Cinq nouvelles, autant de coups de poing : je suis estomaquée, émue aux larmes, en un mot époustouflée par la puissance d’évocation qui surgit de la plume d’Asli ERDOGAN.
Les personnages, comme l’auteur, sont d’origine turque et exilés en Europe. La première à nous faire partager son aventure est Filiz, une réfugiée politique. En convalescence dans un sanatorium de Suisse, elle participe à une excursion au but mystérieux, qui rendra un sens inattendu à son existence.
Puis, c’est un veuf exilé en Suisse qui nous entraîne à sa suite. Fuyant la douleur de la perte de sa femme, il accomplit un voyage de mémoire dans les rues d’Istanbul.
Ce périple nous ramène en Turquie, où une femme enceinte meuble l’attente à la terrasse d’un café. Solitaire et fragile, elle tue les heures jusqu’à l’instant où elle apercevra son amant incarcéré.
Mais c’est à une schizophrène que la liberté sera rendue. À sa sortie de l’asile, elle devient malgré elle le centre d’un évènement politique médiatisé, qu’elle nous présente comme une farce burlesque.
Le recueil s’achève sur le récit d’une femme seule, exilée misérable dans un pays nordique, à qui un mort rend visite.
Ce qui frappe dans ce recueil, c’est la solitude de celui qui a perdu tout amour, face à l’hostilité du monde. L’univers évoqué par Asli ERDOGAN est froid et rugueux. Indifférent à la douleur des hommes, c’est un théâtre absurde où des tragédiens fatigués s’époumonent devant un parterre vide.
L’exil et la nostalgie de la patrie, du foyer, ponctuent les récits comme un refrain. Les personnages sont hantés par le souvenir de ce qu’ils ont laissé derrière eux, un âge d’or que leur misère actuelle exacerbe.
D’un style souvent élégiaque, l’écriture ne tombe pourtant pas dans la mièvrerie ni la complaisance et tisse un récit d’une finesse arachnéenne.
La sensation d’emprisonnement et le désir de liberté scandent les moments de vie relatés avec cette sensibilité d’écorchée, comme un hymne désespéré à la gloire des vaincus. La garde meurt, mais ne se rend pas.