Relations Turquie-Azerbaïdjan-Arménie : Le fer doit être forgé tant qu’il est chaud

Relations Turquie-Azerbaïdjan-Arménie : Le fer doit être forgé tant qu’il est chaud
Auteur : Halil Akıncı / 25 mars 2025, mardi / Rubrique : Politique
Sur la photo, le président Erdoğan, le président azerbaïdjanais Aliyev et le Premier ministre arménien Pachinian discutent lors de la réunion de la Communauté politique européenne à Prague en 2022.
Le ministre des Affaires étrangères d’Azerbaïdjan, Ceyhun Bayramov, a annoncé le 13 mars que depuis la victoire de l’Azerbaïdjan à l’issue de la dernière guerre du Karabagh (19-20 septembre 2023), un accord de paix avait été négocié avec l’Arménie et que les parties étaient parvenues à un consensus sur ses dispositions. Le texte du traité n’a pas encore été rendu public. Cependant, cet accord semble répondre aux principales demandes de l’Azerbaïdjan : la fin des revendications arméniennes sur le Karabagh, la préservation de la nouvelle composition démographique de la région et la délimitation définitive des frontières entre les deux pays. Par ailleurs, concernant la modification de la Constitution et des lois connexes, qui demeure un point sensible en raison de la mention de revendications territoriales historiques, il semble que l’Arménie se soit simplement engagée à amender sa Constitution sans donner de garanties concrètes.
Un élément essentiel à garder à l’esprit est que la question du Karabagh ne se limite pas à un simple conflit entre deux États, l’Azerbaïdjan et l’Arménie. Il s’agit d’un volet d’une opposition historique plus large entre deux peuples, les Turcs et les Arméniens. L’accord conclu marque une étape qui aura un impact sur l’ensemble de la région et ses dynamiques.
L’erreur passée de la Turquie
L’initiative de normalisation des relations turco-arméniennes est toujours venue de la Turquie. Derrière cette volonté, Ankara espérait que l’amélioration des relations entre les deux pays permettrait d’atténuer les campagnes anti-turques de la diaspora arménienne et favoriserait, au moins en partie, la libération des territoires azerbaïdjanais occupés.
Cependant, la Turquie a sous-estimé le rôle unificateur et identitaire de l’hostilité envers les Turcs pour la diaspora et l’Église arménienne. Elle n’a pas su prendre en compte les dynamiques distinctes de la diaspora et de l’Arménie elle-même. Pendant ces tentatives de rapprochement, Ankara n’a pas réalisé que la diaspora considérait comme sa mission principale de saboter tout rapprochement entre la Turquie et l’Arménie.
Les assassinats commis par l’ASALA, largement tolérés voire soutenus par la communauté internationale, la victoire facile de l’Arménie sur une armée azerbaïdjanaise affaiblie en 1993 grâce à l’aide russe, et le déplacement forcé de plus d’un million d’Azéris ont encouragé le gouvernement arménien, sous influence de la Fédération révolutionnaire arménienne (Taşnak). Loin de renoncer aux territoires occupés, l’Arménie a persisté dans ses revendications historiques et, avec le soutien de la diaspora, a continué à mobiliser l’opinion internationale contre la Turquie et les Turcs.
Ce que l’Arménie ne comprend pas
En 2008-2009, sous la médiation de la Suisse et à l’initiative de la Turquie, des protocoles ont été signés, bien que ni l’Azerbaïdjan ni l’Arménie n’en aient été pleinement satisfaits. Ces protocoles sont restés lettre morte.
L’Arménie s’est enfermée dans une posture rigide, convaincue que la guerre avec l’Azerbaïdjan s’était soldée par une victoire définitive en sa faveur. Ce que l’Arménie n’a pas compris, c’est que cette situation tenait davantage au soutien international qu’à sa propre force.
Le Groupe de Minsk de l’OSCE, censé œuvrer pour une résolution équitable du conflit du Karabagh, était dirigé par trois coprésidents issus de pays ayant une forte population arménienne influente : les États-Unis, la France et la Russie. Plutôt que de chercher une solution impartiale, ces médiateurs ont principalement cherché à légitimer les gains territoriaux de l’Arménie.
La victoire de l’Azerbaïdjan et le tournant pour Pachinian
L’Azerbaïdjan a compris qu’il ne pourrait récupérer ses terres que par la guerre et s’y est préparé en conséquence. Les victoires militaires de 2020 et 2023, qui ont permis la récupération des territoires azerbaïdjanais et le rééquilibrage démographique de la région, ont forcé l’Arménie à devenir la partie demandeuse dans les négociations.
Ces victoires ont été possibles grâce à la puissance militaire de l’Azerbaïdjan, mais aussi à un contexte international favorable. Sans un tel contexte, Bakou n’aurait pas pu mobiliser pleinement ses forces armées.
Aujourd’hui, l’identité du dirigeant arménien et sa capacité à faire face à la réalité sont cruciales pour parvenir à la paix. Nikol Pachinian est, depuis l’indépendance de l’Arménie en 1991, le seul dirigeant à avoir, volontairement ou non, accepté la réalité des faits – à l’exception peut-être de Levon Ter-Petrosyan dans une certaine mesure.
Pachinian : “L’Arménie d’abord”
Pachinian n’hésite pas à dire la vérité au peuple arménien : il affirme que l’Arménie se compose de 29 000 km² et qu’il n’existe ni un “Est” ni un “Ouest” au-delà de ces frontières.
Il remet même en question des symboles nationaux quasi sacrés. Il critique la présence du mont Ararat sur le blason de l’Arménie, arguant qu’il se situe sur le territoire d’un autre pays. Il va jusqu’à remettre en question la véracité des revendications liées au génocide. En d’autres termes, il place l’intérêt de l’Arménie avant tout.
Malgré deux guerres perdues et sa remise en cause de mythes identitaires arméniens, il reste en poste, preuve que son peuple continue de lui accorder sa confiance. Cependant, cette confiance s’amenuise, car Pachinian peine encore à apporter des résultats concrets à son peuple.
L’initiative appartient à l’Azerbaïdjan et à la Turquie
L’Arménie ne se résume pas à Pachinian. La diaspora, influente et hostile, ainsi que la Fédération révolutionnaire arménienne et l’Église arménienne, restent des acteurs puissants. Des pays comme les États-Unis, la France, la Russie et l’Iran, qui bénéficient de l’instabilité régionale, n’ont aucun intérêt à voir la paix s’installer. Ils sont prêts à torpiller l’accord.
Cependant, ces puissances sont actuellement préoccupées par d’autres priorités. Mais cela pourrait changer, et l’Arménie pourrait, comme en 1992-1993, chercher à renverser la situation avec des soutiens extérieurs. C’est pourquoi le fer doit être forgé tant qu’il est chaud.
L’Azerbaïdjan et la Turquie doivent faire de cet accord de paix le fondement d’une stabilité durable. Pour cela, il est essentiel qu’il génère des bénéfices économiques.
Une coopération économique pour la prospérité
La Turquie et l’Azerbaïdjan doivent dès maintenant annoncer leur intention d’ouvrir le commerce frontalier avec l’Arménie dès l’application complète de l’accord de paix. Une coopération transfrontalière sous l’égide du Conseil de l’Europe pourrait suivre.
L’histoire montre que des ennemis de longue date, comme la France et l’Allemagne, sont devenus alliés grâce à des efforts communs pour la prospérité.
Un Caucase du Sud affranchi des ingérences extérieures connaîtrait une stabilité et une prospérité sans précédent. L’accord de paix à venir pourrait constituer une solution juridique définitive à la question territoriale turco-arménienne.
La diaspora et l’Église ne pourront rester indifférentes à cette évolution. Mais pour les contrer, des approches et des stratégies adaptées seront nécessaires.