(en photo : Levon Ter-Petrossian)
Par Semih İDİZ
Le projet ferroviaire accentue l’isolation croissante de l’Arménie
Il doit y avoir une meilleure façon de procéder pour l’Arménie que de suivre la ligne Dashnak [NDT : Parti nationale-socialiste arménien, extremiste et profondément turcophobe. Dispose de bureaux officiels en France, s’ingère régulièrement dans la politique intérieure et éxtérieure des pays européens et dirige la majeure partie du lobbying nationaliste arménien d’Europe]. Espérons que les Arméniens le comprendront en février prochain et qu’ils éliront comme Président le modéré Levon Ter Petrossian.
On ne peut pas s’empêcher de penser que la situation aurait été différente si le Président de l’Arménie avait fait partie de la cérémonie d’inauguration du projet ferroviaire Bakou-Kars, à laquelle assistaient les présidents de la Turquie, de la Georgie et de l’Azerbaïdjan, en début de semaine.
Les raisons pour lesquelles le Président Robert Kocharian n’était pas présent sont claires, bien sûr. Son pays est en conflit avec ses trois voisins. Le résultat est que la ligne de train contourne géographiquement l’Arménie, même si la voie la plus économique et la plus courte eut été de traverser ce pays.
Tbilissi et Érevan
Les problèmes avec la Turquie et l’Azerbaïdjan sont bien connus. Mais ceux qui existent entre Tbilissi et Érevan, concernant la région de la Georgie connue sous le nom des Samtskhe-Javakheti, le sont moins.
Le fait que les Arméniens de la région de Samtskhe-Javakheti demandent leur autonomie suffit à donner des sueurs froides aux Géorgiens, étant donné qu’ils sont déjà en train de combattre le séparatisme dans une autre partie du pays.
La situation au Nagorno-Karabakh n’inspire pas plus d’espoirs en ce qui concerne les intentions de la minorité arménienne, d’où l’image d’une coopération croissante dans le Caucase, qui exclut l’Arménie.
Même si elle se donne l’air courageux, il est évident que l’Arménie a échoué à sortir de son isolation économique et politique au cours de la dernière décennie, si l’on considère qu’elle est bordée sur trois côtés par des pays avec lesquels ses relations politiques et économiques sont minimales, pour ne pas dire inexistantes.
La seule ouverture de l’Arménie s’est faite vers la Russie, ce qui a pu lui donner une impression de sécurité depuis son indépendance, mais cela ne lui a pas fourni grand-chose d’autre. Il est clair que la mentalité ultranationaliste Dashnak qui prévaut à Érevan, et qui n’est pas très éloignée du propre point de vue politique du Président Kocharian, est le problème principal.
Même les commentateurs et analystes arméniens ont commencé à déplorer cette isolation, appelant à une approche novatrice et rationnelle. Ceci se dégage également de la ligne politique que l’ancien Président Levon Ter Petrossian met en avant dans sa campagne pour la présidence, lors des élections qui se tiendront de l’an prochain.
’Assis sur les genoux de la Turquie’
Il n’est pas surprenant que les Dashnaks se donnent du mal pour lui coller une étiquette de "traître", et le Président Kocharian suggère même que Petrossian est en train de préparer d’asseoir le pays sur les genoux de la Turquie [NDT : Quoi de plus dérangeant pour les ultra-nationalistes arméniens ?]. Alors sur quoi les purs et durs d’Érevan comptent-ils ?
La réponse est simple. Ils comptent sur la notion que les puissants Arméniens de l’étranger, principalement en France et aux USA, useront de leur influence pour forcer Ankara à accepter les exigences arméniennes.
La loi sur le "génocide" arménien qui a été adoptée par la législature française, mais qui est à présent enterrée, car elle n’est pas passée au Sénat et n’a pas été ratifiée par le Président, est un exemple typique.
Les Arméniens ont cru prendre un grand avantage sur la Turquie avec le passage de cette résolution à la Chambre basse, et ils ont concentré tous leurs efforts pour que le Congrès américain adopte la « résolution sur le génocide arménien »(!) cette année.
Ils croyaient, et ils le croient encore sans doute, que c’était la seule façon de mettre la Turquie à genoux. Mais leurs efforts en France et aux USA ont très peu rapporté, au final.
En Amérique le débat a dégénéré, car ceux qui soutiennent la résolution sur le génocide ont été accusés de soulever une question lointaine et actuellement hors de propos, au moment où les USA étaient enlisés en Irak, et ce afin de saper le Président George Bush en frappant un allié américain clé.
Quant à la France, j’ai passé le début de la semaine à Paris où j’ai parlé à des officiels et des hommes politiques, et le fait le plus important qui est ressorti de nos discussions n’est probablement pas ce que les Arméniens aimeraient entendre.
Alain Chenal, le responsable du secteur coopération internationale de la Fondation Jean Jaurès, a tout d’abord reconnu, sans réserve aucune, qu’il existe une contradiction frappante entre les exigences de la France demandant à la Turquie des excuses pour le génocide arménien, et la position de Paris sur les exigences algériennes demandant des excuses pour les crimes de guerre lors de la colonisation, y compris pour un génocide culturel, et que des sujets aussi complexes devraient être laissés aux historiens.
Selon Chenal, les députés qui ont voté la loi sur le "génocide" arménien ont agi égoïstement pour des motifs politiques, et non moraux. Il ne s’est pas non plus retenu de critiquer les gens de son propre parti, le Parti socialiste [NDT : Qui collabore étroitement avec la FRA-Dashnaksoutioun (ultra-nationalistes arméniens) en France en échange d’un soutien électoral], citant l’exemple de la visite du premier secrétaire du Parti socialiste à Érevan.
Selon Chenal, Hollande qui n’est apparemment pas connu pour ses voyages à l’étranger, a simplement fait cela pour s’attirer les faveurs des électeurs arméniens en France, avant les élections municipales de mars.
Au contraire de Chenal, qui pense que les Arméniens en France feront encore une tentative pour que la loi sur le génocide arménien soit votée, Luc Ferry, un penseur français et ancien ministre de l’éducation, est catégorique : selon lui l’affaire de la loi sur le génocide arménien est finie en France, et il pense qu’il est peu probable qu’elle sera mise à l’ordre du jour avant longtemps.
Patrick Weil, de l’Université de Paris, qui a également conseillé le gouvernement français dans le passé, à propos des questions d’intégration, est également très clair. Pour lui, la législation française n’a pas à juger l’histoire des autres. « Un pays ne devrait juger que sa propre histoire de cette façon, et non celle des autres », a dit Weil.
Il semble qu’un “cul-de-sac” similaire ait été atteint par les Arméno-américains. Nos contacts à Washington disent à présent que le lobby arménien a peut-être trop présumé de sa situation cette fois-ci, rendant peu probable une nouvelle présentation de la résolution arménienne avant longtemps.
Terrible nouvelle pour Érevan
Si ces litiges tant français qu’américains sont vrais, c’est une terrible nouvelle pour Érevan, puisqu’elle recherche un peu de secours, pour ses problèmes avec ses voisins, à Washington et à Paris [NDT : En mettant en branle ses officines de propagande basées en Europe et aux USA], plutôt que dans la région elle-même, et sur la base des réalités régionales.
Ces réalités ont, de fait, montré que tous les efforts faits à Washington et à Paris pour inclure Érevan dans le projet de gazoduc Bakou-Tbilisi-Ceyhan et pour empêcher le projet ferroviaire Bakou-Tbilisi-Ceyhan, n’ont abouti à rien.
De même, les efforts pour intimider la Turquie par ces moyens, pour rétablir les liens diplomatiques et ouvrir les frontières avec l’Arménie, n’ont pas abouti non plus [NDT : Frontière fermée suite à l’invasion de l’Azerbaïdjan par l’armée arménienne au début des années 1990 et la purification éthnique du Haut-Karabagh au détriment de la population azérie, intégralement déportée par l’Etat arménien [1] ].
Comme nous l’avons dit tant de fois, étant donnée la situation, il doit exister une meilleure façon de procéder pour l’Arménie que « la ligne Dashnak ». Espérons que les Arméniens le comprendront en février prochain et qu’ils éliront comme Président le modéré Levon Ter Petrossian, malgré les efforts des camps Kocharian et Dashnak de l’avilir, en l’accusant d’être un traître qui "vend son pays aux Turcs".
Si Petrossian n’est pas élu, alors l’homme de la rue en Arménie peut s’attendre à encore davantage d’isolation, puisqu’il est manifeste que la Turquie ne sera pas contrainte à une position. Bien au contraire, c’est exactement le moment où les Turcs se montrent déterminés et inflexibles comme l’histoire l’a montré.