Turquie/Irak/PKK/Etats-Unis : au milieu d’une mascarade
Le PKK est une organisation violente, meurtrière, terroriste et reconnue comme telle par la communauté internationale. Cette organisation s’arme, s’organise et lance des attaques contre la Turquie depuis le Nord irakien. Cette situation n’est acceptable pour aucun pays, en effet imagine t-on les Etats-Unis rester sans réactions face à des attentats sur son sol s’organisant depuis le Mexique, ou pour la France depuis l’Espagne ? Evidement non. La Turquie a donc entrepris des démarches diplomatiques auprès des autorités irakiennes et de l’autorité kurde autonome d’Irak qui, avec les Etats-Unis, contrôle la région qui héberge le PKK. Mais la réponse des intéressés, toujours la même, est négative : « nous ne pouvons rien faire ». Ainsi le 24 octobre dernier le Président irakien Talabani affirmait : « Nous avons dit à de nombreuses reprises qu’il n’y a pas de dirigeants du PKK dans les villes kurdes. Ils vivent dans les monts Kandil avec des milliers de leurs combattants, nous ne pouvons donc pas les arrêter et les remettre à la Turquie » [1].
Donc le PKK avec ses dirigeants sont dans les monts Kandil, inaccessibles à l’autorité kurde irakienne. Mais il faut bien que les terroristes descendent de leurs camps, traversent la bande de terre irakienne qui sépare ces camps de la frontière turque, et une fois l’attentat commis en Turquie, reviennent en Irak et rejoignent leurs camps, retraversant le territoire irakien sous contrôle kurde et américain. Ainsi la dernière opération terroriste du PKK le 21 octobre dernier a mobilisé 200 hommes lourdement armés. On a du mal à croire, alors que le moindre mètre carré du territoire irakien est quadrillé par les satellites US et que les soldats kurdes, les Peshmergas, sont légions dans la région, que personne n’ait rien vu, n’ait rien entendu.
Passons. Les Kurdes irakiens ne peuvent donc (ne veulent) rien entreprendre contre le PKK, et ne veulent pas non plus que la Turquie intervienne elle-même contre les camps du PKK en Irak, ce qui revient à dire en substance : « nous, nous ne pouvons rien faire et vous, vous ne devez rien faire ». Ainsi lorsque le Parlement turc a autorisé l’armée à poursuivre les terroristes du PKK en Irak, la levée de bouclier de l’autorité kurde irakienne fut instantanée : « si la Turquie intervient en Irak, nous nous défendrons » [2]. Etrange déclaration des autorités kurdes qui prennent sur eux les pressions turques contre le PKK. Etrange mais non dénuée de sens, en effet le sentiment nationaliste est fort chez les Kurdes d’Irak, ce qui pousse leurs dirigeants à jouer la solidarité kurde – même s’il s’agit pour le cas d’une solidarité avec des terroristes.
Cette solidarité a logiquement induit chez les Kurdes irakiens l’étrange rhétorique dont nous parlons ci-dessus : « si la Turquie intervient, nous nous défendrons », dont le développement lui aussi logique a été « la Turquie nous menace » [3]. Cette inversion complète de la réalité, en effet alors que c’est la Turquie qui est attaquée depuis l’Irak, elle se retrouve dans le rôle de l’agresseur, les médias américains et plus généralement ceux hostiles à une intervention turque en Irak, s’en sont largement faits l’écho. Par exemple le 29 octobre dernier dans l’émission « Late Edition » sur la chaîne CNN, le journaliste Wolf Blitzer, oubliant certainement que les Etats-Unis occupent l’Irak depuis 4 ans, tançait l’ambassadeur turc Nabi Şensoy, et condamnait la future et imaginée « occupation turque de l’Irak » [4]. Şensoy rappelant qu’il n’est pas question d’occuper l’Irak, et que d’ailleurs le temps était actuellement à la diplomatie.
Côté américain, comme côté kurde, et pour des raisons différentes [5], on ne veut pas d’une intervention turque en Irak contre le PKK. Or après la multiplication des attaques de l’organisation terroriste sur son territoire (plus de 200 morts en 1 mois), la Turquie est aujourd’hui déterminée à éradiquer les camps du PKK dans le Nord irakien. Les autorités américaines conscientes de l’urgence se disent résolues à lutter avec les Turcs contre les terroristes du PKK en Irak, en promettant à la Turquie une coopération sur le plan du « renseignement » [6]. Or il est difficile de comprendre l’utilité concrète de ces renseignements US, en effet tout le monde sait où se trouvent les camps terroristes - les journalistes de l’agence AFP, du journal britannique The Daily Telegraph ou même du magazine féminin ELLE, se rendent régulièrement dans ces camps pour faire des reportages avec les chefs terroristes. D’autre part à quoi servirait de partager des renseignements sur les activités du PKK en Irak, sans agir contre l’organisation terroriste ?
« Il est très important d’apprendre de bonne heure, dès sa jeunesse, qu’on se trouve au milieu d’une mascarade », disait le philosophe Arthur Schopenhauer. La « guerre contre le terrorisme » américaine en Irak semble parfaitement correspondre à ce constat, et la jeune République de Turquie semble également commencer à en prendre la mesure.
[5] Si les Kurdes irakiens sont portés par des sentiments nationalistes, pour les Etats-Unis, après des centaines de milliards de dollars dépensés et près de 4000 morts dans l’invasion de l’Irak, il faut des arguments pour justifier aux yeux de l’opinion publique américaine l’occupation de l’Irak. Le Nord irakien étant la région la plus « stable » de ce pays, il est donné comme exemple des effets « positifs » de l’occupation US, d’où son importance pour l’administration Bush.