universités ; ils ne sont consultables que dans une seule bibliothèque, celle qui se trouve dans un complexe de l’armée turque, à Ankara. Loin des débats politisés entourant les massacres, ces récits entrent dans les détails concrets : par exemple, quelles unités et quels officiers étaient déployés à quel endroit et à quel moment.
Offrant une vue de l’intérieur, les volumes sur la Troisième armée aident à déterminer et à comprendre où était Stange durant la guerre et ce qu’il faisait [7]. Comme ils furent publiés en même temps que l’article de Dadrian (c’est-à-dire en 1993), ils ne peuvent donc être considérés comme une réponse turque à son travail. Ce sont d’importantes sources d’informations, que ni Dadrian, ni les genocide scholars, ni les autres historiens n’ont encore pris en compte.
I) Les forces irrégulières ottomanes dans l’est de l’Anatolie.
L’analyse des événements de 1915 requiert une connaissance des forces militaires turques car, trop souvent, ceux qui traitent de la période confondent les unités entre elles et mélangent les termes militaires ottomans [8].
Durant la guerre de 1914-1918, il y avait cinq groupes militaires et paramilitaires ottomans engagés sur le front du Caucase. L’armée régulière était une armée en uniforme, dirigée par des officiers professionnels, qui étaient entraînés aux tactiques militaires conventionnelles, et qui répondaient aux exigences de la discipline militaire, obéissaient aux ordres. Cette armée était présente sur tous les fronts ottomans pendant la guerre.
Ils étaient assistés par la jandarma, une gendarmerie paramilitaire ou police rurale entraînée aux standards militaires et dirigé par des officiers professionnels. Chaque province avait un régiment de gendarmerie mobile et plusieurs bataillons de gendarmes qui stationnaient [9]. Le ministre de l’Intérieur contrôlait la gendarmerie en temps de paix, mais, suite à la mobilisation du 3 août 1914, le commandement était passé au ministère de la Défense.
Il y avait en plus les cavaleries tribales (asiret, anciennement hamidiye). En 1910, le ministre de la Défense intégra les vingt-neuf régiments de cavalerie tribale dans l’armée régulière. Utilisé à la fois comme cavalerie conventionnelle et pour des tâches de sécurité intérieure, ses membres étaient le plus souvent kurdes et caucasiens, peu disciplinés et dirigés par des chefs tribaux [10]. Néanmoins, dans la réorganisation de l’armée de 1913, ces régiments furent classés parmi les régiments de cavalerie de réserves (ihtiyat süvari) de l’armée régulière ottomane.
Les gönüllü, force de volontaires paramilitaires, comprenaient des Turcs et des musulmans de diverses ethnies, venant de l’extérieur de l’empire ottoman pour participer l’effort de guerre et combattre [11]. Ils étaient souvent mal dirigés et mal armés, mais organisés en unités de telle sorte qu’ils pouvaient assister l’armée régulière lors des opérations de combat et en dehors des combats. Pendant la Première Guerre mondiale, beaucoup de volontaires servant dans le Caucase étaient des « Gréco-Turcs » et des « Caucaso-Turcs », des Laz, réfugiés musulmans des provinces européennes comme la Macédoine ou l’Épire, perdues en 1913 [12]. Par définition, ces volontaires n’étaient pas des criminels ottomans, venant d’être libérés.
L’Organisation spéciale (Teskilat Mahsusa), une force spéciale et polyvalente, formée de volontaires encadrés par des officiers professionnels, était l’équivalent des forces spéciales que comptent les armées modernes. Ils servaient à fomenter des insurrections en territoires ennemis, à mener des combats de guérilla et des insurrections dans les territoires amis, à faire de l’espionnage et du contre-espionnage, ou encore à réaliser d’autres opérations, que des forces militaires conventionnelles ne sauraient mener à bien. Alors que beaucoup d’ouvrages historiques prétendent que l’Organisation spéciale recevait des ordres du Comité union et progrès (CUP) ou du ministre de l’Intérieur, les archives montrent que c’est le ministère de la Défense qui commandait l’Organisation spéciale durant la Première Guerre mondiale [13].
Enfin, il y avait un certain nombre de groupes non militaires opérant en Anatolie pendant la guerre. Ces bandes non militaires, les çeteler (que l’on peut traduire par « bandits », « brigands », « insurgés » ou « groupes de guérilla », selon le contexte), étaient des groupes locaux, qui n’étaient ni commandés ni contrôlés depuis Istanbul. Le terme çeteler était le terme fourre-tout, utilisé aussi bien par les Ottomans, pour décrire les insurgés et les authentiques bandes de criminels, que par les observateurs étrangers, pour décrire des groupes d’assassins, dont les origines étaient généralement inconnues.
II) Le détachement de Stange
Où le major Stange opérait-il donc ? Un peu avant que la guerre n’éclate, l’empereur d’Allemagne chargea le Général Otto Liman von Sanders de diriger une mission militaire dans l’Empire ottoman, pour aider à la reconstruction de l’armée ottomane, en difficulté suite sa défaite dans la guerre des Balkans. Liman von Sanders affecta le capitaine Stange, un spécialiste prussien de l’artillerie, au commandement de l’artillerie déployée dans la forteresse d’Erzurum [14]. Stange était un officier des forces conventionnelles, qui ne possédait aucune connaissance particulière des opérations de guérilla. Son affectation à la Troisième armée ottomane stationnée à Erzurum montre quelle était son activité principale. Il consacra ses heures de labeur à la défense du fort, jusqu’à ce que le début de la guerre lui donne l’occasion de mener des troupes contre les Russes.
Selon le plan de guerre ottoman prévu initialement, la Troisième armée devait rester sur la défensive dans le Caucase, alors que l’essentiel de l’armée restait concentrée en Thrace [15]. Néanmoins, dans les premiers jours de septembre 1914, un plan de campagne révisé imposa à la Troisième armée de conduire des opérations offensives, si les hostilités étaient déclenchées. La guerre étant déclarée entre la Russie et l’Empire ottoman le 2 novembre, les Ottomans durent planifier une offensive d’hiver dans le Caucase. Le plan demandait au troisième corps d’armée de la Troisième armée d’encercler les troupes russes à Sarakamis ; avec une opération de support sur les flancs de la mer noire entre Batum et Ardahan, actuellement en Géorgie [16]. Pour soutenir cette attaque, il n’y avait pas d’unité de combat de l’armée régulière sur environ cent kilomètres de frontière turco-russe (côté mer Noire).
Néanmoins, les forces ottomanes traversèrent cette frontière le 22 novembre et arrivèrent dans la ville russe d’Artvin [17]. Devant ce succès, l’état-major général ordonna à la 3e armée, le 6 décembre, de se diriger vers Ardahan [18]. C’est à cette occasion que Stange entra en scène. Le stratèges ottomans jetèrent toutes les divisions disponibles dans l’offensive sur Sarakamis. Le quartier général de la Troisième année ordonna à Stange de prendre le commandement du huitième régiment d’infanterie, de deux batteries d’artillerie, et du bataillon de défense de la rivière Çoruh [19]. Cette nouvelle force ainsi organisée fut appelée le détachement Stange (Stanke Bey Müfrezesi), et reçut l’ordre de prendre Artvin, pendant que le reste de l’armée avançait vers les principaux objectifs. Aucune des troupes n’était entraînée à la guérilla ou à la guerre non conventionnelle. Rencontrant peu de résistance, Stange avança et prit la ville le 21 décembre.
Pendant ce temps, les autres forces ottomanes opéraient dans le secteur. Bahattin Sakir, un membre important du Comité union et progrès, commandait la force d’Organisation spéciale, qui avait infiltré ses unités avancées près de Batum, pour fomenter des troubles au sein des populations laz et turques de l’empire russe. En plus de cette mission, Sakir ordonna à Ziya Bey, major d’artillerie commandant des hommes de l’Organisation spéciale en Russie, d’encercler et détruire des bandes (çeteler) qui comprenaient beaucoup d’Arméniens [20].
L’Organisation spéciale attaqua aussi l’armée régulière russe, capturant quatre officiers et soixante-trois soldats à la fin novembre [21]. Une seule source turque mentionne la présence, par ailleurs, d’une importante force formée de volontaires, et opérant dans la vallée de la rivière Çoruh, sous le commandement de Yakup Cemil Bey [22]. Une source d’information turque affirme aussi que le détachement de Yakup Çemil faisait partie de la force spéciale d’organisation composée de Çeteler [23]. Au cours de ces batailles, de nombreux civils, Turcs, Arméniens ou appartenant à d’autres groupes ethniques locaux, furent massacrés indistinctement [24].
Le 22 décembre le dixième corps et la Troisième armée ordonnèrent à Stange, à l’Organisation spéciale et aux volontaires de converger séparément sur Ardahan. L’OS, maintenant commandée localement par le capitaine Halit Bey, coopéra et rejoignit le mouvement [25]. Malgré le mauvais temps hivernal, ces forces commencèrent à encercler la ville le 29 décembre. Parce que Stange ne contrôlait ni l’Organisation spéciale ni les volontaires, il envoya des copies des ordres de coordination concernant son propre détachement à Halit qui les transmit aux volontaires se trouvant à proximité [26]. Ce fut un arrangement bancal, et il n’y a pas d’indication que l’organisation spéciale et les volontaires rendirent la pareille. Par conséquent, l’attaque sur Ardahan ne fut pas coordonnée. Le détachement de Stange subit de lourdes pertes [27] alors que l’Organisation spéciale et les volontaires ne perdirent que peu d’hommes [28]. Les Ottomans ne réussirent pas à tenir longtemps la cité. Au début de janvier 1915, les Russes reprirent la ville, par des assauts à la baïonnette. Les mois suivants, les Ottomans effectuèrent une retraite, marquée par des combats, vers Artvin.
Fin janvier 1915 Sakir rassembla ce qui restait des hommes et des unités de l’OS dans un régiment d’organisation spéciale (Teskilat Mahsusa Alay), commandé par Halit [29]. Ce régiment comptait neuf officiers et 671 hommes [30].
Halit prit aussi le contrôle d’un groupe de volontaires, connus sous le nom de Baha Bey Sakir Force. Par la suite, et à cause de la détérioration de la situation, Sakir ordonna au régiment de l’Organisation spéciale de coopérer avec Stange, lors les opérations défensives le long de la frontière. En plus, un petit détachement de l’Organisation spéciale, commandé par Riza Bey, conduisit les opérations autour de Murgal, au nord-ouest d’Artvin. Istanbul envoya à Stange 1 600 hommes pour compenser les pertes. Les combats furent durs et les Ottomans furent repoussés. Le 16 février, trois régiments d’infanterie russe et deux régiments de cavalerie, des cosaques et un bataillon arménien attaquèrent la garde arrière d’Halit Bey et des soldats de l’Organisation spéciale [31]. L’organisation spéciale se battit bien, et couvrit les réguliers de Stange pendant qu’ils battaient en retraite.
Le 1er mars 1915, l’armée russe lança une grande attaque pour récupérer les territoires encore occupés, en repoussant Stange, l’organisation spéciale et les volontaires. En contradiction avec l’image d’une retraite désastreuse, le dixième corps réorganisa, les 20 mars, les forces ottomanes sur la frontière nord-est, formant la zone de commandement du Lazistan (lazistan ve Havalisi Komutanli) [voir table1] [32]. Mais, cette fois, Sakir avait quitté Erzurum, et Stange reçut finalement le commandement militaire de l’armée régulière aussi bien que celui de l’Organisation spéciale et des volontaires. Stange commença immédiatement à coordonner la défense avec des forces combinées totalisant 4 286 hommes, six mitrailleuses et quatre canons [33].
Table 1
Zone de commandement du Lazistan – 28 mars 1915
Détachement du Lazistan | Nombre d’hommes |
1er bataillon, 8e régiment d’infanterie | 306 |
3e bataillon, 8e régiment d’infanterie | 581 |
Batterie de montagne, 8e regiment d’artillerie | 192 |
Servants de mitrailleuses | 97 |
Génie | 140 |
Cavalerie | 30 |
Régiment de gendarmerie de Trabzon | Nombre d’hommes |
Bataillon de jandarma de Trabzon | 400 |
Bataillon de jandarma de Rize | 450 |
Bataillon de jandarma de Giresun | 330 |
Bataillon de Hopa Hudut (frontière) | 330 |
Régiment de l’Organisation spéciale (Teşkilat-ı Mahsusa Alay) Bataillon de Zia Bey Bataillon d’Adil Bey Btln Bataillon de Muhsin Btln Bataillon de Salih Aga Btln Bataillon d’Ibrahim Bey Btln Bataillon de Veysel Efendi Detachment 1 430 hommes (au total)
Source : TCGB, Kafkas Cephesi 3ncü Ordu Harekatı, Kuruluş 12
La Troisième armée envoya un lieutenant-colonel d’état-major, Vasif, pour être le chef d’état-major de Stange, pendant que Stange récupérait du matériel, des moyens et de la cavalerie, venant du commandement des communications de la Troisième armée [34]. En plus l’armée mobilisa tous les hommes de la province de Trabzon Vilayet, âgés de 17-18 ans à 45-50 ans, tandis qu’une unité d’organisation spéciale d’Istanbul rejoignait la zone de commandement du Lazistan.
Stange réorganisa son commandement augmenté entre les forces de bataille et des forces de réserves. Les forces de bataille qui tenaient les lignes de défense contre les Russes, étaient composées du huitième régiment d’infanterie, du régiment de gendarmes de Trabzon, et du régiment de l’Organisation spéciale [35]. Les forces de réserves qui étaient responsables de la zone de sécurité étaient composées des régiments de gendarmerie de Riza de Trabzon et de Samsun. Le 14 avril 1915 Stange avait 6 000 hommes sous son commandement [36]. La table 2 montre les modifications apportées par Stange dans l’organigramme du commandement.
Table 2 Zone de commandement du Lazistan – 15 avril 1915
TROUPES DE BATAILLE
Détachement du Lazistan 1er bataillon, 8e régiment d’infanterie 3e bataillon, 8e régiment d’infanterie Servants de mitrailleuses
Régiment de Jandarma de Trabzon Bataillons de Jandarma de Giresun et d’Amasya Bataillon frontalier d’Hopa Servants de mitrailleuses
Régiment de l’OS Bataillons de Ziya Bey et Adil Bey Bataillons de Mehmet Ali Bataillons d’Ibrahim Bey Bataillons de Veysel Bey Servants de mitrailleuses
Field Force Troops Deux batteries d’artillerie (8e d’artillerie), génie, peloton de cavalerie
TROUPES DE RÉSERVE
Rize Jandarma Regt 2 jandarma btlns
Trabzon Jandarma Regt 3 jandarma btlns (probably reconstituted from recalled men)
Samsun Jandarma Reg 4 jandarma btlns
Source : TCGB, Kafkas Cephesi 3ncü Ordu Harekatı, Kuruluş 13 (Organizational Chart 13)
Ces aménagements consolidèrent la défense ottomane qui, à partir de mi-avril, tenait avec succès une ligne d’environ 10 km à l’ouest de la frontière turco-russe d’avant guerre. Elle montre aussi un retour à l’organisation militaire conventionnelle, en regard de l’organisation de l’infanterie ottomane en 1915, qui contenait qui contenait trois régiments, chacun avec une compagnie de mitrailleuses.
Des troupes de soutien (artillerie, génie, de cavalerie) augmentaient les régiments [37]. À la fin janvier 1916, Halit, officier récemment promu, releva Stange. Celui-ci retourna à Erzurum.
Le début de 1916 fut une période de désastres pour les positions stratégiques ottomanes, au nord-est de l’Anatolie et dans le Caucase. Les Russes prirent Erzurum, Rize et Trabzon. Des divisions d’infanterie régulière renforcèrent le commandement du Lazistan. Plusieurs bataillons de l’Organisation spéciale du secteur furent transférés au détachement du Çoruh en mai 1916, et continuèrent à participer aux batailles du front [38]. Le reste des troupes de l’OS furent regroupées en deux unités, qui furent désignées comme le premier et le second régiment d’organisation spéciale, et furent affectées à un nouveau régiment côtier [39].
Les unités de l’OS affectées ailleurs furent redéployées dans le secteur du neuvième corps, sur le front d’Erzincan, près du village de Tuzla [40]. Ces unités servirent directement dans un corps commandé, à titre provisoire, par le lieutenant-colonel d’état-major Sevket, et menèrent des opérations offensives, en conjonction avec la treizième division ottomane d’infanterie [41]. Le 6 juin 1916, les compagnies de l’Organisation spéciale furent affectées au détachement Haçköy, nouvellement formé, sur la ligne sud de Tuzla. Le détachement avait aussi un bataillon d’infanterie, deux escadrons de cavalerie et un d’artillerie [42].
L’Organisation spéciale continua de participer aux opérations conventionnelles sur le front du Caucase, jusqu’à l’été. Le 29 juillet 1916, le premier et le second régiments de l’OS furent supprimés, et un seul régiment resta [43]. Les grosses opérations de la Troisième armée ottomanes commencèrent à diminuer pendant l’été, et, vers la fin de 1916, elles avaient presque complètement cessé, aussi bien à cause de l’extrême épuisement général dû aux combats que du mauvais temps.
La trace des formations de l’Organisation spéciale sur le front du Caucase se perd en 1917 dans la documentation publiée, et l’OS elle-même n’apparaît plus en 1918 dans les ordres de bataille ottomans concernant le Caucase. Le sort des hommes et des officiers de l’OS à cette époque est mal connu. Toutefois, la déportation des Arméniens était terminée en 1916, et il l’apparaît certain, au terme de cette étude, que l’Organisation spéciale était au front durant cette période.
Conclusion
Beaucoup d’historiens trouvent les chroniques militaires arides et difficiles à appréhender. Pourtant, quand il s’agit de la controverse sur le sort des Arméniens en 1915 ils deviennent cruciaux. Beaucoup d’historiens contemporains accusent l’Organisation spéciale et le major Stange de complicité de génocide. Les archives n’étayent pas ces accusations.
L’histoire officielle militaire de la Turquie moderne décrit les opérations de l’Organisation spéciale ottomane et ses unités dans le Caucase, de décembre 1914 jusqu’à la fin 1916, comme relevant principalement de la guerre conventionnelle. Il y a peu de chances de dissimulations et de trucages, notamment parce que ces histoires sont techniques, parce qu’elles ne sont pas destinées au public et parce qu’elles ont été écrites avant que n’apparaissent les allégations de complicité dans le génocide des Arméniens, et les controverses qui s’en sont suivies. Plus important encore, cette histoire officielle cite systématiquement ses sources archivistiques, et reproduit souvent les documents utilisés (rapports, ordres).
Les premières opérations de l’Organisation spéciale, près de Batum, n’étaient pas conventionnelles : il s’agissait d’opérations de guérilla.
Mais, avec l’offensive Sarikamis, l’OS revint au sein des commandements de l’armée régulière, comme celui de Stange. Par la suite, et d’une manière durable, les insuffisances du commandement imposèrent de maintenir l’Organisation spéciale engagée dans des opérations militaires conventionnelles. Selon les documents relatifs aux unités et aux parties du front où elles de trouvaient, il apparaît que les unités l’Organisation spéciale, associées à Stange, n’ont pas été redéployées depuis le front caucasien pour déporter et massacrer les arméniens.
Il est donc impossible que Stange soit impliqué dans la mort d’Arméniens. L’histoire montre qu’il commanda des forces armées régulières, engagées dans des offensives conventionnelles et des opérations défensives jusque fin mars 1915. Même s’il commanda techniquement toutes les forces ottomanes près d’Ardahan en 1914, il n’exerça pas de contrôle réel sur l’OS et les volontaires. Après qu’il eut obtenu le commandement de la zone du Lazistan, il commanda directement les forces spéciales, qu’il employa sur la ligne défensive, d’une manière conventionnelle. En effet, du 1er décembre 1914 au 20 mars 1915, Stange peut être caractérisé comme un officier en détachement, qui coopère avec l’OS dans des opérations conventionnelles. Après le 20 mars 1915 Stange est un commandant de zone qui a autorité sur les forces de l’Organisation spéciale, pour des opérations de défense conventionnelle. Les rapports montrent que Strange n’était ni un officier de l’Organisation spéciale, ni un chef de guérilla. En fait, Stange ne fut guère heureux avec la discipline de l’Organisation spéciales et des forces irrégulières, comme le révèle son manque d’autorité sur eux [44].
L’histoire de la Turquie révèle une curieuse explication alternative, sur l’identité des troupes qui furent redéployées pour déporter des Arméniens. Les régiments de réserve de cavalerie (le premier aşiret, ou cavalerie tribale) furent regroupés en quatre divisions de réserves, qui furent mobilisés au sein du corps de réserve de cavalerie, en août 1914.
Les performances tactiques de ce corps étaient extrêmement mauvaises ; sa discipline et son efficacité au combat, assez faible [45]. En conséquence, l’état-major général ottoman exclut ce corps de l’armée active dès le 1er novembre 1914 [46], et seulement 7 des 29 régiments de cavalerie de réserves restèrent sous les couleurs de la Troisième armée [47]. Le reste des régiments fut dissous et « 10 000 cavaliers de réserve, dispersées à travers la région, retournèrent dans leur village [48] ».
La plupart de ces hommes étaient des Kurdes et Circassiens. Sans emploi après cette démobilisation, beaucoup peuvent avoir été attirés par la déportation d’Arméniens au printemps 1915. Il est clair que beaucoup d’Arméniens sont morts pendant la Première Guerre mondiale. Mais des accusations de génocide exigent des preuves authentiques d’une politique officielle d’extermination. Vahakn Dadrian a accusé le major Stange et l’Organisation spéciale d’avoir été les instruments du nettoyage ethnique et du génocide, rencontrant ainsi un vif succès. Des documents non utilisés par Dadrian, pourtant, infirment ses allégations.
Source : Middle East Quarterly, été 2006
Traduction par Behor pour Turquie News
[1] Aram Andonian (éd.), The Memoirs of Naim Bey : Turkish Official Documents Relating to the Deportations and Massacres of Armenians, Newtown Square, Armenian Historical Society, 1965 (réimpression de l’édition londonienne, 1920).
[2] Voir Guenter Lewy, "Revisiting the Armenian Genocide," Middle East Quarterly, automne 2005, pp. 3-12 ; Vahakn Dadrian, "Correspondence," Middle East Quarterly, Winter 2006, pp. 77-78.
[3] Vahakn Dadrian, "The Role of the Special Organization in the Armenian Genocide during the First World War," Panikos Panayi (dir), Minorities in Wartime : National and Racial Groupings in Europe, North America and Australia in Two World Wars, Oxford, Berg, 1993, p. 58-63.
[4] Voir par exemple Taner Akçam, Armenien und der Völkermord : Die Istanbuler Prozesse und die türkische Nationalbewegung, Hamburg, Hamburger Edition, 1996, p. 65.
[5] Lewy, “Revisiting the Armenian Genocide” ; et Guenter Lewy, The Armenian Massacres in Ottoman Turkey, A Disputed Genocide, Salt Lake City, University of Utah Press, 2005, pp. 82-88.
[6] Voir Edward J. Erickson, “The Turkish Official Military Histories of the First World War : A Bibliographic Essay”, Middle Eastern Studies, 39 (2003), p. 183-191. Aucune bibliothèque, hors de Turquie, ne possède la collection complète. En plus des vingt-sept volumes couvrant la Première guerre mondiale, il existe quatorze volumes sur les deux guerres balkaniques (1911-1913), et dix-huit volumes sur la guerre d’indépendance (1919-1923).
[7] Ces deux ouvrages sont T.C. Genelkurmay Başkanlıgı, Birinci Dünya Harbinde, Türk Harbi, Kafkas Cephesi 3ncü Ordu Harekatı, Cilt I ve Cilt II, Ankara, Genelkurmay Basımevi, 1993. Se référer ensuite à TCGB, Kafkas Cephesi 3ncü Ordu Harekatı and TCGB, Kafkas Cephesi 3ncü Ordu Harekatı II.
[8] Par exemple, la « racaille » citée dans Dadrian, "The Role of the Special Organization in the Armenian Genocide during the First World War", p. 58, ou les « bandes d’anciens détenus criminels » dans Peter Balakian, The Burning Tigris, The Armenian Genocide and America’s Response, New York, HarperCollins Publishers, 2003, p. 182-183.
[9] TCGB, Türk Silahlı Kuvvetleri Tarihi, IIIncü Cilt, 6ncı Kısım, 1908-1920, Ankara, Genelkurmay Basımevi, 1971, pp. 133-135.
[10] Ibid., pp 129-132.
[11] Ibid., pp. 239-240.
[12] Ibid.
[13] Askeri Tarih ve Stratejik Etüt (ATASE), BDH Koleksıyonu Kataloğu-4, Ankara, sans date. First World War Catalogue, n° 4.
[14] Ismet Görgülü, On Yıllık Harbin Kadrosu 1912-1922, Balkan-Birinci Dünya ve Istiklal Harbi, Ankara, Türk Tarıh Kurum Basımevi, 1993, p. 105 ; Deutsche Offiziere in der Türkei, Bonn, Militar, 1957, p. 10.
[15] TCGB, Birinci Dünya Harbinde, Türk Harbi, Inci Cilt, Osmanlı Imparatorluğunun Siyasi ve Askeri Hazırlıkları ve Harbe Girişi, Ankara, Genelkurmay Basımevi, 1970, pp. 212-238.
[16] Fahri Belen, Birinci Cihan Harbinde Türk Harbi, 1914 Yılı Hareketleri, Ankara, Genelkurmay Basımevi, 1964, p. 96.
[17] TCGB, Kafkas Cephesi 3ncü Ordu Harekatı, Kroki 36 (carte 36).
[18] Ordre de l’état-major général, ATASE Archive 2950, H-6, carton 1-267, reproduit dans ibid., pp. 339-40.
[19] TCGB, Kafkas Cephesi 3ncü Ordu Harekatı, p. 349.
[20] Ibid., p. 344.
[21] Ibid., p. 293.
[22] Ibid., Kroki 37 (carte 37).
[23] Görgülü, On Yıllık Harbin Kadrosu 1912-1922, pp. 109, 111.
[24] Muammer Demirel, Birinci Cihan Harbinde Türk Harbinde Erzurum ve Çevresinde Ermeni Hareketleri, Ankara, Genelkurmay Basımevi,.
Étant donné le nombre d’opérations et d’organisations différentes qui opéraient dans le même secteur, l’état-major rencontra des difficultés pour unifier le commandement des troupes engagées à Sarakamis. Finalement, Stange devint le commandant de toutes les forces — troupes régulières, bataillons de sécurité autrefois stationnés à la frontière, volontaires, et Organisation spéciale. Néanmoins, l’Organisation spéciale et les volontaires continuèrent de recevoir des ordres de Sakir, qui voulait garder le contrôle des opérations, pendant que Stange relevait du commandement du dixième corps, dans le secteur où il opérait[[TCGB, Kafkas Cephesi 3ncü Ordu Harekatı, p. 602.
[25] Ibid., p. 605.
[26] ATASE Archive 5257, H-1, carton 1-10, cité dans ibid., p. 603.
[27] ATASE Archive 5257, H-1, carton 1-12, reproduit dans TCGB, Kafkas Cephesi 3ncü Ordu Harekatı, p. 603.
[28] TCGB, Kafkas Cephesi 3ncü Ordu Harekatı, p. 603.
[29] Ibid., p. 608.
[30] ATASE Archive 5257, H-3, carton 1-4, reproduit dans ibid., p. 603.
[31] TCGB, Kafkas Cephesi 3ncü Ordu Harekatı, p. 607.
[32] Ibid., p. 614.
[33] ATASE Archive 2950, H-3, carton 1-49, cité dans ibid., p. 614.
[34] TCGB, Kafkas Cephesi 3ncü Ordu Harekatı, p. 615.
[35] ATASE Archive 2950, document H-4, File 1-8, cité dans ibid., p. 615.
[36] ATASE Archive 5257, document H-4, File 194, reproduit dans TCGB, Kafkas Cephesi 3ncü Ordu Harekatı, p. 616
[37] TCGB, Türk Silahlı Kuvvetleri Tarihi, pp. 199-203, 266-272 pour des informations sur l’organisation des divisions ottomanes d. Les forces de combat étaient équipées et commandées pratiquement comme une division d’infanterie régulière. Cela reflète les connaissances conventionnelles de Stange et les nécessités tactiques de défendre la frontière nord-est de l’empire ottoman d’une manière efficace et traditionnelle. Les rythme des combats se ralentit, et le front resta stationnaire jusqu’au début de 1916. Pendant cette période, le régiment de l’Organisation spéciale resta au front et fut engagé dans des opérations conventionnelles de défense[[TCGB, Kafkas Cephesi 3ncü Ordu Harekatı II, p. 86.
[38] Ordres, ATASE Archive 3974, H-2, cartons 1-59 et 73, cité dans ibid., p. 181.
[39] TCGB, Kafkas Cephesi 3ncü Ordu Harekatı II, p. 251.
[40] Ibid., p. 233.
[41] Ibid., p. 240, Kuruluş 11.
[42] Ibid., p. 247.
[43] ATASE Archive 2950, H-58, cartons 1-329 et 333, cité dans ibid., pp. 369-70.
[44] TCGB, Kafkas Cephesi 3ncü Ordu Harekatı, p. 618.
[45] Belen, 1914 Yılı Hareketleri, p. 116-24.
[46] TCGB, Kafkas Cephesi 3ncü Ordu Harekatı, p. 311.
[47] Ibid., Kuruluş 1.
[48] Ibid., p. 322.