100e anniverssaire de la république de Turquie

Dialogue turco-arménien

Le dialogue turco-arménien en France, entre disette et espoir.

On pensait le dialogue turco-arménien écorché par la haine des extrémistes arméniens. Souvenez-vous de ces images terribles, en 2009, juste après la signature des protocoles turco-arméniens, où le président d’Arménie, Serge Sarkissian, en visite en France, était traité de « traître » par les extrémistes venus cracher leur haine atavique du Turc et leur refus catégorique de paix avec la Turquie.

Or, depuis, il y a eu quelques avancées dans les milieux universitaires comme avec la plateforme de Vienne. Pourtant, le dialogue, notamment dans notre pays en France, entre Français d’origine turque et Français d’origine arménienne a laissé la place à une vacuité incommensurable.
Certes, les plateaux de télévision réunissent parfois des Arméniens et des Turcs mais ces « Turcs » choisis volontairement pour leur alignement sur le conformisme ne servent en fait que de « faire-valoir ». Ils font acte de présence afin de valider les accusations arméniennes. Bref, une réunion d’inanité, factice, fade et particulièrement stérile qui ne trompe personne.

Pourtant, mardi 20 mars 2012 à 21h, l’émission « Politika » de la modeste radio lyonnaise « Made in Turkey » a consacré, avec courage et humilité, sa première partie au dialogue turco-arménien.
Son invité était une figure de la communauté arménienne de Marseille, Fabrice KEHAYAN qui a signé un article dans Libération : « Les Turcs ne sont pas mes ennemis ! », le 7 mars dernier.

Vous pouvez écouter cet échange :

J’ai apprécié que ce dialogue ait été marqué par un grand réalisme, et par la dignité des deux protagonistes. Leur échange était très représentatif de l’esprit qui règne au sein de leur communauté respectif. En effet, il était parfaitement illusoire d’espérer que l’invité arménien réfute (...)


Editos & Tribune libre

Quand un Franco-Turc et un Franco-Arménien discutent avec franchise et respect...

Publié le | par Ali Bal | Nombre de visite 2340

Le dialogue turco-arménien en France, entre disette et espoir.

On pensait le dialogue turco-arménien écorché par la haine des extrémistes arméniens. Souvenez-vous de ces images terribles, en 2009, juste après la signature des protocoles turco-arméniens, où le président d’Arménie, Serge Sarkissian, en visite en France, était traité de « traître » par les extrémistes venus cracher leur haine atavique du Turc et leur refus catégorique de paix avec la Turquie.

Or, depuis, il y a eu quelques avancées dans les milieux universitaires comme avec la plateforme de Vienne. Pourtant, le dialogue, notamment dans notre pays en France, entre Français d’origine turque et Français d’origine arménienne a laissé la place à une vacuité incommensurable.
Certes, les plateaux de télévision réunissent parfois des Arméniens et des Turcs mais ces « Turcs » choisis volontairement pour leur alignement sur le conformisme ne servent en fait que de « faire-valoir ». Ils font acte de présence afin de valider les accusations arméniennes. Bref, une réunion d’inanité, factice, fade et particulièrement stérile qui ne trompe personne.

Pourtant, mardi 20 mars 2012 à 21h, l’émission « Politika » de la modeste radio lyonnaise « Made in Turkey » a consacré, avec courage et humilité, sa première partie au dialogue turco-arménien.
Son invité était une figure de la communauté arménienne de Marseille, Fabrice KEHAYAN qui a signé un article dans Libération : « Les Turcs ne sont pas mes ennemis ! », le 7 mars dernier.

Vous pouvez écouter cet échange :

J’ai apprécié que ce dialogue ait été marqué par un grand réalisme, et par la dignité des deux protagonistes. Leur échange était très représentatif de l’esprit qui règne au sein de leur communauté respectif. En effet, il était parfaitement illusoire d’espérer que l’invité arménien réfute la thèse du génocide. De la même façon, il était tout autant illusoire d’attendre que l’animateur turc adhère à l’accusation de génocide. D’ailleurs, ce dernier a posé d’emblée le cadre de l’échange en parlant de « divergences certaines au cours de l’interview » mais d’un « dialogue dans un cadre de respect et de franchise ».
Et leur dialogue a respecté ce cadre prédéfini, chacun expliquant ses opinions dans le respect de l’autre.

Ça faisait bien longtemps qu’un Arménien et un Turc ne s’étaient parlés, en public, aussi franchement, aussi sincèrement, aussi ouvertement, aussi dignement. La rareté de l’évènement rivalisait avec sa qualité.

L’échange, organisé par la radio franco-turque : « Made in Turkey », avait le mérite de battre allégrement en brèche le politiquement correct imposé à notre société et de donner la parole en toute liberté à deux individus de la société civile qui veulent dialoguer sans tabous sur un différend historique qui touche à leurs origines. Mieux, l’invité arménien et l’animateur turc ont non seulement discuté de la question du génocide mais ils ont parlé de la réconciliation turco-arménienne.

Notons quelques moments forts lors de cet échange courtois mais franc.

 L’animateur franco-turc citant l’article de son invité franco-arménien : « seule la version officielle de l’histoire de la Turquie conteste le génocide » a fait remarquer que deux autres pays : la Grande-Bretagne et Israël récusaient le qualificatif génocide. Monsieur Kehayan a acquiescé avec honnêteté.

 Plus tard, lorsque Monsieur Kehayan a affirmé à plusieurs reprises que « l’ONU avait reconnu le génocide arménien », l’animateur turc l’a corrigé en expliquant que le Britannique Whitaker n’avait fait que déposer un rapport à la sous-commission des Droits de l’homme de l’ONU en 1985. Que cette dernière ne l’avait jamais avalisé, ni transmis à l’instance supérieure, l’Assemblé générale de l’Organisation internationale. Que dès lors, l’ONU n’avait jamais reconnu « le génocide des Arméniens » contrairement à l’affirmation de Monsieur Kehayan. Celui-ci a dit connaître ces faits mais que pour lui, le mot « génocide » figurait sur un rapport de l’ONU et que « ça suffisait », évoquant parallèlement une « volonté de ne pas heurter la Turquie ». Explication sibylline.

 Ensuite, l’animateur franco-turc a souligné que la position de la Turquie se fondait sur les travaux d’historiens respectables et émérites citant les Français Gilles Veinstein et Jean-Paul Roux et les américains Guenter Lewy et Edward Erickson. Monsieur Kehayan a avoué « ne pas douter de la probité de ces historiens » mais qu’il y avait d’autres historiens qui pensaient le contraire et que donc, pour lui, il n’y avait pas de « débat » et que le « génocide ne faisait pas de doute » rappelant son histoire personnelle.

Subséquemment, l’animateur a orienté l’échange vers le dialogue turco-arménien et rappelé la proposition faite par la Turquie, en 2005, à l’Arménie de Monsieur Kotcharian de créer une commission mixte d’historiens, dont Ankara acceptait par avance toutes les conclusions. Monsieur Kehayan s’est réjoui d’une telle idée et a même enchéri : « Les historiens, qui sont des scientifiques de l’Histoire, qui travaillent ensemble pour qualifier un évènement historique me semble être sinon une bonne démarche, j’ai presque envie de dire la seule bonne vraie démarche » puis les deux interlocuteurs ont convergé sur la nécessité qu’une telle « démarche soit pilotée par une instance internationale telle l’ONU ».

Ils ont ensuite évoqué et regretté l’échec des protocoles signés en septembre 2009 entre l’Arménie et la Turquie suite à la diplomatie du football. Lorsque l’animateur turc a rappelé : « la Cour constitutionnelle arménienne a décidé, en 2010, que les protocoles ne pouvaient pas s’interpréter comme remettant en cause l’article de la Constitution arménienne faisant référence au « génocide » prétendument commis en « Arménie occidentale », ce qui revenait à remettre en cause le principe d’une commission d’historiens. », Monsieur Kehayan, tout en exprimant son regret, a soutenu qu’il fallait « faire avec » rappelant les souffrances des Arméniens.
L’animateur a, lui aussi, précisé que du côté turc également il y avait de nombreuses souffrances même si elles n’étaient « pas transmises de génération en génération », que de nombreuses familles turques avaient été ravagées lors de la Première Guerre mondiale.

Puis, ils ont enchainé sur la « plateforme de Vienne » qui réunit depuis 2004 des historiens turcs et arméniens.

Autre moment remarqué, lorsque l’animateur de « Politika » a interrogé Monsieur Kehayan sur la manière d’isoler les extrémistes qui empêchent la réconciliation turco-arménienne, en citant les propos turcophobes de Mourad Papazian, le co-président du Parti Dachnaktsoutioun Europe occidentale, tenus le 24 avril 2006 :
« Chers compatriotes, contre la Turquie, nous allons continuer à nous organiser. Nous organiser pour mieux nous mobiliser. Nous mobiliser pour mieux atteindre nos objectifs. Mieux atteindre nos objectifs pour gagner. Non seulement pour la reconnaissance du génocide mais aussi pour l’édification d’une Arménie libre, indépendante et réunifiée pour que tous ensemble, nous puissions reprendre possession de Van, Mouch, Kars, Bitlis et Erzeroum. » . En somme, les provinces de l’Est de la Turquie » puis l’animateur a enchérit : « C’est le même Mourad Papazian qui dans son intervention du 2 février dernier sur la Radio arménienne AYP FM, a traité les parlementaires ayant signé la saisine du Conseil constitutionnel de « salopards », trois fois en l’espace de quelques secondes. »
Monsieur Kehayan, visiblement gêné, a convenu : « Bon d’accord mais pourquoi vous vous focalisez sur lui, il y a aussi des gens qui coopèrent ensemble (…) Papazian aujourd’hui n’est pas le déterminant de l’Arménie et de la diaspora dans le monde ».

Question pertinente de l’animateur : « Comment isoler les extrémistes de chaque côté pour que vous, le Français d’origine arménienne, et moi, le Français d’origine turque, nous puissions avancer ensemble ? ».
Réponse de Monsieur Kehayan : « Les extrémistes sont là, il faut faire avec. Par contre, demain, vous et moi, on monte une association, on se met à 10 et on invente que une fois par an, je vais en Turquie et que une fois par an, vous allez en Arménie, et après-demain, on sera 18, et après-après-demain, on sera 295, et on construit quelque chose sur cette base là. Vous allez apprendre un peu de moi, je vais apprendre un peu de vous (…) et s’il y a des gens pour dire que ce que l’on fait à 2 est scandaleux, dangereux, malsain,… mais qu’ils le disent quoi, on ne peut pas s’arrêter à chaque propos intolérables ».

Tout en acquiesçant l’idée de son invité, l’animateur turc signale alors son incompréhension et son effarement devant la commémoration des « cinq terroristes de Lisbonne » par la Maison de la culture arménienne de Décines-Charpieu et les propos racistes de Laurent Leylekian, le directeur de la publication du magazine « France-Arménie », sur les Turcs : « Alors oui, les ‘maudits Turcs’ restent coupables ; ils restent tous coupables quelle que soient leur bonne volonté, leurs intentions ou leurs actions. Tous, de l’enfant qui vient de naître au vieillard qui va mourir, l’islamiste comme le kémaliste, celui de Sivas comme celui de Konya, le croyant comme l’athée. Aussi irrémédiablement coupables que Caïn ».
Et l’animateur de conclure : « On comprend la douleur vécue par les Arméniens mais cela ne doit pas engendrer du racisme anti-turc  ».
Fabrice Kehayan, visiblement sans mot, soutient de façon elliptique : « On n’est pas obligé de voir que cela ».

Monsieur Kehayan a précisé avec raison qu’il y avait beaucoup plus d’Arméniens modérés que l’on pouvait le penser et que même si de nombreux Arméniens n’étaient pas encore prêts à collaborer avec des Turcs, il existait aussi des Arméniens qui étaient prêts à le faire :
« Moi, demain, je suis prêt à coopérer avec vous pour faire une fête, une fête où on partagerait par exemple des dolmas et des sarmas ensemble. Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas beaucoup de gens qui ne sont pas prêts à coopérer ensemble, qu’il n’y en a pas. »
Et l’animateur franco-turc de questionner : « Mais où va-t-on trouver les Arméniens qui sont prêts à travailler avec nous ? ».
Son invité a riposté : « Vous en avez un en face de vous, si moi j’existe, des tas d’autres existent. Même si on est peu nombreux, il faut faire avec ce peu nombreux et l’Histoire a montré que les minorités peuvent devenir majoritaires ».
L’animateur a convergé : « Il ne reste plus qu’à espérer que la voix des modérés arméniens devienne majoritaire et que celle des extrémistes ne pèse pas dans les échanges entre les deux parties, c’est tout le mal que nous nous souhaitons ».
Fabrice Kehayan a confirmé : « Oui, oui, oui, moi je partage ça. Je suis content de cet échange même s’il montre les difficultés, moi, je suis prêt à coopérer pour le rapprochement. Donc je vous remercie de m’avoir interviewé ce soir  ».

« Merci à vous de cet échange qui s’est inscrit dans le respect et la franchise comme nous l’espérions. Effectivement, il y a une divergence de fond sur le mot « génocide », encore une fois ce n’est ni la douleur, ni les massacres qui sont niés mais la qualification de génocide, la préméditation qui est contestée par les historiens. Sur tout le reste, on doit construire des choses ensemble, on ne cherche qu’à trouver des partenaires, des voix modérées comme vous. En tous cas, nous ouvrons nos bras, on a vraiment besoin d’échanger, de dialoguer, tout en se disant franchement les choses car c’est ainsi que l’on avance, dans le respect et l’honnêteté. » a réitéré l’animateur franco-turc.

Il n’est pas étonnant qu’aucun média arménien n’ait donné une place à cet échange, certes modeste mais très précieux car très franc et représentatif.
Dommage que la presse nationaliste arménienne de France préfère privilégier les dissensions, les divergences, les rancœurs plutôt que le dialogue et la paix.

Je terminerai pour ma part en empruntant ces mots de bon sens de Monsieur Fabrice Kehayan : « Même si les initiatives de rapprochement sont des petites initiatives en mettant un zoom dessus on peut les rendre grandes ».
C’est ce que l’auteur de cet article a essayé de faire ici.


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