Un document exceptionnel : "Les Turcs à la recherche d’une âme nationale"
Sur le site Gallica, j’ai pu retrouver un vieil article d’une grande importance : "Les Turcs à la recherche d’une âme nationale", paru dans leMercure de France, le 16 août 1912.
Il est signé P. Risal, pseudonyme de Moiz Kohen (né à Serez en Roumélie), plus connu sous les noms de Tekin Alp/Munis Tekinalp, penseur et acteur des révolutions jeune-turque et kémaliste.
Dans ce texte fébrile et fort émouvant, P. Risal s’applique à décrire au public français l’émergence et la montée d’un sentiment national turc dans un Empire ottoman déliquescent, semi-colonisé et confronté aux nationalismes des non-Turcs (musulmans albanais et arabes compris).
A télécharger ici :
Avants propos :
Dans l’immense empire des Turcs osmanlis, l’éternel négligé est le prétendu dominateur. Il existe une littérature abondante sur les Grecs et les Bulgares de Thrace et de Macédoine, sur les Arméniens, les Albanais, etc. ; mais l’on a fort peu écrit sur les Turcs, leur vie sociale, leurs tendances, leur activité économique et mentale. Des publications multiples, des sociétés, des congrès défendent les nationalités vivant sous le sceptre d’Osman, revendiquent leurs droits méconnus, protestent contre les exactions, les oppressions auxquelles, hélas ! Elles n’ont que trop souvent été en butte. Mais qui donc a élevé la voix en faveur de cette sempiternelle victime, de ce serf taillable et corvéable à merci, le paysan turc ?
Une population d’origine turcomane, probe, patiente, dure à la tâche, résignée et silencieuse, est courbée sur la glèbe ingrate et traîtresse de plusieurs régions des Balkans et de l’Anatolie. Elle seule, pendant des siècles, a alimenté les casernes de l’empire. Son sang a coulé dans tous les sillons abandonnés par les cultivateurs macédoniens devenus comitadjis, et dans tous les sentiers des provinces insoumises, depuis l’Albanie jusqu’au Hauran et au Yemen. De tout temps, ses enfants, à peine sortis de l’adolescence, ont été arrachés brutalement aux campagnes pour être relégués en des garnisons reculées, dans un lamentable abandon. Des années se passaient, quinze et même vingt-cinq années parfois, sans que l’ordre de licenciement vînt délivrer ces hommes de leur servitude. Quand ils regagnaient leurs foyers, ils n’avaient plus aucune vigueur, aucun goût pour le travail. Ils étaient aigris, démoralisés. Souvent, les vieux parents étaient morts après avoir trainé une vie misérable ; la terre familiale était obérée d’hypothèques ou même vendue par les soins des fermiers de la dîme, voraces et impitoyables…