Je vous propose la traduction d’un article du chroniqueur Yılmaz Özdil publié par le quotidien turc Sözcü en date d’aujourd’hui.
Personnellement, je ne peux que déplorer l’attitude du président de la Grande Assemblée Nationale de Turquie, Ismail Kahraman qui divise la population turque avec ses propos et actions anti-républicaines. Ainsi, après avoir exprimé publiquement son voeu de voir le principe de laïcité disparaitre avec la nouvelle Constitution turque qu’il veut religieuse, voilà qu’il s’en prend à Atatürk, le fondateur de la République dans un élan de nostalgie d’une époque révolue. Pourtant, le président Recep Tayyip Erdoğan s’était distancié de la déclaration d’Ismail Kahraman s’exprimant lors d’une visite dans les Balkans. En outre, on se souvient que le président Erdoğan avait défendu et suggéré la laïcité à l’Egypte et à la Tunisie après leur « révolution ».
ISMAIL KAHRAMAN, ATATÜRK & ABDÜLHAMID
ISMAIL KAHRAMAN, ATATÜRK & ABDÜLHAMID
Par Özcan Türk
Je vous propose la traduction d’un article du chroniqueur Yılmaz Özdil publié par le quotidien turc Sözcü en date d’aujourd’hui.
Personnellement, je ne peux que déplorer l’attitude du président de la Grande Assemblée Nationale de Turquie, Ismail Kahraman qui divise la population turque avec ses propos et actions anti-républicaines. Ainsi, après avoir exprimé publiquement son voeu de voir le principe de laïcité disparaitre avec la nouvelle Constitution turque qu’il veut religieuse, voilà qu’il s’en prend à Atatürk, le fondateur de la République dans un élan de nostalgie d’une époque révolue. Pourtant, le président Recep Tayyip Erdoğan s’était distancié de la déclaration d’Ismail Kahraman s’exprimant lors d’une visite dans les Balkans. En outre, on se souvient que le président Erdoğan avait défendu et suggéré la laïcité à l’Egypte et à la Tunisie après leur « révolution ».
Cet article apporte un éclairage sur des réalités historiques peu connues et qui peuvent paraître surprenantes à certains.
Dans tous les cas, des animosités comme celles d’Ismail Kahraman sont néfastes à l’unité du peuple turc. Elles n’aident en rien les Turcs à préserver leur cohésion et à assumer leur histoire, toute leur histoire, celle qui les a menés des steppes d’Asie centrale jusqu’à l’Anatolie. Le rôle du président de la Grande Assemblée Nationale de Turquie, qui est le second dans l’ordre du protocole d’Etat, est crucial ; au lieu de diviser, il doit œuvrer pour l’unité de la nation !
TRADUCTION :
Yılmaz Özdil
Le président de la Grande Assemblée Nationale de Turquie, Ismail Kahraman, a fait évacuer dans le dépôt d’archives le portrait d’Atatürk en uniforme de maréchal. Il a ensuite organisé un symposium au Palais de Dolmabahçe en hommage au sultan Abdülhamid II. Ismail Kahraman y a déclaré : « Qu’il est triste que notre héritage historique et culturel soit à ce point méconnu, notamment par les jeunes. On le leur fait oublier. Nous avons une dette de gratitude envers notre souverain Abdülhamid. ».
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Je suis bien de son avis.
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Par exemple, la première usine de production de « rakı » sur ces terres a été construite durant le règne d’Abdülhamid II. Personnellement, sur ce point, je considère avoir une énorme dette morale envers Abdülhamid.
Monsieur Ismail Kahraman qui se considère probablement comme un néo-ottoman pense que la boisson alcoolisée nationale, le Rakı, a été inventée le 19 mai 1919 quand Atatürk a lancé la guerre d’Indépendance, mais non.
La première fabrique de rakı a été édifiée 22 ans avant la proclamation de la République. De plus, l’usine a été construite à Terkidağ par Sarıcazade Ragıp Pasha en personne, le grand chambellan d’Abdülhamid II. Evidemment, la construction a été réalisée à la demande du padichah Abdülhamid et après l’accord de son Cheikh al-Islam. Les marques les plus populaires de l’époque étaient « Deniz Kızı Rakısı » (Le rakı de la sirène) et « Üzüm Kızı Rakısı » (Le rakı de la fille aux raisins). La véritable appellation du « rakı de la sirène » était « rakı de Tenedos » mais comme une sublime sirène trônait sur les étiquettes des bouteilles de rakı, la population l’a rebaptisé « rakı de la sirène ». D’ailleurs, sur toutes les bouteilles de rakı produites durant la période du sultan Abdülhamid II, on affichait des images de jeunes femmes.
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Et qu’en est-il de la première fabrique de bière sur notre territoire ? C’est encore sous le règne d’Abdülhamid II qu’elle a vu le jour. Sincèrement, comment peut-on alors ne pas ressentir un profond sentiment de gratitude et de dette morale ?
Certains accusent les fondateurs de la République d’être « des ivrognes » mais durant la période du padichah Abdülhamid II, 10 millions de litres de bière étaient consommées. La République a dû attendre jusqu’en 1940 pour atteindre une telle quantité. Avant que la première usine de bière n’apparaisse, c’est non sans fierté que je fais remarquer l’ouverture de la première brasserie à Izmir par les Ottomans. L’autorisation impériale de cette brasserie a été accordée par le sultan Abdlülmecid, le père d’Abdülhamid II.
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La première production industrielle de mousseux « champagne » a également vu le jour sous Abdülhamid II. On dispose d’un acte très officiel marqué du sceau impérial montrant l’accord du sultan Abdülhamid.
Abdülhamid II a donné son accord à la première usine de mousseux « champagne » 30 ans avant la proclamation de la République turque dont les élites sont iniquement accusées de cette production. L’usine a été construite par les frères Alatini, deux Ottomans de confession juive. Sa majesté impériale le sultan Abdülhamid II a décoré, pas une, ni deux mais trois fois les frères Alatini, de ses propres mains, de l’Ordre du Médjidié (Ordre de mérite qui porte le nom de son fondateur Abdülmecit Ier). Le sultan était si intime avec les deux frères juifs que lorsqu’il a été destitué et exilé à Salonique, Abdülhamit a vécu, durant 3 ans, dans un palais appartenant à la famille Alatini.
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Sa majesté Abdülhamid a certes autorisé la création des usines de rakı, bière et mousseux mais lui préférait boire du rhum. C’est le prince Osman Ertuğrul, petit-fils du sultan Abdulhamid II qui l’a raconté lors d’une interview à la télévision : « Mon grand-père buvait du rhum. Il expliquait à mon père : regarde, moi je bois cette boisson qui n’est pas interdite. Lis le Coran, il est question de vin, il n’y a aucune référence à des boissons fabriquées à base de sucre. »
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Le sultan Abdülhamid « fumait comme un Turc » pour employer une expression française… il avait à peine éteint une cigarette qu’il en rallumait une autre. D’ailleurs, il y avait à la cour, des maîtres cigarettiers chargés de rouler le tabac et lui confectionner des cigarettes. Les filles du souverain précisent dans leurs mémoires que le sultan avait fait mettre d’abord les paquets de cigarettes dans les valises avant leur départ en exil.
Abdülhamit II était un aficionado des cigarettes américaines Ateshian fabriquées avec du tabac turc. Ces cigarettes produites à Chicago étaient vendues non seulement à New York, Boston ou San Francisco mais aussi à Istanbul et au Caire. D’ailleurs, l’entreprise Ateshian, dans ses campagnes publicitaires des années 1900, utilisait le slogan : « La cigarette que fume sa majesté impériale Abdülhamid II, sultan de Turquie ». Sur les affiches apparait une femme sexy en train de fumer dans un harem, en tenue orientale, avec les cheveux, le torse et le nombril non couverts. Le paquet était vendu à 25 cents.
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Un élément des plus importants de l’héritage historique et culturel du sultan Abdülhamit II est le lupanar.
Naturellement, la prostitution existait bien avant mais pour éviter sa propagation dans toute la ville et pour pouvoir la contrôler, le sultan a permis que cette réalité existe dans un établissement commercial. Auparavant, il y avait des lieux comme Chez Acem, Chez Alaycı Kadri, Chez Keseci Hürmüz, Chez Langa Fatma. La police, en contrepartie d’un petit pot-de-vin, fermait les yeux. Le padischah a mis fin à ce désordre. Il a fait officiellement ouvrir au service public la rue Zürefa dans le quartier de Karaköy à Istanbul. De nos jours, certains pensent qu’il s’agit d’un animal et ils l’appellent la rue Zürafa (girafe) alors que le mot est zürefa, avec un e. C’est un terme ottoman qui signifie lesbienne. Je sais que certains individus qui se considèrent conservateurs vont avoir des difficultés à le croire mais la culture institutionnalisée du bordel, nous la devons à Abdülhamid.
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Ah oui, au passage…
Il a forcé des milliers de patriotes à l’exil au Fezzan, une région désertique du Sud-Ouest de la Libye ainsi qu’au Yémen. Il en a fait étouffer d’autres dans des cachots, il en a fait baver durant 33 ans avec les rapports de ses espions. Durant son règne, nous avons perdu l’Egypte, la Tunisie, Chypre, la Serbie, le Monténégro, la Roumanie, soit au total 1,5 millions de kilomètres carrés de territoires. Les historiens sauront vous éclairer plus en détails.
Pour ma part, afin de lui payer ma dette de gratitude, je me permets de rappeler ses actions « bénéfiques ».
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En conséquence, je souhaite sincèrement féliciter Ismail Kahraman qui tente de faire briller Abdülhamit II en déclarant : « Nos jeunes ne connaissent pas notre héritage historique et culturel, nous avons une dette de gratitude envers notre souverain Abdülhamid. ».
Si lors du symposium organisé à l’occasion de l’anniversaire de notre padichah, vous pouviez convier des escort girls et servir du champagne et du rhum, ce serait parfait. Et, même moi, je m’y déplacerais pour lever mon verre.
Yılmaz Özdil
Source de l’article original en turc : http://www.sozcu.com.tr/2016/yazarlar/yilmaz-ozdil/abdulhamid-1404040/