Les Tatars, peuple puni de Crimée
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Stigmatisés depuis depuis plusieurs siècles par la Russie, les Tatars de Crimée espèrent profiter des changements politiques en cours pour faire valoir leurs droits.
Originaires des grandes steppes d’Asie centrale, les Tatars étaient encore l’une des principales ethnies de Crimée à l’orée de la Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui, ils ne représentent qu’un peu plus de 10% de la population de cette région du sud-est de l’Ukraine, conséquence notamment des vagues de déportations impulsées par Staline en 1944. Le « Vojd » reprochait à ce peuple d’origine turque d’avoir collaboré avec l’armée allemande au cours du conflit. Peuple « puni » par la Russie, ils cohabitent aujourd’hui avec une population majoritairement russe aux confins de la Crimée, ce qui n’est pas sans poser problème, comme en témoignent les affrontements qui ont eu lieu mercredi devant le Parlement de Simferopol entre les manifestants pro-russes et les défenseurs du nouveau pouvoir en place.
Il faut revenir aux origines de la domination de la Russie sur cette région pour comprendre les relations entre les Tatars et les Russes qui peuplent toujours les lieux. En 1783, la Tsarine Catherine II, qui envisageait d’étendre son Empire vers le sud, décide d’occuper la Crimée, alors sous protectorat du puissant Empire Ottoman. Les Tatars, de confession musulmane sunnite, étaient la population majoritaire dans cette région. La Crimée est alors officiellement annexée, permettant à la Russie d’établir un port sur la Mer noire, avec l’intérêt stratégique que cela recouvre : un accès aux mers chaudes (ouverture sur la Méditerranée) et une influence plus forte sur la région. Cette base navale est toujours utilisée à Sebastopol et la Russie y accorde un intérêt militaire majeur.
La domination de la Russie sur la Crimée à la fin du XVIIIe siècle est suivie d’un exode progressif des Tatars. Ils deviennent peu à peu minoritaires dans la région, au fur et à mesure que les agriculteurs russes sont encouragés à s’y installer. La Guerre de Crimée, qui oppose la Russie à une coalition franco-anglaise de 1853 à 1856, va entraîner une fois de plus un départ massif des Tatars vers l’Empire ottoman. Le phénomène se poursuit au XXe siècle sous la domination soviétique puisque nombre d’entre eux vont être victimes des grandes purges des années 1930.
Déportés en Asie centrale
Le coup de grâce est porté par Joseph Staline dans les derniers mois de la Seconde guerre mondiale. Accusés « d’un prétendu collaborationnisme avec l’ennemi nazi », selon les termes de l’historien Grégory Dufaud, près de 200 000 Tatars sont déportés et dispersés en Asie Centrale en mai 1944. Une note adressée par le ministre de l’Intérieur soviétique Lavrenti Beria à Staline le 10 mai 1944 énonce qu’au « regard des actes de trahison des Tatars de Crimée contre le peuple soviétique, il n’est pas souhaitable que ceux-ci continuent à vivre dans une région frontalière de l’URSS. C’est pourquoi le NKVD soumet […] un projet sur l’expulsion de tous les Tatars et sur leur installation en tant que colons spéciaux en Ouzbékistan ». Près de la moitié des personnes déportées sont mortes au cours des deux années qui ont suivi la déportation, selon une étude du Mouvement national tatar de Crimée, qui recense près de 109 000 décès.