« Les Kurdes nous ont dit "sortez, courez !" » : le témoignage de djihadistes français
Prises sous le feu de l’armée turque, les forces kurdes ouvrent les portes des camps de prisonniers djihadistes. Témoignages recueillis par deux journalistes qui les avaient suivis dans le cadre d’un livre.
Le camp d’Aïn Issa en Syrie, le 26 septembre. Selon nos informations, 10 Françaises et leurs enfants ont pu en sortir dimanche 13 octobre.
Dix Françaises, membres de l’organisation Etat islamique (EI), sont libres en Syrie, après avoir pu sortir du camp d’Aïn Issa, à 50 km au nord de Raqqa. Selon nos informations, les forces kurdes, qui les détenaient, ne pouvaient plus les garder.
Ces dix Françaises et leurs 25 enfants ont été sortis du camp, dimanche 13 octobre au matin, alors que l’armée turque prenait pour cible Aïn Issa, ville sous contrôle kurde dans le nord de la Syrie. Dans l’incapacité de gérer ces centaines de femmes djihadistes étrangères retenues dans cette prison, les gardes kurdes ont quitté les lieux, les laissant libres.
Comme les autres, les dix Françaises sont donc sorties dans la précipitation avec leurs enfants. Toutes sont connues des services de renseignement et sont sous le coup d’un mandat international pour avoir rejoint Daech.
« On cherche de l’aide »
Dans la confusion, l’une d’elles nous a envoyé ce message, via les réseaux sociaux : « Les Kurdes nous ont dit tout d’un coup Sortez, courez !. Nous, on n’a rien compris. Après, les Kurdes sont tous partis, il ne restait plus que des civils. » Une autre poursuit : « Ils nous ont ouvert les portes, puis ils ont brûlé les tentes où on vivait. »
Des sources locales expliquent avoir été contraintes de laisser partir ces femmes djihadistes au vu du chaos régnant autour du camp d’Aïn Issa.
Lundi matin, Sofia (tous les prénoms ont été modifiés), l’une de ces Françaises désormais libres, nous écrit : « Les civils pour le moment nous aident, la France ne veut pas nous rapatrier. Les Kurdes vont nous livrer au régime de Bachar al-Assad. On cherche de l’aide ». Le message ne précise pas de qui elle attend cette aide.
Divisées en plusieurs groupes, sans argent, la plupart de ces familles françaises seraient restées dans la zone d’Aïn Issa, selon nos informations. Pour combien de temps ? Parmi ces dix Françaises de l’Etat islamique, certaines se sont rendues aux forces arabo-kurdes après la chute de Raqqa en octobre 2017.
Après avoir passé trois années au cœur de l’organisation terroriste, Cécile espérait un rapatriement avec son fils de 2 ans. D’autres femmes, toujours convaincues par l’idéologie mortifère de l’organisation terroriste, avaient fait le choix de rester jusqu’à la fin de Daech. Elles ont été arrêtées en mars 2019 et transférées à Aïn Issa. L’une d’elles est la sœur d’un Français condamné à mort en Irak en juin dernier.
« Je préfère rester ici »
Certaines des Françaises échappées dimanche attendaient clairement cette libération pour rester en Syrie dans l’attente d’un retour des djihadistes. « Rentrer en France pour prendre 20 ans de prison non merci, je préfère rester ici », nous écrivait Chloé il y a quelques mois.
Cette jeune femme, comme d’autres, espérait pouvoir rejoindre la zone d’Idlib, dans l’ouest du pays, où d’autres Français de l’Etat islamique se cachent depuis plusieurs mois. Pour y parvenir, ces femmes auront besoin du soutien des cellules dormantes de l’Etat islamique, toujours très actives dans la zone d’Aïn Issa et Raqqa, l’ancienne « capitale » de l’organisation terroriste.
Depuis plusieurs semaines, la propagande de l’EI, qui n’a jamais stoppé la diffusion de ses messages, s’est focalisée sur la situation des femmes djihadistes en lançant des appels à les libérer.
Une centaine de Françaises et leurs enfants sont encore détenus dans les deux autres camps de déplacés gérés par les Kurdes. Le même scénario risque-t-il de se reproduire lorsque les combats se rapprocheront de ces zones ? Contacté, le ministère français des Affaires étrangères explique « suivre très attentivement la situation sur le terrain ».
Source : Le Parisien