Nul n’a ressenti la mélancolie stambouliote décrite par le Nobel turc de littérature Ohran Pamuk. C’est la splendeur des monuments d’Istanbul et l’accueil chaleureux de ses habitants que gardera en mémoire un groupe d’enseignants et membres des corps académiques du grand Est, au retour de son séjour.
« On sent une complexité »
L’invitation, émanant de diverses associations d’amitié franco-turques, par l’intermédiaire des maîtres d’Elco (lire ci-dessous), visait à leur faire découvrir la culture du pays et à « créer des ponts » avec les élèves et les familles qui en sont originaires. D’autant que cette communauté réputée fermée, comme en témoigne Béatrice Zimmer, inspectrice de l’Éducation nationale dans une circonscription mulhousienne, peine à s’intégrer… ou à être intégrée. « On essaie de le faire par l’école, en reprenant leurs chansons lors de la fête de fin d’année, par exemple », indique Hubert Kraehn, directeur d’école à Gundershoffen.
Durant les congés scolaires, dans les pas du guide Nihat Güldogan, un professeur d’université, fin lettré et amateur de traits d’esprit, les 18 visiteurs ont donc arpenté les sites remarquables de l’ancienne Byzance, de la magnifique Sainte-Sophie à la Mosquée bleue, du grand bazar labyrinthique au café Loti surplombant la Corne d’or, en passant par le palais Topkapi. Ils ont longé les rives du Bosphore, admiré les mosaïques étonnamment conservées, les marbres roses et les faïences bleues, sans déroger aux inévitables visites de fabriques de cuir et de tapis. Ils ont mesuré les contrastes de la métropole à la vue d es maisons traditionnelles en bois coincées entre des immeubles, ou au passage d’« une vieille carriole transportant des paraboles » .
« On sent une complexité, des frottements entre des mondes plus ou moins laïcs, plus ou moins émancipés », selon Jacques Hertrich, professeur d’arts plastiques au Thillot. « Qu’ils veuillent montrer leur modernité, c’est compréhensible. Ils vont au bout de leur envie d’entrer dans l’Europe », a relevé Patrick Zimmer, maître d’école à Rombas (Moselle).
Comme les bons élèves qu’ils ont dû être, les professeurs se sont montrés curieux de tout, posant moult questions et apportant eux-mêmes certaines réponses. Sainte-Sophie, édifiée au VI e siècle, transformée en lieu de culte musulman et enfin, par la volonté d’Atatürk, en musée, est considérée « comme la 4 e plus grande église au monde ». Sentant ses interlocuteurs sur le point de tergiverser, le guide les a avertis avec le sourire : « Je vous prie de ne pas discuter, c’est l’histoire qui veut ça. »
« Éviter les a priori »
Plusieurs participants se sont dits « perplexes » devant une aussi généreuse proposition, tous frais payés ou presque, mais l’ensemble était, à l’arrivée, « ravi ». Outre l’indéniable enrichissement personnel, il en restera quelque chose dans leurs relations avec les écoliers de culture turque, plutôt en ce qui concerne le quotidien, les repas, la prononciation… « C’est important pour ne pas commettre de maladresses. Cela devrait permettre d’éviter les a priori, les amalgames entre la religion musulmane et le pays d’origine" , considère Sylviane Zins, professeur des écoles à Bouxwiller. "Les enfants ont envie de partager, on pourra échanger en classe ».
D’autres, qui ont envoyé des cartes postales aux élèves ou acheté quelques souvenirs, prévoient aussi d’apporter leurs photos de voyage à l’école, d’encourager la préparation d’exposés et d’élargir la discussion. « Cela pousse à comprendre les autres", conclut Pascale Lhomme, enseignante à Pontarlier. Ce qui importe au final, c’est que chaque culture puisse s’exprimer et que les enfants apprennent à "vivre ensemble ».
De notre envoyée spéciale Catherine Chenciner