Hervé Gattegno, rédacteur en chef au "Point", intervient sur les ondes de RMC du lundi au vendredi à 8 h 20 pour sa chronique politique "Le parti pris".
Par Hervé Gattegno
L’Assemblée examine aujourd’hui la proposition de loi de la députée UMP Valérie Boyer qui fait de la négation du génocide arménien un délit pénal. Les autorités turques dénoncent une agression et, en France, ce texte relance le débat sur les rapports entre histoire et politique. Votre parti pris : non à la vision communautariste de l’histoire. Que voulez-vous dire ?
La décision que nos députés s’apprêtent à prendre est contestable pour plusieurs raisons. D’abord, elle crée un délit d’opinion - au sens propre - et la démocratie n’a rien à gagner à brider les débats, à faire taire les dissidents. Le génocide arménien a existé, il est historiquement établi ; il n’a pas besoin d’être politiquement proclamé. La France a tenu, en 2001, à le faire quand même : nous avons une loi qui dit que ce génocide a bien existé. On pouvait déjà se demander pourquoi. Maintenant, ce qui est proposé, c’est d’aller plus loin : de sanctionner de peines d’amende ou de prison quiconque nierait le génocide arménien. Eh bien, il faut le dire clairement : c’est sacrifier le débat historique à l’influence d’un lobby. Et c’est le faire pour des raisons purement électoralistes, parce qu’il y a 500 000 Arméniens en France et que leurs voix vont compter à la présidentielle.
Sur ce point donc, vous donnez raison aux Turcs qui dénoncent eux aussi les arrière-pensées "électoralistes" de la France ?
C’est difficile de dire le contraire. C’est en 2006 que Nicolas Sarkozy avait promis de faire pression sur les autorités turques - juste avant la dernière présidentielle. La même année, les députés ont voté un texte identique à celui d’aujourd’hui, mais que le Sénat a bloqué. Et cette fois, c’est à qui sera le plus rapide : un sénateur PS a déposé en novembre - avec l’aval de Martine Aubry - une proposition identique à celle de la députée Valérie Boyer, approuvée, elle, par Nicolas Sarkozy. On ne peut pas reprocher aux Arméniens de défendre leur mémoire. Mais on peut regretter qu’une communauté obtienne des textes de loi sur commande. Et se dire que s’il y avait plus de Kurdes, de Tchétchènes ou de Tutsi en France, le Parlement ferait peut-être aussi voter des lois pour reconnaître leurs martyrs respectifs...
Ça signifie que vous désapprouvez les fameuses "lois mémorielles" : celles qui portent sur le génocide juif, la colonisation, l’esclavage. Vous les trouvez dangereuses ?
Il y a un risque : celui de l’appropriation de l’histoire par toutes les communautés qui existent dans notre pays. Or, l’histoire, c’est le bien commun de tous les Français et en même temps ça doit rester un sujet de débat, de controverse, d’actualisation permanente. Vu d’aujourd’hui, on doit se demander si la loi Gayssot, la première de ces lois "mémorielles" (qui réprime la négation de la Shoah), n’a pas eu plus d’inconvénients que d’avantages. En 1990, elle a été votée dans un climat de malaise après le procès Barbie, avec les difficultés de la justice à poursuivre Papon et Bousquet, sur fond de montée de l’extrême droite et du révisionnisme. L’intention était bonne, mais elle a ouvert la porte à une sorte de compétition de la mémoire qui nous a déjà entraînés assez loin. Sans doute trop loin.
La Turquie nous menace de sanctions économiques. La crise peut aller jusque-là ?
C’est compliqué, parce qu’elle appartient à l’OMC, dont les règles interdisent de discriminer un pays particulier. Et puis c’est notre troisième partenaire commercial hors de l’Europe - son économie en pâtirait aussi. C’est d’ailleurs le plus troublant : la Turquie est un pays moderne et laïque, candidat à entrer dans l’UE, mais où les droits de l’homme sont malmenés. Plutôt que de leur donner des leçons sur le passé, il vaudrait sûrement mieux leur montrer qu’il y a, pour nous, des choses inacceptables dans le présent.
Lien/Source : Le Point



