Atatürk par Andrew Mango. La biographie référence de Mustafa Kemal
"Tout n’est pas politique, mais la politique s’intéresse à tout."
« Vous connaissez Atatürk » ? La fierté est palpable lorsqu’un turc vous pose la question. 63 ans après sa mort, l’homme reste une institution. Dès lors, mieux vaut ne pas sécher si vous souhaitez sympathiser. Dans le meilleur des cas, vous bénéficierez, peut être, d’une ristourne. Personnellement, j’en suis déjà à deux kebabs à prix réduits grâce à ce livre. Sinon, contentez-vous du simple « fondateur de la république de Turquie« . Généralement, ça suffit.
Mais le goût du raki devient amère lorsque l’on découvre la puissance d’Istanbul. Comment ais-je pu manquer un des hommes politiques les plus importants du XXème siècle ? Non seulement, le fondateur de la première république, en « terre d’Islam », mais aussi le seul dirigeant qui ait pris le pouvoir dans les années 20 sans tomber dans la folie totalitaire de la décennie suivante. Une prouesse, mais aussi une marque de sagesse dont la Turquie peut encore s’enorgueillir. |
Mon ignorance m’agace d’autant plus que, dès les premiers jours dans les quartiers de la vieille ville, je sens la vivacité de son héritage politique et aussi de la similitude de nos deux pays. La Turquie et la France ressemblent trop pour continuer à se rater de la sorte.
Il me fallait LA biographie de référence. Celle qui retrace parfaitement la vie de Mustafa Kemal et qui replace de façon pédagogique et pointue, le contexte culturel dans lequel grandissent les officiers ottomans de la génération de Mustafa Kemal. L’ambition de tous historiens, me direz vous, mais Andrew Mango a cet avantage de parler et lire le turc qui lui permet d’étudier les documents, rapports, textes etc… jusque-la inexploités. Le résultat est saisissant. Présenté trop souvent à l’étranger comme un autocrate ordinaire, Mustafa Kemal révèle, sous la plume d’Andrew Mango, une nature autrement plus complexe pour ne pas dire énigmatique.
Militaire, nationaliste et dominateur, Mustafa Kemal n’a néanmoins jamais voulu autre chose que la République pour son pays. Avouez que ce n’est pas commun. Même ambivalence concernant les rapports aux occidentaux. Extrêmement sourcilleux sur l’indépendance nationale et méfiant de « l’amitié » des pays européens, Atatürk continuera, le long de ses discours, à promouvoir la raison et la civilisation, apanage à l’époque des occidentaux. Et que dire des femmes ? dont il ne supporte pas la contradiction sous son toit mais à qui il donne le droit de vote dès 1934… soit 10 ans avant la France.
Mais, au-delà de l’aspect politique, la révolution kemaliste est, avant tout, culturelle. En moins de 20 ans de règne, Mustafa Kemal, posera inlassablement le cadre occidental qui doit amener la Turquie sur le chemin de la modernité : adoption des chiffres et les lettres grecs et latines ; écriture et langage turc simplifié et recrée…à l’image de mots français ; séparation de l’Islam et de l’Etat donc abandon des medrese pour une éducation nationale uniforme…et ce n’est pas fini.
Au final, Mustafa Kemal se rattache à la catégorie des despotes éclairés, au sens noble et voltairien du terme. Son ascension fulgurante traduit un sens tactique hors du commun qui n’a pu aboutir uniquement grâce au stade de décomposition avancé dans lequel se trouvait le sultanat. Engoncé dans ses certitudes mystiques vieux de 4 siècles, le dernier sultan Mehmet VI n’a jamais compris le sentiment nationaliste turc. Mustafa Kemal c’est De Gaulle, 20 ans avant l’appel du 18 Juin.
Décidemment, cet homme a tout pour me plaire.
Lien/Source : http://tancredeblog.fr/2011/03/ataturk-par-andrew-mango-la-biographie-reference-de-mustafa-kemal/