A l’Université de Lille 2, dans le nord de la France, la directrice du "Centre de recherche en marketing" est une Turque. Commerce éthique, consommation, mercatique : le professeur agrégé Nil Özçaglar, est une chercheuse qui fait autorité en sciences économiques.
Nil Özçaglar, professeur agrégé en France et... turque
- Nil Özçaglar, vous êtes née en Turquie. Aujourd’hui vous êtes professeur des Universités en France. Quel a été votre parcours ?.
... Je suis diplômée du lycée Tevfik Fikret d’Izmir. Je suis partie en France en 1995 pour continuer mes études à l’Université de Lille 2. J’ai eu mon diplôme d’ingénierie du commerce et de la vente en 2000. Ensuite, j’ai effectué deux mastères, d’abord en "Marketing des services" (MBA), puis en "Sciences de gestion". Toujours dans la même université, j’ai soutenu une thèse de doctorat en 2005. Dans la foulée, j’ai été recrutée comme maître de conférences. En 2011, j’ai passé le concours national de l’agrégation de l’enseignement supérieur en sciences de gestion. Depuis, septembre 2011, j’ai été nommée comme professeur agrégé des universités, dans l’université où j’ai fait mes études, c’est à dire à Lille 2. Je suis aujourd’hui directrice du centre de recherche en marketing. J’ai par ailleurs toujours pensé qu’il fallait accroître l’interdisciplinarité en sciences sociales. C’est pourquoi, j’ai co-créé l’association "FAIRNESS" qui réunit des chercheurs de disciplines variées autour du commerce équitable et des formes d’échanges alternatifs. Je suis membre active de nombreuses associations scientifiques.
- Et vos travaux de recherche...
Ils portent essentiellement sur les pratiques de consommation responsable ou éthique et le développement de marchés alternatifs. J’ai publié sur ces sujets de nombreux chapitres d’ouvrages, ouvrages et articles, notamment dans des revues internationales, telles que Recherches et Applications Marketing, Journal of Macromarketing, Journal of Business Ethics, Journal of Business Research, International Journal of Consumer Studies, Advances in Consumer Research, etc. Je suis intervenue dans plus de quarante conférences en France, aux États-Unis, en Italie, en Angleterre, au Canada, etc. Par ailleurs, cette année, je co-publie deux ouvrages : L’ethnicité : Fabrique marketing chez EMS et Marketing management : a cultural approach chez Routledge.
- Quelle est la place de la langue française dans votre vie ?
J’ai toujours aimé le français, depuis mon enfance... j’ai eu la chance d’avoir une très bonne formation en langue française au lycée Tevfik Fikret grâce à des professeurs engagés et sympathiques. Je ne cite pas leur nom pour éviter d’en oublier. Mais pour la plupart, ils sont toujours enseignants au lycée Tevfik Fikret. Au delà des cours de grammaire ou de langue, nous avions aussi des cours sur la culture française. Ceux-ci m’ont sûrement donné l’envie d’étudier en France. J’ai eu la chance, au cours de mes années de collège et de lycée, de voyager plusieurs fois en France. Quand j’ai eu l’opportunité de faire mes études en France, je n’ai pas hésité une seule seconde. J’aime la France, sa culture, sa langue... j’ai toujours été une passionnée du cinéma français et de la littérature française. Je crois que c’est quelque chose qui me vient du Centre culturel français d’Izmir, qui était voisin de mon lycée. J’y allais très souvent, les week-ends ou pendant les cours avec nos professeurs.
- Et par rapport à votre travail ?
Le concours que j’ai passé pour devenir professeur des universités est prestigieux et reconnu comme très difficile. Il accorde autant d’importance à la connaissance qu’à la maîtrise de la langue, de la rhétorique à la française. Sinon, dans mon travail, au quotidien, je jongle entre le français et l’anglais, y compris pour mes cours à l’Université. Par contre, je suis reconnue à l’international comme chercheuse française d’origine turque... Je crois que j’ai su tirer les forces de mes deux cultures : j’ai l’esprit méditerranéen des Turcs (simplicité, facilité de contact, joie de vivre) et j’ai la rigueur des Français... Cet mélange m’aide beaucoup dans mon métier au quotidien.
- Comment pouvez-vous résumer les clés de votre succès dans l’université française ?
Il n’y pas de recette secrète... Je travaille beaucoup ; Je suis très disciplinée dans mon travail. Mes journées commencent tôt et se terminent très tard. Pour mes recherches, je lis beaucoup et je réfléchis à tout moment, y compris, quand je fais mes courses. C’est l’avantage de travailler sur la consommation. On a des cas d’application à tout moment. Sinon, j’essaye d’être très généreuse par rapport à mes étudiants et à mes collègues. Je ne compte pas mon temps quand on me demande d’évaluer un article, de lire une thèse ou de conseiller un doctorant. La générosité est très importante dans les métiers académiques. Aussi, j’ai un fonctionnement très “entrepreneur” dans la recherche. J’aime lancer des idées, organiser des workshops (ateliers), mettre en connexion les uns avec les autres. Et je n’oublie pas que je suis en France. Le respect de la hiérarchie est aussi très important.
- Quels conseils donner à des jeunes qui souhaiteraient travailler en France ?
Surtout venez en France sans a priori. Ne comparez jamais votre vie en Turquie et celle que vous aurez en France. La comparaison peut rendre les gens plus heureux, mais souvent l’effet est inverse. On se dit qu’on pourrait être plus heureux en Turquie et on cherche l’erreur ailleurs. Il faut accepter de vivre dans une autre culture, dans un autre pays, avec leurs particularités positives ou négatives. Le tout est d’aimer ce qu’on fait, se réveiller avec de la passion tous les matins... C’est mon cas. Je ne me suis jamais réveillée en me disant, il va falloir aller travailler. J’aime mon métier et j’aime ma vie en France. Tout n’est pas toujours facile. Mais la vie n’est jamais simple, quelque soit l’endroit où nous vivons.
- Vous avez beaucoup travaillé sur le développement durable et sur la consommation responsable. Qu’est-ce qui motive les consommateurs à être plus responsables ou à pratiquer une consommation éthique ?
Nous vivons depuis l’après guerre dans une société de consommation, c’est à dire que la consommation est devenue un élément identitaire qui définit et distingue les individus les uns par rapport aux autres. De plus en plus de consommateurs en souffrent. Ils préfèreraient exister par eux-mêmes plutôt que par leur consommation surtout dans un monde de plus en plus globalisé où l’individu a de moins en moins prise avec son propre univers. Cette souffrance est d’autant plus forte que la critique de ce modèle de société réservée au départ à une élite intellectuelle s’est vulgarisée très largement dans les années 90 - 2000. Aujourd’hui, une nette majorité de Français déclarent avoir une perception négative de la société de consommation et que l’on consomme aujourd’hui trop de choses inutiles. Une opinion plébiscitée par tous les univers sociaux, indépendamment des niveaux de vie, des tranches d’âge et des idées politiques. En réalité le consommateur est actuellement tiraillé entre la jouissance que lui apporte sa consommation et la conscience de son impact négatif sur le monde. Comment résoudre ce conflit ? La consommation responsable apporte une solution à ce tiraillement interne en permettant de dépasser l’acte d’achat pour mettre en place des stratégies réparatrices qui lui donnent du sens.
Sources : Union de la Presse francophone