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Histoire

Le jugement du procès Nissanian : commentaires de la partie civile

Publié le | par Hakan | Nombre de visite 1929
Le jugement du procès Nissanian : commentaires de la partie civile

« On ne vit en fait que pour quelques instants, intenses et privilégiés, le reste du temps on attend ces moments-là. »
Edgar Faure

 

 

Mardi 27 avril, le tribunal correctionnel de Lyon rendait son jugement dans le procès que j’avais intenté à Movsès Nissanian, conseiller municipal de Villeurbanne et membre de la Fédération révolutionnaire arménienne (FRA-Dachnak) pour injure publique envers un particulier. M. Nissanian a été reconnu coupable et condamné. L’ambiance était fort calme — plus que le 5 janvier, sans comparaison possible avec le 3 novembre —, presque comme apaisée.

La condamnation de M. Nissanian est d’abord un grand soulagement pour moi : c’est l’aboutissement de presque deux ans de procédure (mai 2008-avril 2010).

Les attendus du jugement contiennent plusieurs motifs de satisfaction.

1) Le tribunal de Lyon a confirmé l’interprétation de celui de Paris concernant la réforme du code de procédure pénale datant de 2007 : la prescription est suspendue pendant le délai incompressible de quatre mois qui existe désormais entre l’ordonnance de fin d’enquête et l’ordonnance de renvoi devant le tribunal. C’est une bonne nouvelle, non seulement pour moi, mais aussi pour toutes les autres victimes d’injure et de diffamation.

2) Le tribunal a rejeté l’excuse de provocation invoquée par M. Nissanian et son avocat. Le président Schir avait déclaré, le 5 janvier : « le tribunal n’a pas à trancher entre les thèses historiques » ; le jugement traduit concrètement cette déclaration : dans l’analyse de l’excuse de provocation, il n’y a aucun développement historique ; il n’y est nullement question du « négationnisme d’État, pervers et sophistiqué » allégué dans le jugement de l’affaire Sırma Oran contre Jean-Paul Bret. Pourquoi une telle différence, dans deux jugements rendus par la même chambre, à peu de temps d’intervalle ? Essentiellement parce que j’ai fourni à mon avocat de quoi répondre aux allégations de la défense sur la qualification de « génocide » : il a intégré ce que je lui avais fourni en annexe de la version révisée de ses conclusions écrites. Mme Oran a refusé d’argumenter l’arrière-plan historique, malgré mes suggestions répétées. Chacun peut désormais voir la différence de résultat.

3) Le tribunal ne m’a pas non plus contesté le droit de mentionner les crimes de la FRA, et notamment les activités de sa branche terroriste. Le jugement indique que mon article parlait de « agissements imputables à la FRA ». « IMPUTABLE : […] 1. Qui peut, qui doit être imputé, attribué, à quelque chose, à quelqu’un. » (Le Petit Larousse 2005).

Oh certes ! J’aurais préféré que le tribunal dise explicitement que je me suis borné à défendre le droit à l’expression d’une thèse historique, qui peut être discutée ou approuvée, mais ne relève pas du « négationnisme » ; j’aurais beaucoup apprécié qu’il écrive qu’étant donné les actes et les propos de plusieurs dirigeants de la FRA, comme Mourad Papazian, actuellement co-président du parti pour l’Europe occidentale, et d’une grande partie de ses membres, j’avais de bonnes raisons de craindre les réactions de l’auditoire de M. Nissanian. Mais rien ne l’obligeait à être explicite, et surtout pas la situation lyonnaise.

Implicitement, ce jugement est terrible pour les nationalistes diasporiques. Les accusations de « génocide » s’avèrent sans effet absolutoire en cas de procès, si la partie civile contre-argumente. Lors du procès Oran contre Bret, M. Bret avait pu, sans crainte d’être démenti par quiconque, dire que contester la qualification de « génocide » dans le cas arménien serait aussi absurde que contester l’héliocentrisme. Lors du procès contre M. Nissanian, l’avocat de celui-ci, vaincu par l’évidence, a dit, dans sa plaidoirie, qu’« il n’y a aucune preuve directe du génocide arménien » — magnifique moment de lucidité et d’autoréfutation. Quelqu’un qui a dû se sentir très inutile, quand il a eu pris connaissance du jugement, c’est Philippe Videlier, témoin de la défense au procès. En l’écoutant, le 5 janvier, tempêter contre Bernard Lewis, j’avais un peu l’impression d’entendre Clara Morgane qui contesterait le jeu d’Ingrid Bergman dans Notorious (Les Enchaînés) d’Alfred Hitchcock.

Un quart de siècle plus tard, un tribunal correctionnel confirme ce qui avait déjà pu se constater en cour d’assises, à l’époque des attentats de l’ASALA et des CJGA/ARA. L’argument du prétendu « génocide » avait déjà été utilisé, dans les années 1980, pour des faits incomparablement plus graves que l’injure de M. Nissanian. Au procès Kilndjian, rien ne fut opposé par la partie civile (turque) ; Max Hraïr Kilndjian (qui, certes, n’avait tué personne) s’en tira avec deux ans de prison ; la FRA exulta. Au procès de la prise d’otages au consulat général turc de Paris, la contestation ne fut pas à la hauteur de la propagande déployée ; les coupables s’en tirèrent avec sept ans de prison ; demi-satisfaction pour les nationalistes diasporiques. Au procès de l’attentat d’Orly, mais aussi aux procès de membres du Mouvement national arménien (dont le président s’appelait Ara Toranian), poursuivis pour détention illégale d’explosifs, en 1985 et 1986, l’excellent maître Jean Loyrette répondit avec brio aux accusations de « génocide » : les peines prononcées furent enfin aussi lourdes que l’espéraient les parties civiles.

Sur la question du terrorisme, le jugement n’en est pas moins terrible, là encore. Le procès Nissanian a permis d’attaquer de front la fiction selon laquelle les CJGA/ARA étaient indépendants de la FRA. Comme pour les accusations de « génocide », c’est la défense qui m’en a fourni l’occasion, en prétendant que « la FRA a toujours condamné le terrorisme ». J’ai fourni au dossier de nombreux articles publiés dans Haïastan (organe de la branche de jeunesse de la FRA en France), France-Arménie (journal édité par la FRA lyonnaise) et Asbarez (organe de la FRA pour la moitié ouest des États-Unis, principalement la Californie), prouvant exactement l’inverse. J’y ai ajouté des citations de divers auteurs, y compris Yves Ternon, grand ami de la FRA, établissant que les CJGA/ARA n’étaient ni plus ni moins que la branche terroriste de la FRA, aux ordres du bureau mondial de ce parti. Lorsque mon avocat demanda à son collègue de la défense s’il avait produit ne serait-ce qu’une seule pièce en riposte à ce sujet, un grand silence lui répondit.

Même l’unique échec que j’ai subi est finalement bien plus terrible pour la FRA que pour moi. Le tribunal a retrouvé un arrêt de la Cour de cassation distinguant l’excuse de provocation, qui empêche une condamnation, le délit n’étant pas constitué, de la faute commise par la victime (notamment une imprudence dans l’expression), qui justifie une peine plus légère. En conséquence, le tribunal a considéré qu’il y avait une « faute » de ma part à ne pas faire explicitement la distinction entre un parti (la FRA), la section de Villeurbanne et « le terrorisme élevé au rang de méthode sacro-sainte » (expression du politiste Gaïdz Minassian dans Guerre et terrorisme arméniens, ouvrage issu de sa thèse de doctorat). Ce qui revient à dire que j’aurais dû explicitement spécifier que la section de Villeurbanne n’est pas impliquée dans le terrorisme, et qu’à la différence de sections comme celles de Paris, Décines-Charpieu, Los Angeles ou Glendale (Californie), elle n’a organisé ni cérémonies d’hommages pour des terroristes ni collectes de fonds pour payer leurs frais de justice.

Bref, M. Nissanian a échappé à une condamnation lourde parce qu’il a déclaré devant le tribunal : « Quant à ces actes terroristes, je les réprouve ». L’expression n’a pas été appréciée, aussi bien par des militants de base (qui l’ont traité, sur Internet, de « lâche » et « honte » pour le parti) que par des dirigeants de la FRA, à commencer par Laurent Leylekian, directeur de France-Arménie et ancien directeur de la Fédération euro-arménienne pour la justice et la démocratie (il y a de quoi ajouter : sic, vu les dirigeants).

Ce procès aura permis de faire éclater une contradiction interne au nationalisme diasporique arménien : l’opposition entre le désir de respectabilité d’une part, la nostalgie déclarée du terrorisme par une partie des dirigeants et de la base d’autre part — contradiction qui se retrouve non seulement à la FRA, mais aussi au Hintchak (qui a soutenu l’ASALA et ne l’a jamais regretté) et dans les franges radicales du Ramkavar.

Très actif, et à l’occasion arrogant, entre 2006 et la mi-2008, M. Nissanian a disparu du devant de la scène après le dépôt de ma plainte, en mai 2008. Je doute que sa hiérarchie lui confie à l’avenir autre chose que la direction de micro-manifestations, comme celle du 3 mars, à Lyon, où se trouvaient moins de dix personnes, M. Nissanian inclus. Le prévenu n’a pas été condamné à verser ce que je demandais ? Tant pis. Obtenir de l’argent n’était pas ma première préoccupation. Je n’ai aucune hostilité personnelle contre M. Nissanian : ses propos étaient ignobles, le choix de les prononcer devant un public comme le sien était également ignoble, mais je ne vois rien qui m’autorise à dire que sa personne même est ignoble — surtout pas ce qu’il a dit sur le terrorisme. La lourdeur de la peine, que j’espérais, devait avant tout avoir une portée symbolique et dissuasive. Or, la dissuasion semble avoir fait son effet : déjà, le 5 janvier, la différence était notable avec le 3 novembre ; et depuis que le jugement a été prononcé, absolument aucun commentaire n’est paru sur un site ou un forum arménien.

Moins encore qu’au lendemain du procès, je ne regrette rien et ne renonce à rien.

Allez ! Du thé jaune des cinq dynasties, un disque des Variations Goldberg jouées par Glenn Gould (enregistrement de 1982) et ce sera presque le ravissement.

Maxime Gauin

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