Necmettin Erbakan, premier chef de gouvernement islamiste de l’histoire de la Turquie et ancien mentor de l’actuel Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, est décédé dimanche à 84 ans d’une crise cardiaque, ont annoncé son entourage et des médecins.

"La Turquie a perdu une de ces plus grandes personnalités", a déclaré son adjoint Oguzhan Asilturk, à la télévision NTV.

"Son rythme cardiaque s’est affolé brusquement... et nous n’avons rien pu faire", a déclaré à la presse le médecin chef de l’hôpital d’Ankara où il avait été admis début janvier.

M. Erdogan a immédiatement transmis ses condoléances à la famille de l’ancien leader historique du mouvement islamiste de Turquie.
"Il a été un bon exemple d’enseignant et de dirigeant pour les jeunes générations, de part sa personnalité, ses principes et le combat qu’il a mené", a-t-il déclaré aux télévisions.

Necmettin Erbakan, qui dirigeait le petit Parti du bonheur (Saadet, islamiste), était devenu Premier ministre dans un gouvernement de coalition en 1996.
Il avait été contraint un an plus tard à la démission sous la pression de l’armée, gardienne des valeurs laïques du pays, alors que son parti faisait la promotion de l’islam dans la vie quotidienne et de liens plus étroits avec l’Iran ou la Libye.

En 1998, la Cour constitutionnelle avait interdit sa formation, le Parti de la Prospérité (Refah), pour atteinte à la laïcité, et l’avait déchu de ses droits civiques. Des modérés, dont Erdogan, avaient alors pris leurs distances.
Il avait été condamné à deux ans et quatre mois de prison en 2002 -sanction commuée en assignation à résidence- pour falsification de documents.

M. Erbakan a été le mentor de M. Erdogan, mais ce dernier rejette aujourd’hui son passé islamiste, et affirme défendre une "démocratie conservatrice", ou "démocratie avancée", avec son Parti de la justice et du développement (AKP).

Surnommé "Hoca" ("Maître"), Necmettin Erbakan, sous des dehors bonhommes -silhouette rondouillarde, petite moustache blanche- était un vieux renard de la politique.

Il avait fait son retour en octobre dernier, se faisant élire à la présidence du Saadet, formation fondée en 2001 sur les cendres du Parti de la vertu (Fazilet), dissout par la justice.

Né en 1926 à Sinop, sur la mer Noire, étudiant brillant, il milite pour l’islam dès l’université. En 1948, il est ingénieur mécanicien. Il entame une carrière académique en 1948 puis passe un an à l’Université technique d’Aix-la-Chapelle (Allemagne).

Agrégé en 1953 à 27 ans, il est le plus jeune professeur agrégé des université turques, avant de retourner en Allemagne travailler en usine.
De retour en Turquie, il entre en politique en 1969. Rejeté par le Parti de la Justice (prédécesseur du Parti de la Juste Voie, le DYP de Tansu Ciller), il est élu député non inscrit en 1969.

Il crée le Parti de l’Ordre National (MNP, islamiste) en 1970, interdit en 1971 sous la pression des militaires. En 1972, il fonde le Parti du Salut National (MSP, islamiste) qui remporte 12% des voix aux législatives de 1973.

Il devient vice-Premier ministre de la coalition formée en 1974 entre le Parti Républicain du Peuple (CHP, social-démocrate) du premier ministre Bulent Ecevit et le MSP.

Après la rupture de cette alliance, il devient partenaire d’une coalition à quatre dirigée par Suleyman Demirel (1975-1977).

Comme beaucoup, il est interdit de politique pour dix ans après le coup d’Etat de 1980. L’interdiction est levée en 1987, et il devient chef du Refah.
En 1995, le Refah devient le premier parti avec 21% des voix. Erbakan devient Premier ministre en juin 1996, grâce à son alliance avec Tansu Ciller.