Un témoignage britannique édifiant de 1916 !
(Références du livre : Dixon C.F. Johnson, "The Armenians" (Les Arméniens), édité par G. Toulmin & Sons, à Northgate Blackburn, Grande-Bretagne, en 1916. Référencé à la British Library sous le numéro 9055.dd.15.)
"Quiconque fera du tort à un Chrétien ou à un Juif me trouvera en accusateur au jour du jugement." (Le Coran)
[Citation figurant sur la couverture du livre de Dixon Johnson]
Les Arméniens" (1916) : le livre vérité de l’écrivain Dixon C. F. Johnson
La première Guerre Mondiale fut une succession de conflits armés entre les principales puissances mondiales entre et , au cours de laquelle l’Entente de la Grande-Bretagne, de la France et de la Russie Tsariste, à laquelle se joignirent plus tard les Etats-Unis d’Amérique, combattit contre l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie, l’Empire Ottoman et quelques autres Etats de moindre importance. Les Britanniques et les Turcs furent, en conséquence, dans des camps opposés. Engagés dans des combats se déroulant sur quatre fronts (à savoir le Caucase et l’Anatolie orientale, le Sinaï et le Canal, l’Irak, les Dardanelles), et subissant une très forte pression à l’Est, le Gouvernement Ottoman prit la décision de déplacer de certaines régions anatoliennes la population Arménienne. Cette décision, et les évènements qui s’ensuivirent, provoquèrent une forte réaction de la part des pays combattant les Turcs, ou leur étant opposés.
Cependant, un écrivain Britannique, C.F. Dixon-Johnson, publia un livre de 63 pages, intitulé "The Armenians", (Les Arméniens), au cours de l’année cruciale de , pour donner au public, selon ses propres termes dans la Préface, "une occasion de juger si oui ou non la ’question Arménienne’ présente un aspect différent de celui avec lequel elle a été si assidûment répandue à travers le Monde Occidental". Il ajoute que, quelles que soient les souffrances que les Arméniens ont pu endurer, la responsabilité de ces souffrances repose pour une grande part sur ceux "qui ont inspiré à leurs dupes sans défense des aspirations irréalisables qui ne pouvaient conduire qu’au désastre".
Après des remarques préliminaires sur les débuts historiques des Arméniens et sur leurs caractéristiques ethnologiques, l’auteur se réfère au règne des Turcs Seldjoukides comme étant "débonnaire et libéral". Il note que les premiers Turcs "ont grandement amélioré la condition du pays, restauré la loi et érigé de nombreux bâtiments publics..." (pp. 14-15). Plus loin (p. 19), il observe que le Sultan Mehmet le Second (1444, 1451-81) de la dynastie des Turcs Ottomans, "accorde la liberté de religion" aux peuples de son Empire, organisant "tous les non-Musulmans en communautés ou millets, sous la juridiction de leurs propres autorités ecclésiastiques, leur octroyant une autorité absolue en ce qui concerne les affaires civiles et religieuses".
L’auteur cite les commentaires suivants (p. 20) de Sir Charles Wilson, tirés de l’article de ce dernier dans l’Encyclopédie Britannique : "Cet imperium in imperio (cet Etat dans l’Etat) assura aux Arméniens une position reconnue devant la loi, la faculté de librement pratiquer leur religion, la possession de leurs églises et monastères, et le droit d’éduquer leurs enfants et de diriger leurs propres affaires municipales, ...". Il cite également "Odysseus" (Sir Charles Eliot), qui, dans son livre "Turkey in Europe" (La Turquie en Europe, Londres, E. Arnold, 1900), nous dit que jusqu’à l’époque qui succéda à la guerre Turco-Russe de 1877-1878 " Les Turcs et les Arméniens s’entendaient parfaitement entre eux... Les Russes promulguèrent des restrictions à l’égard de l’Eglise, des écoles et de la langue des Arméniens. Les Turcs, au contraire, étaient parfaitement tolérants et libéraux relativement à ces questions. La manière dont les Arméniens priaient, enseignaient et parlaient leur était indifférente... Les Arméniens étaient tout à fait des Orientaux et appréciaient les idées et les habitudes turques... lls étaient tout à fait satisfaits de vivre au milieu des Turcs... La répartition de la richesse penchait certainement en faveur des Chrétiens. Les Turcs les traitaient avec une confiance empreinte de bonne humeur... " (p. 21). Il cite aussi le livre de Grattan Geary "Through Asiatic Turkey" (A travers la Turquie d’Asie, Londres, M.S, et R. Sampson, 1878), qui rapporte que la tolérance religieuse du Gouvernement Ottoman "était entière" et que l’Etat "n’interférait en aucune manière avec ce que les Chrétiens faisaient ou enseignaient dans les écoles ou les églises", Geary écrit "qu’il était impossible de souhaiter davantage de liberté absolue de culte et d’enseignement".
C.F. Dixon-Johnson, ensuite, se penche sur les raisons d’une agitation politique parmi les Arméniens. Tout d’abord il déclare qu’on peut estimer que la population arménienne en Turquie, y compris Salonique et les provinces européennes perdues, compte 1.500.000 personnes (p. 22). Il dresse ensuite la liste des raisons d’une agitation Arménienne. Se référant à nouveau à "Odysseus", il mentionne comme "le premier élément perturbateur... l’arrivée d’un certain nombre de missionnaires protestants et d’autres missionnaires étrangers". Il déclare alors que ce jugement, tout décevant qu’il soit pour beaucoup de ceux qui sont profondément intéressés par l’aspect religieux du travail missionnaire, est amplement corroboré par Sir Edwin Pears, qui admet dans son livre "Forty Years in Constantinople" (Quarante ans à Constantinople, Herbert Jenkins, 1915), qu’on "peut dire que, de manière très concrète, les fomentateurs de l’agitation politique en Arménie, comme en Bulgarie, furent les instituteurs et les missions, Catholiques ou Protestantes". Il présente alors la citation suivante de Sir Mark Sykes dans "Dar-ul Islam : a Record on a Journey Through Ten of the Asiatic Provinces in Turkey" (Dar-ul Islam, Rapport sur un voyage à travers dix des Provinces Asiatiques de la Turquie, Londres, Bickers and Sons, 1904) : "Il se révéla impossible de convertir un Musulman Oriental au Christianisme, comme il le serait de transformer un Chrétien Anglais en un Juif ; en conséquence, leur effort missionnaire se borna à détourner un Chrétien de son église pour l’intégrer dans une autre communauté, également chrétienne. De fortes sommes d’argent furent dépensées pour transformer un Jacobite et en faire un petit Anabaptiste de Bethel, pour convertir ce petit Anabaptiste né Jacobite au catholicisme Romain, et à réformer ce Catholique Romain, d’abord Anabaptiste de Bethel après être né Jacobite en un Presbytérien Keswickien Américain". L’auteur Dixon-Johnson dit que ce processus "fût néfaste pour un Oriental authentique et le transformait en un Asiatique à demi-européanisé." (p. 23)
Il note également que "les premiers Arméniens convertis au Protestantisme furent soumis à de féroces persécutions de la part de leurs compatriotes arméniens. Pour les protéger contre ces ennuis continuels et cette cruauté, le Sultan ottoman, dans les années , publia un irade (décret) reconnaissant les Protestants en tant que communauté religieuse indépendante de l’Eglise Orthodoxe Arménienne, et les libérant de toute intervention de la part des autorités de cette église".
Selon cet auteur, "le deuxième facteur de perturbation fut les clauses insérées" dans le Traité de Berlin de 1878 par lesquelles les six Puissances signataires acquirent le droit de surveillance et d’intervention..." Ces clauses "pénétrèrent les Arméniens de l’idée qu’ils avaient droit à des privilèges spéciaux de la part de la Porte, et ceci conduisit facilement à la notion de fondation d’un royaume arménien, ou du moins d’un Etat arménien autonome" . L’auteur mentionne aussi le rôle du "développement du mouvement Nihiliste en Russie". Il déclare que les Arméniens du Caucase "entrèrent dans la conspiration", avec leur quartier général initialement à Tiflis. Il note que les révolutionnaires arméniens ouvrirent des filiales à New York, Paris, Londres et Genève, où ils fondèrent des sociétés secrètes. Il fait les observations suivantes (pp. 24-25) :
" Ces sociétés, par le moyen du chantage, et grâce aux subsides extorqués aux riches financiers et commerçants arméniens d’Europe et d’Amérique, devinrent bientôt des associations très riches... Bien que haïs et dénoncés par les Arméniens respectables et par les prêtres qui, lorsque l’occasion s’en présentait, étaient soumis au chantage ou même étaient assassinés, ils essayèrent ainsi de brouiller le Gouvernement Central et les Puissances Européennes en commettant des crimes dont ils attribuèrent la responsabilité, grâce à des preuves falsifiées, aux Collèges Missionnaires. Ils commirent des crimes dans les rues de Londres. A New York, la police découvrit une conspiration ayant recours au chantage et au meurtre, aux attentats à la bombe, qui terrorisait complètement les riches banquiers et commerçants Arméniens ... [Ceci] eut le résultat inévitable d’envenimer les bonnes relations initiales entre le gouvernement turc, la population résidente musulmane et les Chrétiens, et spécialement la fraction arménienne Orthodoxe de ces habitants.
Ceci est bien naturel pour la raison qu’en Turquie, le peuple a horreur des sociétés secrètes et des complots, horreur fondée sur l’expérience de leurs propres souffrances aux mains de la Hetairia Grecque et des Komitadjis Bulgares... lls crurent que les membres de la millet-i sadika (communauté fidèle) ne méritaient plus ce titre, et qu’ils s’armaient et se préparaient à massacrer les Musulmans... "
L’auteur déclare que les sociétés pro-Arméniennes en Angleterre décrivaient les Arméniens comme étant "une race pauvre, douce, honnête, d’agriculteurs, persécutés par de mauvais fonctionnaires, spoliés de leurs économies durement acquises, et martyrisés périodiquement pour leur foi chrétienne..., un peuple sans malice, inoffensif" (p. 25). Il se réfère également à une déclaration de Lord Bryce, faite "récemment à Manchester" ; décrivant les Arméniens comme "un peuple Chrétien, s’accrochant à sa religion en dépit d’une persécution constante". L’auteur présume que "Lord Bryce accentua cet aspect anti-musulman de façon à déclencher la sympathie en faisant appel aux préjugés religieux de son auditoire". Dixon-Johnson renvoie le lecteur à une autre source britannique, Sir Charles Wilson, qui caractérise les Arméniens comme étant "un peuple essentiellement oriental frugal, sobre, industrieux et intelligent... fortement attaché aux manières et aux coutumes anciennes... mais... d’un autre côté... avide de gain, querelleur, centré sur lui-même, doué d’une tendance à l’exagération et à l’amour de l’intrigue..." (pp. 26-27). Il cite aussi les commentaires suivants de Grattan Geary :
" Quelques-uns des Arméniens les plus instruits espèrent obtenir de quelque façon l’autonomie d’un pays dans lequel ils ne forment en aucune manière la majorité de la population. Qu’ils soient capables de maintenir l’ordre dans la majorité musulmane de la population, il n’est même pas nécessaire de se le demander... L’Asie Mineure est Turque... Les Arméniens Chrétiens y sont une minorité de la population ".
Comme cet écrivain britannique l’observe en même, (lorsque son pays et les Turcs étaient engagés dans des combats sur trois fronts) les Arméniens constituaient la minorité de la population en Anatolie Orientale. Bien qu’il existe plusieurs autres documents britanniques et français établissant les mêmes faits, les mêmes chiffres, je me limiterai cependant au texte de Dixon-Johnson. Il cite aussi Fred Burnaby, qui exprime l’opinion suivante dans son livre "On Horseback Through Asia Minor" (A cheval à travers l’Asie Mineure) : "...S’il arrivait une fois que les Arméniens prennent le dessus en Anatolie, leur gouvernement serait bien plus corrompu que ne l’est l’administration actuelle. Ceci a été corroboré par les Arméniens eux-mêmes..." (p. 28). Il cite alors (p. 29) l’exposé fait par Sir Mark Sykes sur les Arméniens dans son "The Caliph’s Last Heritage" (Le Dernier Héritage du Caliphe, Londres, Macmillan, 1915) :
" ...Ils entreprendront les crimes politiques les plus désespérés sans la moindre réflexion ni préparation. Ils attireront sur eux-mêmes, et les autres, la ruine et le désastre sans aucune hésitation ; ils sacrifieront leurs propres frères et les citoyens les plus valeureux sur un coup de tête ; ils entreront en grand nombre dans des conspirations avec des hommes pour lesquels ils n’éprouvent pas la moindre confiance ; ils rejetteront leur propre cause nationale pour laisser éclater une rancune mesquine contre une personne privée ; au moment même du danger, ils injurieront de manière grossière ou provoqueront ceux qui pourraient être leurs protecteurs... lls trahiront la personne même qui pourrait servir leur cause... Les révolutionnaires arméniens préfèrent piller leurs coreligionnaires plutôt que de combattre leurs ennemis ; les anarchistes de Constantinople ont lancé des bombes avec l’intention de provoquer un massacre de leurs compatriotes... "
La dernière remarque de Sir Mark Sykes sur les "provocations" est au centre de toute l’affaire. On peut cependant continuer (p. 30) sa description des Arméniens de Muþ (Mush), une ville Turque de l’Anatolie Orientale :
" Les Arméniens de la plaine de Mush sont à l’heure actuelle une population extrêmement difficile à gouverner. Ils sont très avares et s’opposeraient à tout paiement d’une taxe des plus modérées. Ils sont également excessivement traîtres les uns envers les autres, et rejoignent souvent les révolutionnaires pour régler leur compte à leurs voisins du village. Quant aux tactiques des révolutionnaires, on ne peut imaginer rien de plus diabolique - l’assassinat de Musulmans de façon à provoquer la punition de gens innocents... ".
Ces descriptions défavorables ne s’appliquent certainement pas à tous les Arméniens. Beaucoup d’entre eux se sont élevés aux postes supérieurs comme soldats, hommes d’Etat et financiers, en Turquie aussi bien qu’en Russie. Mais, bien que quelques-uns d’entre eux aient combattu aux côtés des Turcs pendant la Guerre des Balkans, d’autres Arméniens "pillèrent les magasins de leurs concitoyens Musulmans à Andrinople" (p. 31).
L’auteur C.F. Dixon-Johnson s’étend alors sur les "atrocités arméniennes" et affirme qu’elles sont tout à fait de même nature que les "atrocités bulgares". Comparant la dépêche de l’Ambassadeur britannique Sir Henry Layard à Lord Derby à propos des "atrocités bulgares", datée de , avec le récit de Sir Mark Sykes des événements qui commencèrent avec les troubles de Zeitun en , il dit que ces deux rapports montrent quelle fut l’origine de ces évènements, et comment ils furent "grossièrement exagérés". Il fait remarquer que "chaque massacre ayant soi-disant eut lieu en Turquie est pratiquement identique, que l’on considère les atrocités bulgares en 1876, les troubles de Sassoun en , ceux de Constantinople la même année, ou ceux de Van en ". Il ajoute : "Dans chaque cas, nous trouvons les mêmes accusations relatives aux fonctionnaires locaux, soi-disant de connivence avec Constantinople et agissant selon les ordres de la capitale, les mêmes exagérations et les mêmes histoires de bestialité..." (p. 32). Se référant aux formes identiques de torture "indicibles" desquelles les Turcs sont libéralement accusés, il cite "Odysseus" : "On en a parlé si souvent comme étant si terribles que les détails ne peuvent en être imprimés, mais je crois que ces détails sont largement invention de cerveaux morbides et quelque peu lascifs. Un témoignage médical affirme que pas un être humain n’aurait pu survivre aux tortures que certains Arméniens disent avoir subies".
L’auteur cite alors des extraits des dépêches de Sir Henry Layard à Lord Derby (pp. 32-33) :
" Le peuple anglais ne peut peut-être pas encore supporter d’entendre la vérité à propos des évènements de l’année passée ; mais il est de mon devoir de le signaler à votre Seigneurie. L’habileté consommée déployée par la Russie et ses agents pour égarer l’opinion publique en Angleterre et ailleurs a été amplement récompensée. Il faudra sans doute beaucoup de temps avant que l’on puisse séparer le vrai du faux ; et quand la vérité historique sera connue, il sera trop tard. La Porte ne s’est pas donné les moyens de présenter son cas devant l’Europe. Elle n’utilise ni la Presse, ni des agents compétents pour un tel but. Elle fait appel aux Puissances... Une grande partie du public anglais est, probablement, encore sous l’impression que les déclarations à partir desquelles les dénonciations contre la Turquie ont été formulées sont véridiques, que 60.000 Chrétiens ont été outrageusement traités et massacrés : charretées de têtes humaines, femmes brûlées dans les granges et autres horreurs similaires. Il y a des personnes, et parmi elles, j’en suis navré, des Anglais, qui se vantent d’avoir inventé ces histoires avec l’intention ’d’abaisser’ la Turquie, et qui l’ont fait guidés par une main bien connue. Les gens en Angleterre auront peine à croire que les enquêtes les plus concrètes et précises concernant les évènements de l’année dernière en Bulgarie réduisent maintenant le nombre des victimes à environ 3 000 âmes, y compris les Turcs qui furent tout d’abord massacrés par les Chrétiens. Pas un homme impartial ne peut maintenant nier qu’un soulèvement des Chrétiens, selon le vœu de ses auteurs, devait conduire à un massacre général des Musulmans et fut ainsi envisagé, et qu’il fut dirigé par les agents russes et panslaves ".
L’auteur cite alors (pp. 33-35) des passages du "Dar-ul Islam" de Sir Mark Sykes (pp. 72-78), dans lesquels ce dernier déclare qu’un groupe de révolutionnaires arméniens jugèrent expédient, en , d’envoyer six émissaires à Zeitun, avec l’espoir "de susciter une révolution à moitié réussie". "Ces desperados ne se souciaient guère" des conséquences qu’une telle entreprise pouvait avoir pourvu que l’attention de l’Europe soit attirée sur leur cause, et sur leur collecte de fonds". Les Arméniens "n’étaient en aucune façon mûrs pour une insurrection" et, en conséquence l’influence des "six révolutionnaires" fut réduite. Il est vrai qu’il y eut des personnes qui "parlèrent avec sentiment et stupidement, peut-être traîtreusement, mais en aucune manière prêtes à un réel soulèvement armé". Mais "une occasion d’entraîner la participation à leurs fins se présenta par hasard, et, en en tirant avantage, ils réussirent à forcer la main du gouvernement". Un certain nombre d’Arméniens, de Furnus et de Zeitun avaient l’habitude d’aller à Adana pour gagner de l’argent comme fermiers ou comme artisans. Le Gouvernement ottoman décréta que tous les étrangers devaient retourner dans leurs propres villes et districts. Les Arméniens enragèrent. "Ils furent assez stupides pour piller quelques Turcomans sur leur chemin de retour". Les Turcomans, à leur tour, se plaignirent au Mutasarrif (Lieutenant-Gouverneur) de Maraþ qui fit procéder à une enquête par une commission formée d’un Turc binbaþi (commandant) et d’un résident arménien, escortés de cing zaptiyes (officiers de gendarmerie). Sir Mark Sykes dit que "les agents virent alors dans cette décision une occasion de conduire à une crise". Le commandant et trois des zaptiyes furent tués, les Arméniens enlevant le commissaire Chrétien. "Les Arméniens des environs, sachant pourtant avoir eu tort dès le début... acceptèrent l’inévitable et se joignirent aux révolutionnaires". Le Gouverneur de Maraþ envoya une compagnie d’infanterie pour renforcer la garnison. Les chefs des rebelles interceptèrent cette compagnie et attaquèrent la garnison de Zeitun. Les forces arméniennes poursuivirent leur expédition vers le district de Kertul "où ils pillèrent et détruisirent plusieurs villages turcs, finissant par prendre Anderim, où ils incendièrent le ’konak’ (résidence officielle)". Sir Mark Sykes continue : "sur le chemin de retour à Zeitun, ils commirent quelques crimes des plus détestables" à Çukurhisar. Il ajoute :
"Après ceci l’anarchie se répandit... Le Gouvernement turc, maintenant tout à fait alarmé... concentra une division, l’une à Maraþ sous les ordres de Ferik Pacha... l’autre... sous les ordres d’Ali Pacha à Adana... Les Arméniens, que ce dernier appela à se rendre, étaient déjà trop sous l’emprise de la panique pour accepter les termes d’Ali Pacha, et ou bien attendirent la destruction de leurs villages, ou s’enfuirent dans la ville de Zeitun, où les agents révolutionnaires, en vue de maintenir leur prestige, intoxiquaient la population avec des mensonges absurdes, lui disant qu’une colonne britannique de secours avait débarqué à Alexandrette. Un d’entre eux envoya même des messagers qui revinrent avec des lettres pleines d’espoir, qu’il avait lui-même écrites. Mais cet imposteur et ses collègues n’étaient pas satisfaits de la déloyauté générale des habitants, et ils pensèrent qu’une certaine action devait être commise, qui exclurait tout espoir de pardon de la part du Gouvernement. En conséquence, ils assemblèrent les réfugiés repoussés par Ali Pacha et se rendirent avec eux au Konak, où la garnison emprisonnée avait pris ses quartiers et se mirent à massacrer les soldats avec une brutalité bestiale... Cet acte de vilenie ne peut en aucune manière être imputé à la population de Zeitun, mais seulement au banditisme détestable des révolutionnaires et au fanatisme stupide des villageois exaspérés et sans espoir. On doit aussi mettre au crédit des habitants de Zeitun qu’après cette boucherie abominable, plusieurs se faufilèrent dans la cour et réussirent à sauver environ 70 soldats qui étaient encore en vie sous les cadavres de leurs camarades ; cinquante-sept d’entre eux furent libérés à la fin de la guerre. Il est réconfortant de trouver... de tels actes de bonté de la part de Chrétiens envers les Musulmans, et de Musulmans envers des Chrétiens...
Après ce massacre stupide, les agents révolutionnaires purent se glorifier de cet acte typique de leur politique. Zeitun était compromise irrémédiablement, et la ville se prépara à soutenir un siège jusqu’au bout ; mais là se clôt le chapitre de Zeitun, car en l’espace de trois semaines, Edhem Pacha, noble exemple de ce qu’un Turc cultivé peut être, arriva sur les lieux et, avec l’assistance de Consuls Européens, conclut une paix honorable avec la ville ; qui comprenait, hélas, une clause par laquelle les fomentateurs misérables de tout ce malheur et de ce bain de sang furent autorisés à retourner, sans être inquiétés, en Europe, où ils menèrent probablement une existence aussi distinguée que leurs aventures militaires.
Il apparaîtra que ce fut une grave erreur de la part des Puissances d’avoir permis à ces révolutionnaires de s’échapper.
Quant à la part de responsabilité des Turcs, qui peut en juger ? Ils ont un point de vue qui devrait également être considéré, selon lequel il leur est impossible de laisser une révolution se développer au coeur de leur pays, alors que des ennemis apparaissent sur toutes leurs frontières..."
Le même écrivain déclare que les Arméniens ont "une habitude extraordinaire de se précipiter dans le danger" pour induire les Puissances à leur venir en aide. Il ajoute : "J’ai de bonnes raisons de savoir que ces misérables firent réellement le plan d’assassiner des missionnaires américains, espérant que l’Amérique déclarerait la guerre en supposant que les Turcs en étaient les auteurs criminels". Il fait remarquer que les évènements de Malatya en furent "une exception à la règle générale, parce que dans ce cas les Musulmans frappèrent les premiers, craignant une insurrection générale et le massacre de leurs femmes et de leurs familles". Quand tout d’abord on entend le récit des évènements de Malatya, on a envie de dire qu’il n’y avait pas d’excuse de la part des Turcs. "Mais" remarque Sir Mark Sykes, "après enquête, c’est la même histoire stupide, désespérée, les menaces arméniennes habituelles, pleines de vantardise... l’affirmation que les Turcs étaient au bord de l’effondrement... la provocation finale, et la révolte naturelle des Musulmans..." Il ajoute :
"Les Arméniens avaient l’intention de combattre ; s’étaient préparés en vue d’une révolution ; avaient rassemblé des armes de tous les côtés ; mais, comme d’habitude, dès les premiers assauts, se révélèrent désespérés et pris de panique... Les quelques-uns qui maintinrent ce qu’on peut appeler un front courageux furent ceux qui prirent possession de l’Eglise Arménienne et qui la gardèrent contre la populace. Mais je perdis mon admiration pour eux lorsque j’appris que ces misérables chiens, lorsqu’ils virent les moines Franciscains s’évader de leur couvent, tirèrent sur eux d’une distance de 200 mètres, dans l’espoir de tuer un Européen, et ainsi de forcer la main des Puissances..."
L’auteur Dixon-Johnson maintient que les suggestions émises par les pro-Arméniens que ce furent "des massacres sans provocation inspirés par le Gouvernement turc" étaient fausses. Il cite le passage du livre de Sir Edwin Pears : "En tant qu’ami des Arméniens, la révolte me semble tout simplement malfaisante. Quelques-uns des extrémistes déclarèrent que, bien qu’ils reconnussent que des centaines de personnes innocentes avaient souffert de ces faits, ceux-ci pourraient provoquer un massacre important qui conduirait à une intervention étrangère".
Dixon-Johnson continue en notant (p. 37) qu’en , les révolutionnaires ayant échoué dans leur tentative de soulever une insurrection générale en Asie, ils étaient "déterminés à adopter des mesures désespérées à Constantinople dans l’espoir de forcer la main des Ambassadeurs". Ils attaquèrent la Banque ottomane avec des bombes et des revolvers, tuant douze gardiens. Ils se saisirent des employés Européens comme otages, et menacèrent de faire sauter le bâtiment avec tous ceux qui s’y trouvaient. Les Ambassadeurs en appelèrent à la Porte, qui leur, donna l’autorisation de garantir aux conspirateurs qu’ils pourraient partir en toute sécurité. Des bombes furent également lancées dans la Grand Rue de Péra, et "quelques uns des conspirateurs qui avaient pris position sur les toits des maisons de ce qui était l’artère principale de Constantinople tirèrent de là sur la population de la rue". Dixon-Johnson continue comme suit :
"Il y a peu de doute que les révolutionnaires avaient songé à une série d’attaques en différents endroits importants, qui devraient précéder une insurrection plus ou moins générale de la population arménienne... Un cri s’éleva dans la cité, que les Arméniens s’étaient insurgés, et qu’ils massacraient les autres citoyens. Beaucoup de personnes s’armèrent de gourdins, et, rejoints par la foule cosmopolite de Pera et de Galata, beaucoup d’entre eux étant des Grecs très désireux de régler leur compte à leurs rivaux commerciaux détestés, ils assouvirent leur vengeance sur la population arménienne. Les soldats et la police ne prirent pas part à la tuerie. On estime qu’environ 1 000 personnes périrent, y compris celles tués par les bombes et les revolvers des conspirateurs. Ce qui arriva à Londres et à Liverpool après que le Lusitania ait été envoyé par le fond donne une idée de comment les gens des quartiers Est de Londres, qui se disent beaucoup mieux éduqués, se seraient conduits si des despérados Allemands, après avoir assassiné 12 des sentinelles qui montent la garde à la Banque d’Angleterre avaient eu la permission de s’enfuir en toute liberté en raison des représentations des Ambassadeurs Américain et Espagnol, spécialement après queles crainteset les passions de la foule eussent été exacerbées par des étrangers allemands tirant et lançant des bombes des toits des maisons..."
Dixon-Johnson se réfère aussi aux impressions de Sidney Whitman, qui vint à Istanbul en 1896 comme correspondant du New York Herald. Sa visite fut en connexion directe avec les "soi-disant atrocités arméniennes", comme il les appelle. Il écrivit son rapport de la capitale ottomane, et publia également ses opinions prises au sérieux et ses récits de témoin oculaire dans les "Turkish Memories" (Souvenirs de Turquie, New York, Scribner, 1914). Depuis quelque temps, les diplomates et les représentants consulaires des puissances étrangères dans la capitale ottomane envoyaient des rapports alarmants à leurs gouvernements, et ces rapports, complétés par les comptes-rendus des correspondants de presse, avaient déclenché un sentiment de ressentiment contre les Turcs Musulmans. Ceci était particulièrement le cas en Angleterre et aux Etats-Unis. Gordon Bennett, le propriétaire du New York Herald, eut "assez de discernement pour percevoir que la question Arménienne était pour l’essentiel une question politique" (pp. 10f), et que les troubles avaient leur source dans un fanatisme religieux dirigé contre les Chrétiens en tant que tels. Il voulut donner aux Turcs "une occasion de présenter leur propre version des faits dont le monde avait eu connaissance". Il ajoute : "Dans beaucoup de cas, il apparaît que la matière envoyée par leurs correspondants aux différents journaux est biaisée, contre les Turcs. Ceci implique une injustice contre laquelle même un criminel est protégé lors de son procès". Le correspondant de presse Whitman déclare que l’agitation de la part des comités arméniens dans les différentes capitales Européennes avait été conduite de telle sorte qu’il n’existait presque pas de journal Américain ou Anglais qui eut encore un avis favorable à émettre sur les Turcs, sans parler de leur Gouvernement. Il observe :
"Une horde d’aventuriers de nationalités diverses, déclassés de toutes les sphères de la vie, et, parmi eux, des officiers ayant été cassés de leur grade par mesure disciplinaire, qui avaient quitté leur propre pays natal et menaient une vie précaire en fournissant aux correspondants de presse, ou même aux Ambassades, des informations de derrière les coulisses... L’agitation conduite en Angleterre par le chanoine McColl et le Duc de Westminster, soutenus par divers non-conformistes fervents, avait pour effet de présenter les Turcs fanatiques comme assoiffés du sang des Chrétiens."
Et cependant, remarque Dixon-Johnson, pas un seul Chrétien autre que des Arméniens ne fut molesté. En ce qui concerne les Juifs, Sidney Whitman raconte comment un changeur d’argent Juif, pris pour un Arménien, avait été pris à partie par la foule ; quand il fut prouvé que c’était un Juif, on le laissa aller, mais la foule courut après lui et le ramena pour qu’il ramasse son argent, qui était éparpillé sur le sol. Dixon-Johnson demande : "Est-ce qu’une autre foule dans le monde aurait agi ainsi, dans des circonstances identiques ?"
Le correspondant de presse Whitman dit plus loin que, dans un hôpital qu’il visita, il trouva environ quarante soldats turcs couchés là, blessés par les bombes arméniennes et les coups de revolver tirés au cours des combats de rue. Le même jour la police découvrit une quantité importante d’explosifs dans une maison de Péra, qui, dit-on, avaient été amenés là de connivence avec les Russes. Whitman souligne que, bien que quelques correspondants aient été invités à venir constater cette trouvaille, qui fut par la suite exposée publiquement à Tophane (Arsenal), "telle était la tendance générale face à n’importe quel fait pouvant parler en faveur de la grande provocation dont les Turcs étaient l’objet de la part des révolutionnaires arméniens, qu’on fit à peine quelque publicité à la découverte de ces bombes".
Le correspondant Whitman révèle qu’après que la nouvelle de l’attaque de la Banque ottomane et les événements qui s’ensuivirent, se fut répandue en Europe, nombre de dessinateurs de journaux illustrés arrivèrent à Istanbul, envoyés pour répondre à la demande de récits d’atrocités. Mais les morts avaient été enterrés, ni femmes ni enfants n’avaient été molestés et aucune église arménienne n’avait été profanée. Un certain Melton Prior, le correspondant de guerre célèbre à l’époque, un homme de tempérament énergique et déterminé, pas habitué à être le jouet des circonstances, mais au contraire quelqu’un souhaitant s’élever au-dessus d’elles, "refusa d’inventer ce dont il n’avait pas été témoin". Whitman ajoute : "Mais d’autres ne firent pas montre de tels scrupules. J’ai vu peu après un journal illustré italien contenant des illustrations poignantes de femmes et d’enfants massacrés dans une église".
Pour en venir aux événements de , Dixon-Johnson écrit : "Nous retrouvons... maintenant... une fois de plus la même influence à l’oeuvre... Il n’y a absolument pas de raison pour laquelle nous devrions implicitement accepter les rapports qui ont été si assidûment répandus dans la Presse... Ceux qui exploitent ces histoires font preuve de la même incapacité, n’ayant entendu qu’un son de cloche, et celui-ci étant extrêmement tendancieux". Il ajoute que pas un Anglais ne condamnerait un prisonnier sur des preuves fournies par l’accusation. L’Editeur de l’Economist dit que "nous ne devons pas permettre que nos critères pour la reconnaissance de preuves s’abaissent, lorsqu’on examine des rapports concernant des atrocités", et ceci est particulièrement nécessaire "lorsque des histoires sensationnelles sont présentées à un public enclin à croire n’importe quoi".
Le Capitaine Granville Fortescue, le correspondant de guerre Américain, donna un exemple montrant comment des histoires étaient fabriquées et disséminées grâce à la presse, dans le monde entier, dans son livre "What of the Dardanelles ?" (Qu’en est-il des Dardanelles ?) : "Les rumeurs d’une révolution en Turquie ont été si nombreuses et si fréquentes que je dois déclarer qu’elles n’ont en fait pas le moindre fondement... Maintes fois j’ai reçu de longues dépêches... ayant pour but de décrire les conditions troublées en Turquie. Je me rappelle un article racontant une émeute à Constantinople. Références-y était faite au pillage de l’Hôtel Péra Palace par une foule manifestant contre la guerre. A la date mentionnée par cette dépêche, j’étais dans cet hôtel. L’histoire entière était une invention..."
Lord Bryce, Noël Buxton ou Aneurin Williams, qui parlèrent des événements de 1915 n’auraient certes pas voulu tromper les Britanniques et le public mondial. Mais "certaine main bien connue" les avait trompés. Est-ce que cette main n’était pas celle des riches Comités arméniens répandus en Europe et en Amérique, et qui n’ont jamais hésité quant au choix des moyens pour atteindre leurs buts, parce que, pour eux, la fin justifie les moyens ?" (p. 43).
Lorsque le Comte de Crewe répondit le à la Chambre des Lords, à la question du Comte de Cromer de savoir "si le Gouvernement de Sa Majesté avait reçu quelque information confirmant les allégations faites dans les journaux à propos d’un renouveau du massacre des Arméniens", il basa son information sur un rapport du Consul britannique à Batoum, qui à son tour s’était fié à un journal de Tiflis, probablement l’Horizon, "un organe de la propagande arménienne et auquel par conséquent on ne pouvait pas du tout faire confiance".
Mettant en doute la déclaration de Lord Bryce qu’il "n’y avait pas le moindre fondement au rapport selon lequel les Arméniens avaient eux-mêmes provoqué le massacre en se livrant à la conspiration", Dixon-Johnson écrit que "les faits... sont différents". Il observe que les Turcs venaient d’essuyer une défaite sévère au Caucase. Ils avaient besoin de tous les hommes disponibles, et de chaque volée de munitions pour arrêter l’avance des Russes. Il est en conséquence incroyable, rétorque-t-il, que, sans avoir reçu la moindre provocation, ils aient choisi un moment particulièrement inopportun pour employer une force importante de soldats et de gendarmes, avec de l’artillerie, pour agiter un nid de frelons sur leurs arrières. Il dit que "des considérations du seul point de vue militaire rendent cette suggestion absurde". Il ajoute :
" Au cours de la guerre actuelle, nous avons le témoignage écrasant et convaincant de tous les rangs, de Lord Kitchener jusqu’au simple soldat, que les Turcs ont combattu avec bravoure, proprement, et ont traité nos prisonniers et nos blessés avec bonté et humanité. Il est inconcevable, en conséquence, que ces mêmes Turcs aient, sans provocation (et Lord Bryce lui-même a reconnu qu’ils ne firent pas montre de fanatisme religieux) commis les méfaits diaboliques dont ils sont accusés, et, à ce propos, nous avons l’observation curieusement éclairante d’un correspondant de guerre célèbre, à son retour des champs de bataille de la dernière Guerre Balkanique, que, aussi paradoxal que cela puisse paraître, les Turcs furent les seuls ’Chrétiens des Balkans !’ Ce bref examen de la situation militaire et politique de la Turquie, et du caractère turc, devrait être suffisant pour réfuter la suggestion que les Turcs furent les agresseurs et agirent sans avoir été provoqués... Les Arméniens eux-mêmes commencèrent les troubles en fomentant une rébellion. " (p. 46)
Dixon-Johnson relate (p. 47) que des bandes de volontaires arméniens opéraient déjà dans le pays dès mars 1915, et Lord Bryce, de même que les "Amis des Arméniens" lançaient des appels de fonds pour les vêtir et les équiper, bien avant ces "massacres" soi-disant non-provoqués. De plus, la Russie Tsariste armait également les Arméniens et les aidait à fomenter des rébellions. Par exemple, les Arméniens de Van croyant après la défaite Turque de Sarikamis, que la victoire complète sur la Turquie était assurée, pensèrent que leur heure était arrivée. Pressés par les agents de la Russie et par leurs propres révolutionnaires, ils se soulevèrent et, comme un correspondant du Times l’admet, à un moment où la surveillance était relâchée "finalement capturèrent la ville de Van et exercèrent une vengeance sanglante contre leurs ennemis". En juin, les Arméniens livrèrent la ville aux troupes russes. Dixon-Johnson admet "qu’il y eut des soulèvements organisés dans d’autres régions d’Asie Mineure également" (p. 48). Henry Wood, le correspondant de l’Agence de Presse des Etats-Unis, rapporta que les Arméniens étaient non seulement en rébellion ouverte, mais qu’ils s’étaient en fait emparés de Van et d’autres cités importantes. Il relate qu’à Zeitun, lorsque les Autorités turques essayèrent d’enrôler les jeunes Arméniens pour leur service militaire, les soldats furent attaqués et trois cents d’entre eux furent tués. Ecoutons les remarques suivantes de l’auteur :
" Il apparaît évident que les Autorités turques, soucieuses d’assurer la sécurité de leurs lignes de communication, n’avaient pas d’autre alternative que d’ordonner le déplacement de leurs sujets rebelles en un lieu distant du siège des hostilités, et de les y interner, l’exécution de cette précaution absolument nécessaire conduisit à de nouveau soulèvements de la part des Arméniens, le reste des Musulmans était pratiquement sans défense, parce que les garnisons régulières étaient sur le front, ainsi que la plus grande partie de la police et des hommes valides. Déjà rendus furieux en apprenant les atrocités commises à Van par les insurgés, craignant pour leurs vies et celles de leurs familles, ils furent à la fin entraînés par l’effet cumulatif de ces événements à prendre panique et à exercer des représailles et, comme cela arrive invariablement dans de tels cas, les innocents en souffrirent en même temps que les coupables ".
L’auteur déclare (p.49) que le Turc ne daigne jamais expliquer son propre cas, tandis que "les pro-Arméniens s’arrangent toujours à tenir le haut du pavé, effrayant le public en répétant sans cesse, et en l’exagérant, le nombre des victimes, et apparemment appréciant à sa juste valeur un vieux proverbe oriental : ’Donnez à un mensonge une avance de 24 heures, et il faudra cent ans avant de le vaincre’". Lord Bryce, parlant à la Chambre des Lords le , dit que, vraisemblablement, 800.000 (plus tard augmenté à 1 million) Arméniens furent anéantis. Dixon-Johnson ajoute à ce chiffre 250.000 réfugiés en Russie, pour lesquels on fait des appels de fonds, ainsi que les 13.000 réfugiés en Egypte, arrivant ainsi à un total de 1.063.000 Arméniens. Il ajoute que, d’un autre côté, selon Sir Charles Wilson, la population arménienne totale des neuf provinces ne comptait que 925.000 habitants. Il mentionne à titre de comparaison, que le nombre des "‘Arabes tués selon les journaux Italiens" au cours de la guerre de Tripolitaine dépassa trois fois le chiffre de la population de ce pays, Il cite également ce qu’il appelle les "rapports les plus extraordinaires" à propos de Mersin, rapports que le même Lord Bryce avait apparemment communiqués aux journaux Anglais. On rapporta que le nombre des Arméniens expulsés de cette ville atteignait "environ 25.000". Dixon-Johnson rappelle que la population entière de Mersin était alors de 20.966 personnes, dont 11.246 Musulmans, 2.441 Juifs et les 7.279 Chrétiens restant appartenant à des sectes variées : Grecques, Arméniennes, Latines et Nestoriennes. Il s’exclame : "Comment 25.000 Arméniens avaient-ils pu être expulsés à partir d’une population Chrétienne totale de 7.279 personnes (dont la moitié au moins étaient des Grecs) est difficile à comprendre" (p. 50).
Le rapport publié dans le Times de la déclaration faite par Lord Bryce à la Chambre des Lords le cite comme ayant affirmé qu’à Trébizonde "les autorités turques firent la chasse à tous les Chrétiens, les rassemblèrent et les conduisirent vers la mer. Là on les fit monter sur des bateaux à voile et on les transporta à quelque distance de la côte de la Mer Noire, et là on les jeta par-dessus bord et on les noya ; la population arménienne entière, de 8 à 10.000 personnes, fut anéantie de cette manière en un après-midi". Le Times, dans un article de tête, ajoute l’information supplémentaire que "le Consul italien, qui rapporta cette énormité, la vit se faire de ses propres yeux". Dixon-Johnson considère le nombre de bateaux à voile qui eut été nécessaire pour transporter "à quelque distance" en mer autant de personnes. De plus, le récit de ce même événement, tel que présenté dans le Messagero de Rome, est "entièrement différent, le Consul italien (Signor Corrini) étant censé avoir dit que le bannissement des Arméniens, sous escorte, et les fusillades généralisées dans les rues, continuèrent pendant un mois entier", alors qu’il ne dit mot d’embarquements et de noyades en masse en un après-midi.
Dixon-Johnson compare les récits originaux relatant le nombre des Bulgares tués lors de l’insurrection de 1876 avec celui des Arméniens qui perdirent la vie lors des troubles de Sassoun en , et conclut que 6,4% seulement des chiffres que l’on fit d’abord circuler se révélèrent par la suite être corrects. Il déclare que l’estimation de Lord Bryce est "similairement excessive" (p. 51). Il ajoute que " toutes les histoires des méfaits commis par les Turcs se révélèrent, après enquête, être des exagérations auxquelles une personne réfléchie ne pouvait ajouter foi... " Il relate les histoires "communiquées avec assiduité" aux "Agences arméniennes agissant sans aucun doute sur les instructions d’un Bureau central". Il cite Sydney Whitman : "Tout a été soigneusement préparé en Asie et dans la Presse d’Europe et d’Amérique avant la révolte arménienne (1895-1896) pour que retentisse une seconde Bulgarie".
Dixon-Johnson se réfère "aux atrocités bulgares" comme étant un très bon exemple de combien facilement une personne sentimentale, ayant des préjugés, peut être abusée. Il relate le cas de la visite dans les Balkans du chanoine McColl, à la requête de Gladstone, afin de collecter des preuves. Son guide, un Levantin, lui signale, à l’horizon, un grand nombre d’érections, qu’il affirme être "des centaines de Chrétiens empalés". Le rapport de McColl fit grande sensation en Angleterre, comme "preuve irréfutable de première main". Mais plus tard, la preuve fut apportée qu’aucun Chrétien n’avait été ni massacré ni crucifié nulle part dans ce district, et de plus, que les silhouettes supposées n’étaient rien d’autre que les tas de foin ordinaires de cette région, construits autour d’un poteau et qui, après que le foin ait été mangé par le bétail jusqu’à ce qu’il n’en reste plus que quelques touffes, peuvent avoir une certaine apparence de ce que le guide avait suggéré.
Dixon-Johnson croit que les histoires que l’on fait ainsi circuler ont un objet bien précis : influencer la politique future du Gouvernement britannique et préparer l’opinion publique au règlement souhaité de ce problème (p. 54). Citant l’article de Noël Buxton dans le Nineteenth Century (le Dix-neuvième Siècle) la description faite par Walter Guinness (Membre du Parlement) de sa randonnée en Anatolie Orientale, et un article de Times (), il s’étend sur l’activité des Russes armant les Arméniens. Cet article susmentionné du Times avait averti ses lecteurs qu’il existait un grand danger d’introduction en Asie Mineure des méthodes macédoniennes, avec une guérilla par des bandes, et toutes les horreurs qui s’ensuivent. En bref, la Russie armait les Arméniens (pp. 58-59).
L’auteur explique aussi : "Quelques personnes diront peut-être que ces histoires, qu’elles soient vraies ou fausses, il est inopportun de défendre la réputation d’une nation avec laquelle nous sommes en guerre". Il répond : " Si cet argument était valable, il s’appliquerait avec autant de force à la critique des officiers et des soldats qui ont écrit chez eux de Gallipoli, rendant spontanément et de bon cœur un témoignage généreux sur la bravoure et l’esprit chevaleresque des Turcs ". Il soutient que de telles "assertions mensongères ne devraient pas être disséminées uniquement parce qu’elles pourraient être au détriment d’un ennemi". Il dit que les nations neutres seraient "influencées en notre faveur si nous-mêmes nous montrons équitables". Il ajoute que l’objet des propagandistes "est simplement de fausser encore plus l’opinion publique de ce pays contre un ennemi sur le compte duquel on se trompe déjà, et que l’on diffame méchamment". Il rappelle au lecteur combien la situation était critique pour la Turquie, " que pour elle, c’était une question de vie ou de mort. A moins que le danger ne soit écarté, l’armée Turque du Caucase aurait été complètement coupée de ses arrières, et la population musulmane, aux mains des révolutionnaires, eut été exterminée " (p. 60).
Compte-rendu de lecture par le Professeur Dr. Türkkaya Ataöv
Faculté des Sciences Politiques, Université d’Ankara)