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mercredi 27 septembre 2023

Kevin Gould, "The Guardian"

Turquie : Le mausolée de Mevlana, à la source du soufisme

Publié le | par Hakan | Nombre de visite 335
Turquie : Le mausolée de Mevlana, à la source du soufisme

Au coeur de la Turquie, Konya, peuplée d’un million d’âmes, s’étend au milieu des plaines sauvages d’Anatolie, entourée de vastes prairies. La plus conservatrice des villes turques apparaît d’abord comme un lieu tout en foulards bien serrés et en barbes inquiétantes, où les rites sont pratiqués avec une observance ostentatoire et où la bière est interdite.

Mais il est facile de lever le voile sur Konya : ici, au coeur de la vieille ville, dans sa tombe garnie de faïence turquoise, repose Djalal al-Din Rumi. Rumi est l’un des poètes les plus lus de la planète. Déjà de son vivant, on venait en pèlerinage à Konya, et cela s’est perpétué depuis sa mort en 1273.

Aujourd’hui, la tombe de Rumi (dit Mevlana, le “guide” ou le “sanctifié”) est le deuxième site touristique le plus visité de Turquie, juste derrière le palais de Topkapi, à Istanbul. Rumi était un mystique, un saint du soufisme qui aimait toutes les religions, et dont la religion était l’amour. Ses adeptes, hier comme aujourd’hui, se perdent dans la transe et la danse, tourbillonnant comme des toupies parfois pendant des heures.

Les derviches tourneurs sont devenus les vedettes des campagnes publicitaires pour le tourisme en Turquie, et nombre de pauvres gars coiffés d’un haut chapeau de feutre beige virevoltent ainsi dans tous les halls d’hôtel d’Istanbul.

Pour un spectacle authentique, c’est à Konya qu’il faut aller. Aller à Konya, c’est partir à la découverte de l’âme turque. Comme l’écrit Rumi : “Qui que tu sois, viens,/ Même si tu es,/ Un infidèle, un païen voire,/ Un adorateur du feu, viens,/ Notre fraternité n’est pas celle,/ Du désespoir,/ Quand bien même aurais-tu brisé,/ Tes voeux de repentir cent,/ Fois, viens.” Tous les ans ou presque depuis 1983, c’est ce que je fais, comme les quelque deux millions de touristes qu’accueille Konya chaque année. Ils sont en majorité Turcs, mais un grand nombre d’Iraniens (qui revendiquent Rumi, car il écrivait en perse et naquit en Perse orientale) font également le pèlerinage.

Plutôt que de passer à Konya dans le cadre d’un circuit, mieux vaut séjourner ici quelques jours, pour s’imprégner de l’ambiance, déguster quelques plats d’agneau parmi les meilleurs de Turquie, admirer le meilleur de l’architecture seldjoukide et – qui sait ? – tomber amoureux de Rumi.

Vous trouverez des vols bon marché pour Istanbul, d’où l’on rejoint Konya soit par un vieux train plein de charme, soit par la route. La ville est facilement accessible depuis la Cappadoce, ses habitations troglodytiques et ses vendeurs de tapis.

Quand Rumi y arrive, encore enfant, Konya est déjà une ville depuis deux millénaires. Elle fut fondée par les Hittites, qui cédèrent la place aux Phrygiens, puis aux Lydiens, aux Perses, aux Cappadociens, aux rois de Pergame et aux Romains, qui eux la rebaptisèrent Iconium. Saint-Paul et Saint-Barnabé y prêchèrent en leur temps, mais en 1071, ce sont les Seldjoukides, une tribu turcomane, qui règnent et offrent à la ville cette architecture parvenue jusqu’à nous.

Leur madrasa de Karatay, bâtie en 1251, est une merveille dotée de carreaux ornementaux et de dômes harmonieux.
Elle abrite aujourd’hui le musée des Céramiques, dont les collections n’ont rien perdu, avec le temps, de leur vigueur et de leur beauté. Non loin, dans la madrasa Ince Minare, est installé le musée de la Sculpture sur bois et sur pierre, plus fascinant que son nom ne laisse présager.

Ces deux monuments font une excellente introduction aux beautés de la madrasa Sircali, ornée d’une faïence délicate, et de la sublime mosquée Sahip Ata. Contrairement à ce qu’il se passe dans bien d’autres pays musulmans, le visiteur en Turquie est invité à se rendre dans les mosquées, et ce quelle que soit sa confession.

Au point de rencontre entre la vieille ville et son hideux nouveau quartier, se dresse la mosquée Alaeddin, point de vue privilégié sur la ville, dont le beau minbar [chaire] en ébène et le délicat mihrab [niche de prière] datent de 1155 (le complexe en son entier fut achevé en 1221). De là part l’avenue qui vous conduira à la sépulture de Rumi, dont nous reparlerons plus loin.

Les Turcs ont donné à Rumi le surnom de Mevlana, et une authentique “mevlanamania” règne aujourd’hui dans Konya. Lors ma première visite, ses continuateurs, les Mevlevi, formaient un ordre interdit, uniquement toléré pour ses “danses folkloriques” et ses transes ; ils se réunissaient clandestinement, dans l’illégalité.

Les choses ont bien changé, et l’image de Rumi est désormais partout, des panneaux publicitaires aux boules à neige qu’on trouve dans les boutiques de souvenirs. Un imposant auditorium municipal a été inauguré récemment, où l’on peut aller voir ce ballet aussi virevoltant que fascinant, et les mystiques au regard enfiévré sont nombreux chez les marchands de tapis, dans les cafés et sur les souks à venir proposer au visiteur le rite du zikhr en privé.

J’ai déjà parlé de la cuisine : celle de Konya, qui fait la part belle à l’agneau, est succulente. L’etli ekmek est une sorte de pizza fine et roulée, servie avec de la viande hachée délicatement épicée, tandis que le kebab de Konya est préparé à partir de jarret d’agneau. […] A Konya, un son retentit discrètement et s’insinue dans votre âme : c’est celui du ney, une flûte en roseau. Sous ses airs de respiration, c’est en réalité un son fiévreux qui gronde et faiblit tour à tour en chacun de nous. Ce n’est pas une plainte religieuse maussade, mais plutôt la musique de l’aspiration, de la communion, du coeur. Oui, c’est la musique de l’âme, et elle vous appelle : alors venez.

Kevin Gould, "The Guardian"
Source le Monde