Question chypriote
La chancelière allemande Angela Merkel, en visite à Chypre le 11 janvier dernier, s’est entretenue avec le Président chypriote grec Dimitris Christofias. À la suite de cet entretien les deux dirigeants ont tenu une conférence de presse lors de laquelle Merkel a déclaré que dans la résolution du problème chypriote « le Nord [la partie grecque] a fait son possible mais malheureusement s’est heurté au blocage de la partie turque ».
Cette déclaration a certainement beaucoup plu et même profondément étonné le Président Christofias et la partie grecque en général, tellement elle est loin de la réalité, mensongère. Que la leader allemande déforme à ce point la réalité du processus, qui s’est déroulé devant la communauté internationale, de réunification de Chypre montre le degré, aujourd’hui en Europe, de la turcophobie qui passe devant les principes de vérité ou de justice pourtant censés être fondateurs de l’Europe.
En effet, pour ceux qui ne sont pas au fait de la question chypriote résumons-là ici :
- À partir de 1878 Chypre devient un pays administré par la Grande-Bretagne, puis en 1925 une colonie britannique.
- Dans les années 50, les nationalistes grecs de l’île s’engagent dans une lutte armée contre les Britanniques, leur but est de réaliser l’ENOSIS, c’est-à-dire le rattachement de Chypre à la Grèce et sous la seule autorité grecque, de leur côté, les nationalistes chypriotes turcs sont pour la création de deux Etats séparés, le TAKSIM.
- Le 19 février 1959 Chypre devient indépendant, le pouvoir est partagé entre Chypriotes grecs et turcs (70% des postes dans tous les domaines publics, de la Chambre des députés à la police vont aux Grecs et 30 % aux Turcs) les Britanniques gardent une présence militaire sur place, par ailleurs, la Grèce, la Turquie et la Grande-Bretagne sont garantes de l’indépendance de l’île et ont un droit d’intervention en cas de violation des traités.
- Néanmoins, les Chypriotes grecs dans leur volonté de réaliser l’ENOSIS font réviser la Constitution en 1963 pour réduire le pouvoir des Chypriotes turcs – qui détenaient 30% des postes pour une population d’environ 20% de l’île.
- Les années suivantes sont marquées par des violences intercommunautaires – durant le Noël 1963 les Chypriotes grecs prennent d’assaut 103 villages turcs massacrant 434 personnes et qui poussant à l’exode plus de 8000 Chypriotes turcs, cet événement sera surnommé le « Noël sanglant ».
- En 1967, les militaires prennent le pouvoir en Grèce et ont pour objectif de réaliser l’ENOSIS (rattachement de Chypre à la Grèce). Ainsi, dans cet objectif, le 15 juillet 1974 la Grèce et les nationalistes chypriotes grecs font un coup d’Etat dans l’île. Ils placent à la présidence un ennemi déclaré des Turcs, Nicolas Sampson, favorable à l’ENOSIS.
- Le 20 juillet 1974, en réponse à ce coup d’Etat, la Turquie lance, comme lui permettait les traités, une intervention militaire qui a pour conséquence la partition de Chypre. C’est la situation toujours en cours dans l’île.
- Dans les années 1990 - 2000 des négociations commencent entre Chypriotes turcs et grecs. En 2004, le 24 avril un plan onusien (le plan Annan) est soumis à référendum dans les deux parties de Chypre. L’Europe met sur la table le processus d’adhésion de la Turquie à l’UE, et lui promet d’accélérer ce processus en cas de victoire du « oui » dans la partie turque de l’île. Les Etats-Unis font également pression pour le « oui ». Néanmoins, alors que dans la partie turque les nationalistes sont isolés afin que le « oui » l’emporte, dans celle grecque les nationalistes, le Président Tassos Papadopoulos en tête, font une grande campagne pour le « non ».
- Les résultats du référendum sont sans appel, les Chypriotes grecs rejettent à 74% le plan de réunification de l’île alors que les Chypriotes turcs l’approuvent à 65%.
Cette affirmation de chauvinisme est néanmoins récompensée par l’Union européenne qui fait adhérer Chypre à l’UE sous la seule autorité grecque. Ainsi, les Chypriotes grecs qui ont rejeté par égoïsme la réunification de l’île sont récompensés et les Chypriotes turcs qui, malgré l’acceptation de nombreuses concessions voulues par le plan Annan (réduction de la superficie du territoire turc de 37 à 28%, le retour en Turquie de la majorité des habitants arrivés après 1975, le retour des Chypriotes grecs dans leurs foyers du Nord, ou encore la fin de la présence sur l’île des soldats turcs avant 2011), sont punis.
C’est cela que la Chancelière Angela Merkel appelle « les efforts grecs » et le « blocage turc » concernant la réunification de l’île. Concernant l’objectif politique d’une telle déclaration de la leader allemande, on peut supposer qu’elle cherche à endosser un rôle de meneur européen (sur la base de mensonges donc) du au poids économique de l’Allemagne prépondérant au sein de l’UE, ou s’attirer des voix, pour les élections à venir, dans un pays qui comme dans le reste de l’Europe penche de plus en plus à droite - la stigmatisation de la Turquie et les Turcs étant un des arguments (malsains s’il en est) les plus utilisés actuellement par certaines forces politiques de poids européennes en quête de voix ?
Par ailleurs, malgré les concessions acceptées et le « oui » au plan Annan des Chypriotes turcs, qui selon Merkel sont donc toujours fautifs, il aurait été intéressant de connaître la solution de la Chancelière allemande concernant la réunification de l’île ? Souhaitons dans tous les cas que des dirigeants européens plus objectifs se saisissent de la question chypriote pour trouver une solution juste, qui prendrait en compte les deux parties.
Concernant le processus de réunification de Chypre on pourra lire avec profit un article du journaliste allemand du « monde diplomatique » Niels KADRITZKE : « Le plan des Nations unies rejeté au sud. Occasion perdue pour les Chypriotes. »