HEREROS : Le premier génocide du 20ème siècle
Il y a un peu plus de cent ans, le 2 octobre 1904, un ordre écrit du général allemand von Trotha ordonnait l’extermination d’un peuple de Namibie, les Hereros. Ainsi commençait le premier génocide du XXe siècle qui causera, entre 1904 et 1907, l’anéantissement d’environ 80 000 Hereros soit 80% de la population. Il annonçait par ses méthodes celui des Juifs par Hitler.

Le génocide des Hereros par les Allemands n’est malheureusement pas connu de l’opinion commune, il est même occulté par certains groupes.
Et pourtant, il est bel et bien le premier génocide du 20ème siècle. En outre, par ses méthodes (camps de concentration) et par ses motivations (racistes), il annonçait le génocide des Juifs lors de la Seconde guerre mondiale.
LE CONTEXTE HISTORIQUE
De 1880 à 1915, l’Allemagne a administré la Namibie, alors appelée « l’Allemagne de l’Afrique du Sud ». Au cours de cette colonisation, la pérennité des divers abus que sont les vols des terres, du bétail, des femmes, et le lynchage permanent des hommes Hereros par le colon allemand finissent par lasser le peuple bafoué.
L’exaspération atteint son comble le 12 janvier 1904. Ce jour-là, des guerriers Hereros menés par leur chef Samuel Maharero se révoltent contre les colonisateurs allemands.
La réponse de l’occupant ne se fait pas attendre puisque les Allemands déclenchent alors des massacres de masse qui inclueront tous les éléments constitutifs d’un génocide, le premier du 20è siècle.
VON TROTHA MÈNE UNE GUERRE D’EXTERMINATION
A l’époque, le nationalisme allemand atteint un faîte. Or, ce nationalisme est basé sur la communauté de sol et de sang. La guerre contre les Hereros devient alors une guerre essentiellement raciale : l’objectif n’est pas de soumettre économiquement l’ennemi pour l’exploiter mais tout simplement de l’éliminer.
L’Allemagne du Kaiser Guillaume II rappelle au service un adepte des méthodes musclées expérimentées en Chine et dans l’Est Africain allemand, le général Lothar Von Trotha en lieu et place du Major Leutwein jugé trop faible.
Lothar von Trotha va mener une véritable guerre d’extermination. Le 11 août 1904, à la bataille de Hamakari, ce ne sont pas seulement entre cinq et six mille combattants hereros qui sont exterminés, mais aussi vingt à trente mille civils.
Le 2 octobre 1904, von Trotha rédige un ordre d’extermination en ces termes :
« Moi, le général des troupes allemandes, adresse cette lettre au peuple herero. Les Hereros ne sont plus dorénavant des sujets allemands. Ils ont tué, volé, coupé des nez, des oreilles, et d’autres parties de soldats blessés […]. Je dis au peuple : quiconque nous livre un Herero recevra 1 000 marks. Celui qui me livrera Samuel Maherero [le chef de la révolte] recevra 5 000 marks. Tous les Hereros doivent quitter le pays. S’ils ne le font pas, je les y forcerai avec mes grands canons. Tout Herero découvert dans les limites du territoire allemand, armé comme désarmé, avec ou sans bétail, sera abattu. Je n’accepte aucune femme ou enfant. Ils doivent partir ou mourir. Telle est ma décision pour le peuple Herero. »
Aucun compromis n’est donc possible.
Les Hereros, décimés, n’ont d’autre choix que de fuir dans le désert du Kalahari. Là, leurs chances de survie sont minces car les Allemands ont empoisonné les principaux puits. À la saison des pluies, les patrouilles allemandes découvrent des squelettes autour de trous secs de douze à seize mètres de profondeur que les Hereros avaient creusé en vain pour trouver de l’eau. Trente mille Hereros sont morts.
Pendant près de trois ans, une répression systématique et aveugle est exercée : d’exécutions sommaires en pendaisons, d’enfants passés par la baïonnette en corps des suppliciés laissés en exemple.
Au total, on estime à 80 000 sur 100 000 Hereros le nombre des victimes.
UN GENOCIDE
Ces massacres de masse répondent à la définition d’un génocide. Le 2 octobre, c’est bien un « ordre d’extermination » qui est rédigé. Surtout, von Trotha adresse le 4 octobre 1904 au chef d’état-major de l’armée allemande un courrier très explicite : « La nation herero devait être soit exterminée ou, dans l’hypothèse d’une impossibilité militaire, expulsée du territoire. […] J’ai donné l’ordre d’exécuter les prisonniers, de renvoyer les femmes et les enfants dans le désert. […] Le soulèvement est et reste le début d’une guerre raciale. »
Pour mémoire voici la définition officielle : "Un génocide est l’extermination physique, intentionnelle, systématique et programmée d’un groupe ou d’une partie d’un groupe en raison de ses origines ethniques, religieuses ou sociales."
Aussi, tous les éléments constitutifs d’un génocide sont donc réunis :
– une volonté politique délibérée menée avec l’accord de l’empereur Guillaume II.
– une organisation « rationnelle » et planifiée du massacre. Une documentation disponible en archives, par le biais des comptes-rendus détaillés des opérations, rédigés par von Trotha et ses subordonnés.
– des critères raciaux ou ethniques choisis : éliminer les Hereros pour libérer les terres pour les colons allemands et empêcher les mélanges raciaux.
– un nombre massif de victimes, civiles pour l’essentiel, avec femmes et enfants. Au total, on estime à 80 000 le nombre des victimes dont au moins 25 000 morts directes.
Notons aussi la différence colossale de puissance militaire entre les deux parties en présence : les mitrailleuses d’un côté, les armes de jet de l’autre.
Pourtant, les malheurs du peuple herero ne sont pas finis.
DES CAMPS DE CONCENTRATION
L’Allemagne s’engage alors en effet dans une politique d’esclavage. Désormais, tout Herero pris ne sera plus abattu mais réduit aux travaux forcés et marqué des lettres G.H. (Gefangene Herero, « Herero pris »).
Les survivants sont regroupés dans des camps de concentration. Les camps de concentration en eux-mêmes ne sont pas une nouveauté (les Espagnols et les Anglais en avaient déjà mis au point). Mais c’est la première fois qu’ils sont liés aux travaux forcés. Et c’est aussi la première fois qu’ils n’apparaissent pas dans un contexte militaire.
Ces camps de concentration sont caractérisés par une forte mortalité. Ainsi, la première année, le taux de mortalité dépasse les 50 % des Hereros internés. C’est-à-dire que 7 862 personnes sont mortes.
Les Hereros y subissent viols, coups de fouet, insultes. Les prisonniers sont déclarés « aptes » ou « non aptes ». On y pratique des expérimentations médicales. Tous ces éléments poussent à faire le parallèle avec les camps nazis.
En août 1906, suite à la pression de l’opposition parlementaire, les camps de concentration sont démantelés. Les survivants sont alors dispersés dans des fermes. Ils doivent porter au cou un disque de métal sur lequel est inscrit leur numéro de matricule.
LES HEREROS : TERRAIN D’APPRENTISSAGE AU GENOCIDE JUIF
Le Sud-Ouest Africain et l’expérience Héréro ont, en sus, contribué à la confortation de l’idéologie allemande de la supériorité raciale qui alimentera le génocide juif. En 1923, emprisonné à la forteresse de Landsberg, Hitler s’en inspirera pour écrire son funeste Mein kampf obsédé par un délire exterminationniste.
Le génocide Héréro fournissait donc une idéologie racialiste éprouvée, des pratiques d’extermination et un système concentrationnaire bureaucratisé, inédit et abominable. Les Héréros ont été les victimes du premier génocide du 20ème siècle, et ont ainsi servi, à leur insu, de terrain d’apprentissage d’une horreur qui se développerait à plus grande échelle, le nazisme.
Avec Le Webzine de l’Histoire et les références ci-dessous.
Références :
– A lire : Joël KOTEK, « Afrique : le génocide oublié des Hereros », in L’Histoire, n° 261, janvier 2002, pp. 88-92.
– Consulter le site web : Le blog de Daniel Giacobi
– Voir le Film "Les Héréros, le génocide oublié" de Tristan Mendès France