du turc "yeniceri" : nouvelle troupe et devsirmek (recruter)
Un jeune universitaire de l’académie des Sciences d’Arménie (qui ne peut être suspecté de sympathies pro turques), a fait une thèse sur le devsirme. Bien que la pratique ait été rude, on y trouve pas traces d’inhumanités turques particulières, sauf si on considère le fait d’enrôler dans une armée turque comme foncièrement "inhumain"
Le recrutement des Janissaires dans l’empire Ottoman : devsirme

Artak Shakaryan a étudié les registres de la Chancellerie (« Mühimme ») à Damas, ainsi que les « firmans » (décrets) du sultan, dont certains concernent le Devshirme et a publié une thèse dont le titre éclaire sur les sentiments de l’auteur : "Devsirme : la taxe sur le sang dans l’Empire ottoman"
Or, ce livre, publié en arménien avec résumé en anglais, qui étudie le système de levée d’enfants des communautés non-musulmanes sous domination ottomane dans les Balkans, ne fait pas état d’actes de barbarie contre des enfants, tels que le titre le laisserait croire. Au contraire, il admet lui-même que la ponction d’adolescents chrétiens n’était pas faite dans le but de brimer les chrétiens, et que des Turcs eux-mêmes tentaient de faire passer leur propre enfant pour chrétiens afin qu’ils puissent devenir janissaires.
Concernant le fait que tous ne devenaient ni vizirs ni même janissaires, il s’agit plutôt des résultats d’une sélection que de la volonté de mettre en esclavage, et d’ailleurs, rien n’est trouvé sur un sort éventuellement funeste à leur encontre.
Ressort également clairement que devenir musulman était considéré par les chrétiens comme une véritable excommunication, ce qui ne donne déjà pas une image particulièrement "ouverte aux autres religions" des chrétiens de l’époque.
Les Janissaires, accompagnés de docteurs, se rendaient dans les zones rurales et levaient des recrues parmi les enfants âgés entre 6 et 16 ans. La palette d’âge était aussi large, car on accordait plus d’importance à l’apparence physique qu’à l’âge réel des enfants. Un enfant devshirmé devait être en bonne santé, de taille et de corpulence moyennes. Les enfants déjà fiancés ne pouvaient être recrutés ; c’est en partie pour cette raison que beaucoup de familles fiançaient leurs enfants à un âge précoce. Une autre règle importante stipulait que les enfants ne devaient pas parler turc. Les enfants réquisitionnés et acheminés vers Istanbul étaient par la suite examinés par des experts qui, se basant essentiellement sur leurs caractéristiques physiques, émettaient un avis sur le domaine auquel ils devaient être affectés. On effectuait aussi des tests verbaux. Les enfants physiquement les plus présentables et les plus intelligents étaient envoyés au palais ; les autres étaient soit confiés aux Janissaires afin de devenir soldats, soit vendus comme esclaves. Selon les sources disponibles, on peut estimer à environ 60 % la proportion des enfants qui devenaient esclaves, à 30 % ceux qui devenaient Janissaires et seuls 10 % aboutissaient au palais.
L’État ottoman s’étant étendu très rapidement après sa naissance, a très vite manqué de personnel. C’est ainsi qu’on institua d’abord un système de recrutement de chrétiens comme soldats mercenaires. Quelques historiens pensent que les Ottomans s’inspirèrent de l’exemple byzantin. C’est l’État ottoman qui adopta le premier l’idée de lever les enfants de ses sujets en guise d’impôt, afin de pallier ce manque de personnel. Il existait déjà auparavant une taxe appelée « pencik » qui consistait à prélever un prisonnier de guerre sur cinq pour alimenter l’armée du sultan. À la fin du 16ᵉ siècle, avec le ralentissement de l’expansion de l’Empire, le nombre de « pencik » disponibles se réduisit. Le système du Devshirme fut alors introduit afin de créer de nouvelles ressources.
L’obstacle au recrutement de musulmans était qu’ils pouvaient avoir des parents ou des relations influentes et que nombre d’entre eux parlaient turc. On trouve aussi des documents interdisant de recruter des Juifs et des Roms. Aucune explication n’est avancée pour cela, mais il existait par ailleurs une règle stipulant que les enfants ne devaient pas provenir des villes, or la plupart des Juifs y vivaient. On considérait effectivement que les enfants des villes étaient plus intelligents et donc davantage susceptibles de s’enfuir. La plupart des devshirmé sont originaires de la partie européenne de l’Empire, de Grèce, de Bulgarie, de Serbie et d’autres régions slaves. L’État préférait lever les enfants des leaders religieux et féodaux des différentes communautés assujetties. Ils pouvaient parfois essayer de tromper les autorités en éloignant leurs enfants du village. Les Janissaires, représentants de l’État, pouvaient cependant effectuer des vérifications dans le registre des baptêmes. Quand les Janissaires arrivaient, les villageois avertissaient les villages environnants de leur venue. Il arrivait aussi que, même après le départ des convois d’enfants et de Janissaires pour Istanbul, les villageois les poursuivent et reprennent ces enfants.
Il n’était cependant pas dans la mentalité de l’époque de reprendre un enfant converti à l’Islam. Les noms de baptême originaux des enfants étant ceux des saints chrétiens, selon les croyances de l’époque, un enfant dont le prénom était changé perdait la protection de son saint patron. Comme de surcroît, il n’y avait alors pas de nom de famille, les enfants recevaient pour patronyme le prénom de leur père, par exemple « Sarkis, fils de Hovannes ». Les Janissaires leur attribuaient aussi des noms en fonction de leur lieu de naissance, comme « Mehmet de Filibe » (ou Abdullah, qui signifie « le serviteur d’Allah »). C’est ainsi qu’un enfant était séparé des siens.
D’un autre côté, il y avait des avantages associés à la fonction de soldat janissaire, comme le fait d’être exempté de taxes. Nombre de Turcs souhaitaient que leurs enfants deviennent des Janissaires. Certains devshirmé pouvaient être affectés au palais et, même parfois, devenir vizir. C’est ainsi que certains Turcs essayaient de faire passer leurs enfants pour Chrétiens afin qu’ils soient pris comme devshirmé. Les Albanais faisaient toutefois exception dans la mesure où ils étaient les seuls sujets musulmans à être concernés par le Devshirme. Celui-ci était effectivement utilisé par les Ottomans comme un moyen de contrôle des populations albanaises récemment islamisées, considérées représenter un intérêt stratégique pour l’Empire.
Il était interdit aux Janissaires de se marier, de fonder une famille ou d’avoir une activité commerciale. Ils se mirent cependant à le faire à la fin de l’Empire ottoman. Le système du Devshirme commença aussi à tomber en désuétude, ce qui participa à la décadence de l’Empire.
Les « Mühimme Defterleri » mentionnent certains cas où les recrutés retournèrent dans leur famille. Ainsi le décret d’un sultan à Sis en Cilicie en 1564 fait-il référence à des devshirmé qui se sont échappés, sont retournés dans leurs villages et ont été rebaptisés. L’Encyclopédie de l’Islam mentionne aussi le fait que des enfants plus âgés s’échappaient. Les archives Uzunçarsili et douze rapports de « Mühimme » citent le cas de devshirmé s’étant échappés après sept ans de service. Mehmet Sokullu, originaire d’une famille serbe renommée de Sokolovich entra au palais comme devshirmé et devint finalement vizir. Il désigna son frère comme leader religieux des Serbes, ce qui implique qu’il garda contact avec sa famille. Parmi les Arméniens, il y a au 17ᵉ siècle le cas des frères Mehmet Doganci et Halil Pasha. Le premier faisait partie du corps des Doganci (qui signifie « celui qui est en charge des aigles et faucons du palais ») et le second, son frère cadet, était un personnage en vue chez les Janissaires. Originaires de Malatya, ils se soutinrent mutuellement.
Le Devshirme permit de pallier le manque de personnel de l’Empire ottoman, mais eut des répercussions sur les Serbes, les Grecs et les Arméniens. On ponctionna pendant des siècles nombre de garçons, et parfois de filles, parmi les plus beaux, les plus intelligents, les plus prometteurs.
"Le Devchirmé ottoman XVI-XVII-XVIII siècles"