Après son nouveau succès aux élections législatives du 12 juin, le Premier ministre met l’accent sur la Turquie comme lumière de l’islam.
Sans aucun doute, le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, vient-il de remporter un nouveau et grand succès, lors des élections législatives du 12 juin. Pour la troisième fois depuis 2002, l’homme à la petite moustache et au look si commun a su séduire un peuple qui traverse assurément une des périodes les plus prospères de son histoire.
Même s’il ne dispose pas de la majorité des deux tiers des sièges, nécessaire à la réforme constitutionnelle dont il rêve, le leader de l’AKP (Parti de la justice et du développement, issu de la mouvance islamiste) n’a aucunement l’intention de renoncer à son grand projet. Par le dialogue ou par le bras de fer, il entend bien changer les institutions issues, il est vrai, du coup d’Etat militaire de 1980, et en tirer le plus grand profit personnel pour accéder -qui sait ? - à une présidence dotée de pouvoirs très étendus.
Un deuxième Mustapha Kemal
Ce que vise désormais cet homme, aussi ambitieux que déterminé, n’est autre qu’une place centrale dans les livres d’histoire. Erdogan envisage tout simplement de devenir le leader turc le plus marquant après Mustafa Kemal (Atatürk), fondateur de la République turque. C’est pourquoi, derrière un bilan économique impressionnant et la mise au pas des militaires, signaux démocratiques en apparence, son vrai dessein doit capter toute l’attention.
D’un tempérament ombrageux, Erdogan a laissé s’exprimer pendant la campagne électorale sa propension naturelle, aux offenses ou aux affirmations péremptoires. Car il connaît ses adeptes. D’une part, une classe moyenne, d’origine rurale et anatolienne, qui apprécie ses coups de menton tout en voyant enfin son niveau de vie s’élever. D’autre part, des électeurs venus d’horizons politiques variés, fortement déçus, qui redécouvrent dans l’AKP une dynamique nouvelle à même d’exalter la "turquité".
Ces catégories sociales disparates ont en commun d’être à la fois conservatrices et laborieuses ; elles constituent une base très large et trouvent dans la personne de leur Premier ministre un chef idéal, toujours prêt à encenser l’ordre moral et les valeurs traditionnelles, fier de paraître au côté de sa femme voilée, mais aussi d’inaugurer sans relâche des autoroutes ou des ponts.
C’est au prix de ces réalisations grandioses - il envisage même de creuser un canal pour doubler le Bosphore ! - que le Premier ministre turc parvient à maintenir l’élan de la grandeur. Beaucoup d’observateurs occidentaux s’en tiennent au boom économique "à la chinoise".
"L’’islamisme dans une main, le nationalisme dans l’autre"
Mais il existe un autre visage d’Erdogan, qui ne doit pas être ignoré. Son autoritarisme, par exemple, qui l’a conduit à réclamer deux ans de prison contre un directeur de journal qui s’était précisément risqué à le qualifier d’"autocrate". On ne peut, non plus, occulter l’islamisation rampante de la société, qui va de la limitation de la vente d’alcool à la défense récurrente d’une conception rétrograde de la femme, si bien que le héraut de l’AKP emploie constamment la rhétorique de la religion. Enfin, son goût prononcé pour l’escalade verbale n’a pas fini de le faire remarquer sur la scène internationale, où l’on ne compte plus ses rodomontades.
L’islamisme dans une main, le nationalisme dans l’autre, Erdogan, champion de la croissance, représente une version effectivement modernisée du leader oriental. Au lendemain de sa victoire, n’a-t-il pas déclaré, s’adressant à l’ensemble du monde musulman : "Croyez-moi, Sarajevo a remporté aujourd’hui une victoire, autant qu’Istanbul, mais aussi Beyrouth, Izmir, Damas, Ramallah, Naplouse, Jénine en Cisjordanie et Jérusalem" ? La Turquie, lumière de l’islam : de fait, il aura rarement été aussi peu question d’Europe au cours d’une élection turque récente. Face au printemps arabe, c’est aussi cette dimension néo-ottomane qui sort en vainqueur des élections.
Source : l’Express