La diaspora arménienne : entre haine, racisme, affolement et espoir
Les accords de réconciliation historiques signés entre la Turquie et l’Arménie le 10 octobre 2009 à Zurich ne cessent de tourmenter les Arméniens de la diaspora.
Ceux-ci, en bouillonnement incessant, oscillent entre la haine pathologique, la peur de céder du terrain aux Turcs et l’espoir d’un avenir de paix.
La pléthore d’articles, de déclarations, de réactions, de commentaires et autres manifestations inondent le hayastan diasporique qui s’interroge toujours…
LA HAINE
Elle est comme à l’accoutumée orchestrée et distillée par le parti ultranationaliste Dachnak (FRA Dachnaktsoutioun) qui tient fermement les rênes politiques au sein des diasporas arméniennes à travers le monde.
Ainsi, l’organisation extrémiste se targuait d’avoir rassemblé 60 000 manifestants au centre d’Erevan pour crier leur opposition aux protocoles turco-arméniens.
Sa représentante aux Etats-Unis, l’ANCA (Armenian National Committee of America) a dénoncé, par la voix de son président Ken Hachikian « des protocoles humiliants et unilatéraux ».
On se souvient des milliers de manifestants au Parc Pelanconi venus de toute la Californie (environ 40 bus de Los Angeles) et des états voisins.
En France [1], c’est avec de la poésie : « Traitre ! » et « Votch ! » (Non !) que le président de la République d’Arménie, sous protection très rapprochée, sera reçue sous les huées par les manifestants arméniens et leur fomenteur professionnel le Dachnak avec son fielleux représentant en Europe Mourad Papazian.
La colère est d’autant plus grande que pour la première fois de son histoire, la diaspora arménienne a perdu son contrôle sur le gouvernement d’Arménie dans sa politique envers la Turquie.
LE RIDICULE NE TUE PAS
Les extrémistes iront jusqu’à dénigrer le président arménien car celui-ci osera faire preuve de fair-play et de courtoisie en serrant la main [2] de son homologue turc chaque fois que l’équipe turque marquera un but contre l’équipe d’Arménie au match retour à Bursa le 14 octobre dernier.
Un tel délire est vraiment ridicule et risible. Décidément, les fanatiques arméniens sont tombés bien bas.
L’autre option, éminemment politicienne, serait la préparation d’un plan perfide pour destituer Sarkissian, en lui jetant l’opprobre. L’avenir nous le dira.
LE RACISME ET L’INTOUCHABILITÉ
L’avocat turc Orhan Kemal Cengiz qualifié pourtant par les Arméniens de « généreux, dévoué, homme de principes, admirable défenseur des droits de l’homme » [3] car il milite en faveur de la reconnaissance de la thèse arménienne de génocide écrit : « cette “victimisation” (des Arméniens) s’est transformée en une identité et ne veut plus disparaître ».
Le directeur de la publication du magazine ‘France-Arménie’ : Laurent Leylekian répond à Orhan Cengiz : « les ‘maudits Turcs’ d’Orhan Cengiz Kemal sont effectivement, sinon des meurtriers, du moins des receleurs du Grand Crime. » et poursuit avec ces mots terribles empreints d’un racisme inouï : « Alors oui, les ‘maudits Turcs’ restent coupables ; ils restent tous coupables quelle que soient leur bonne volonté, leurs intentions ou leurs actions. Tous, de l’enfant qui vient de naître au vieillard qui va mourir, l’islamiste comme le kémaliste, celui de Sivas comme celui de Konya, le croyant comme l’athée, le membre d’Ergenekon comme Orhan Kemal Cengiz qui est ‘défenseur des droits de l’homme, avocat et écrivain’ et qui travaille pour ‘le Projet kurde des droits de l’homme’. Aussi irrémédiablement coupables que Caïn, coupables devant les Arméniens, devant eux-mêmes, devant le tribunal de l’Histoire et devant toute l’Humanité. » [4]
Comment peut-on humainement porter en soi tant de haine, tant d’aversion, tant de racisme ?
L’interrogation de Orhan Cengiz en guise de conclusion est pertinente : « Avez-vous (les Arméniens) le droit d’être raciste et de ne pas être remis en question en même temps ? ».
La volonté d’humilier l’adversaire n’est pas une solution mais un sentiment primitif de vendetta.
L’AFFOLEMENT ET LA PEUR
Envisager la paix avec celui que l’on a toujours connu et considéré comme son adversaire ancestral, ce « maudit Turc », semble donner le vertige à certains.
Du jour au lendemain, « l’ennemi turc » risque de disparaître, que faire ? Question ô combien existentialiste pour ceux qui ne l’ont jamais envisagé et qui s’étaient finalement habitués à voir un monstre sanguinaire chez ce bon vieil ennemi atavique qu’incarne le Turc.
Un avenir inconnu, sans ennemi : terrifiante situation qui se profile là à l’horizon. Pourtant c’est si facile de détester et de ne regarder le monde qu’avec un esprit bariolé et une approche manichéenne avec le gentil Arménien contre le méchant Turc.
La FRA n’a préparé personne à une autre éventualité que l’exécration du Turc et certainement pas à la paix avec lui. Qu’en serait-il de son fonds de commerce autrement ?
De plus, quel devenir pour « l’arménité », la « cause arménienne » et les machinations et autres tripotages communautaristes si le ciment identitaire arménien engendré par la répugnance du Turc trépasse ? La dislocation communautaire ? L’assimilation ? Perspectives cruelles ou angoisse exagérée et couardise ?!
Gare à ce que votre crainte ne vous fasse tomber de Charybde en Scylla.
L’ESPOIR
Comme leurs cousins turcs dont ils ont partagé la vie durant des siècles sous le dôme ottoman, les Arméniens savent aussi trouver en eux des ressources de sagesse et de raison. Alors que la communauté internationale salue unanimement le rapprochement historique entre Turcs et Arméniens, ces derniers ne pouvaient s’enfoncer collectivement dans le rejet. « L’espoir est une mémoire qui désire » écrit Balzac. Mais, la paix est d’abord un espoir.
Et cet espoir est porté par des Arméniens célèbres de la diaspora qui ont décidé de soutenir l’initiative du président Sarkissian. Et ils sont loin d’être peu et timorés. En voici trois pour la France : le chanteur Charles Aznavour, l’industriel Serge Tchuruk et le producteur Alain Terzian.
Il est à noter également le comportement plutôt « constructif » d’Ara Toranian, le directeur de « Nouvelles d’Arménie » depuis la diplomatie du football. Force est de reconnaître que cet ancien partisan de la lutte terroriste reconverti dans le journalisme communautaire a nettement évolué.
Contrairement à ses confrères et consorts, il est un défenseur des accords turco-arméniens avec une approche simple et laconique : « Qui ne risque rien n’a rien ! » [5]
Indiquons toutefois que Toranian fonde sa vision sur le pragmatisme, le réalisme et la volonté d’aboutir à un résultat.
Par ailleurs, les Arméniens ne peuvent éternellement persister dans leur ostracisme. Un jour où l’autre, il faudra bien s’asseoir à la même table que les Turcs, discuter et négocier. Négocier la paix. Que craignent-ils ? Que les Turcs expriment également leurs souffrances ?
Selon Orhan Cengiz : « Tout commencera en sentant le chagrin et la douleur d’une vieille dame arménienne, forcée de quitter sa maison et de traverser le désert. ». Cela n’est valable que pour les Turcs, qui d’ailleurs en majorité comprennent et compatissent depuis longue date à la douleur arménienne. Mais l’inverse est loin de se vérifier. Les Arméniens refusent d’accorder la moindre importance aux atrocités que leurs aïeux ont commises sur les populations musulmanes. Même la revue « L’Histoire » qui, contrairement à son numéro de 1995, a clairement pris cette fois le parti des Arméniens précise : « La désertion effective d’Arméniens en Russie et la constitution de milices arméniennes qui, avec les Russes, ravagent des villages musulmans et tuent leurs habitants » [6]. Robert Mantran mentionne plusieurs centaines de milliers de musulmans assassinés par les milices arméniennes.
La souffrance relève-t-elle d’une exclusivité arménienne ?
Seule une approche dépassionnée et exclusivement scientifique de ce sujet délicat pourra apaiser les peuples turc et arménien et consolider la paix.
Pour reprendre Tolstoï : « La vérité doit s’imposer sans violence ».
En fait, il faudrait compléter les propos de Orhan Cengiz ainsi : « Tout commencera, pour le Turc, en sentant le chagrin et la douleur d’une vieille dame arménienne, forcée de quitter sa maison et de traverser le désert ; et pour l’Arménien, en sentant le chagrin d’une vieille paysanne turque, forcée d’assister à la destruction de son village et la disparition de sa famille ».
Et là effectivement, nous, Arméniens et Turcs, commencerons à comprendre ce que nous avons perdu et pleurerons ensemble - et pour longtemps.
Arif Dursun
24.10.2009
[6] Revue « L’Histoire » page 59 édition Octobre-Décembre 2009