Photo : Les ultra-nationalistes arméniens brûlent le drapeau turc lors d’une manifestation


Les 21 et 24 octobre dernier, avaient lieu dans les communes bruxelloises de Schaerbeek et de Saint-Josse de violentes manifestations-émeutes. Illégales, incontrôlées, elles ont été le fait de jeunes gens, pour la plupart des adolescents d’origine turque, sans aucun doute manipulés, et ont débouché notamment sur le tabassage d’un journaliste d’origine turque, Mehmet Köksal, et sur le saccage d’un restaurant arménien.

Ces événements sont évidemment à condamner, et ils l’ont été à maintes reprises, avec fermeté. Aussi légitime que puisse être un ressentiment, rien, absolument rien ne peut cautionner la violence, qu’elle soit dirigée vers les personnes ou vers les biens.

Après ce petit rappel, toujours utile, venons-en au cœur du présent propos.

Les récents événements qui ont eu lieu à Schaerbeek et à Saint-Josse ont occasionné un questionnement : pourquoi porter sur le territoire belge un conflit extérieur ? La question est légitime, même si elle me paraît naïve, à l’heure où la mondialisation et le développement des technologies de la communication permettent aisément de vivre d’ « ici » des événements de « là-bas », parfois, il est vrai, de façon excessivement émotionnelle.

Ce questionnement s’est progressivement mué en sommation adressée à l’ensemble de la « communauté » turque de s’expliquer, de se justifier voire de s’excuser, pour des faits, non seulement commis par une infime minorité au sein de cette « communauté », mais qui plus est apparus dans un contexte pluritentaculaire, qui doit être compris dans toute sa complexité sous peine de perpétuer le sentiment d’incompréhension mutuel.

Même le rassemblement citoyen du 3 novembre dernier contre le terrorisme – organisé pour, d’une part, permettre l’expression d’un ressenti sociétal dans le cadre des droits constitutionnels reconnus à tous les citoyens de ce pays, et, d’autre part, montrer que les citoyens belges d’origine turque peuvent aussi se réunir autour d’un rassemblement citoyen légal, serein, pacifiste, le tout dans un esprit de restauration de l’image de cette « communauté » turque de Belgique, fortement ébranlée suite aux événements susmentionnés – a été la cible du questionnement-sommation décrit ci-avant.

Il y aurait tant à dire sur la frustration qu’une telle situation peut engendrer.

Par ailleurs, d’aucuns ont reproché à la « communauté » turque de Belgique, à travers les associations turcophones de Belgique, d’agir dans la droite ligne de l’État turc, d’être téléguidée par ce dernier. Attardons-nous-y un moment parce que cette critique est récurrente et partiellement infondée.

Premièrement, même s’il est indéniable que certains médias ou mouvements turcophones calquent sans esprit critique leurs prises de position sur celles des instances turco-turques, on peut parfaitement imaginer qu’un citoyen turc ou d’origine turque puisse manifester un ressenti qui coïncide avec la position officielle de l’État turc sans pour autant être téléguidé ou manipulé par celui-ci. Prétendre le contraire, et généraliser cette prétention à l’ensemble de la « communauté » turque, c’est opérer une pétition de principe inacceptable et dénier à un ensemble d’individus éminemment hétérogène toute aptitude à raisonner de façon autonome.

Deuxièmement, cette critique – et l’indignation qui la sous-tend – est systématiquement sélective. Le dernier exemple de ce systématisme aura été la tenue, le 14 décembre dernier, à Bruxelles, d’une manifestation intitulée « STOP à cette Turquie génocidaire en Europe ! ».

Heureusement peu suivie, bien que massivement promue avant sa réalisation, cette manifestation était organisée par la FRA Dachnaktsoutioun et activement soutenue par le CCAF (Conseil de Coordination des organisations Arméniennes de France). En d’autres termes, cette manifestation, tenue à Bruxelles, en territoire belge, était organisée par un parti politique arménien, dit socialiste mais profondément nationaliste et turcophobe, et soutenue par une association arménienne de France, déclarant sur son site internet « saluer l’initiative de la FRA Dachnaktsoutioun » et « s’y associer pleinement », parlant d’ « indéfectible unité ».

N’est-ce pas porter sur le territoire belge un conflit extérieur ? N’est-ce pas agir dans le prolongement d’une force politique d’un État tiers ? N’est-ce pas desservir la paix sociale que de réduire un pays entier à une accusation diabolisante ? N’est-ce pas réducteur d’amalgamer « Union européenne » et « Europe », le titre de la manifestation insinuant sans nuance aucune que la Turquie n’est pas en Europe, ce qui en dit en fait long sur les réelles motivations derrière ladite manifestation ?

Il est affligeant de constater qu’encore une fois, alors que l’associatif turcophone de Belgique est accusé de porter sur le territoire belge un conflit extérieur, de desservir la paix sociale et d’être téléguidé par un État tiers, d’autres associatifs communautaires bénéficient d’un blanc-seing total à tous ces niveaux, ce qui débouche sur un « deux poids, deux mesures » qui ne fait que décupler le sentiment d’incompréhension et de frustration d’une « communauté » turque à laquelle on ne cesse pourtant de demander de cultiver la sérénité et la nuance, comme si de rien n’était. Un comble.

Mehmet Alparslan Saygin
UETD Brussels / Secretary-General
Blog Anachorete