Le général Friedrich Kress von Kressenstein et les Arméniens
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Walter Rössler (consul allemand à Alep), rapport à Theobald von Bethmann Hollweg (chancelier impérial d’Allemagne), 8 novembre 1915, DuA Dok. 193 (gk. re.) :
"Les conditions sont devenues telles que la route d’étape de Bozanti à Alep est contaminée , et que seul le colonel Baron von Kress a réussi à souligner l’importance militaire des mesures d’hygiène pour les étapes, le commandant en chef de la 4e armée, Djemal Pacha à faire une visite à Alep. Avant de venir, Djemal Pacha avait reçu une demande télégraphique sur l’état sanitaire du chef de l’inspection des étapes, Veli Pacha, indiquant qu’il y avait des cas de dysenterie, mais pas de maladie contagieuse. Ce n’est que lorsque Djemal Pacha a reçu le rapport de Rajak selon lequel trois cadavres avaient été trouvés dans un train d’Alep qu’il a décidé de faire le voyage.
Ici, il a maintenant ordonné des mesures énergiques. L’obligation de notification a été introduite. Des hôpitaux sont installés et des chariots de transport pour le transfert des malades doivent être fournis. La ville est divisée en quartiers dont chacun est supervisé par un médecin ayant le droit de visiter les maisons. Le service de nettoyage de la ville est en cours de réorganisation.
Les ordres sont donnés et c’est maintenant une question d’exécution. Un hygiéniste allemand, médecin militaire, a été sollicité.
Compte tenu de l’importance des zones locales d’où les armées doivent être envoyées, suivant l’Irak ou l’Egypte, la lutte contre l’épidémie doit continuer à recevoir l’attention la plus sérieuse. La personnalité du baron von Kreß garantit que c’est dans le domaine du possible.
J’envoie le même rapport à l’ambassade impériale de Constantinople."
Paul von Wolff-Metternich (ambassadeur allemand à Istanbul), rapport à Theobald Bethmann Hollweg, 9 décembre 1915, DE/PA-AA/R14089 :
"Aujourd’hui, j’ai discuté sérieusement de la question arménienne avec le Grand Vizir [Sait Halim Paşa], j’ai attiré son attention sur le fait que le gouvernement turc mettait en danger, à travers la persécution des Arméniens, les sympathies dont il bénéficiait dans les pays étrangers qui étaient bien disposés à son égard, que l’excitation était grandissante en Allemagne et que le chancelier est assailli de lettres lui demandant d’intercéder auprès du gouvernement turc ami et allié en faveur des Arméniens. J’ai de nouveau souligné que les conspirateurs contre la sécurité de l’Etat sont passibles de sévères punitions, mais que l’expulsion honteuse de centaines de milliers de vieillards, d’enfants et de femmes est une tache sombre dans l’histoire de la Jeune Turquie [Wollf-Metternich fait semblant de ne pas comprendre la logique contre-insurrectionnelle de ces déplacements forcés de populations, pratiqués alors par les armées occidentales : les Britanniques lors de la guerre des Boers, les Allemands en Belgique et en France occupées (dès 1914)...].
Cette fois, j’ai délibérément demandé au Grand Vizir et non à un membre du triumvirat parce que je sais qu’il désapprouve la persécution des Arméniens. Il n’a pas le pouvoir de de l’arrêter, mais il sera très souhaitable qu’il utilise mes idées auprès de ses collègues.
Enfin, je lui ai parlé des abus, dont on peut blâmer les fonctionnaires turcs de rang inférieur , avec la fausse affirmation selon laquelle les Allemands encourageaient la persécution des Arméniens. Cette calomnie est répandue en Anatolie, comme je l’ai incontestablement su des voyageurs et d’autres sources. Nous ne sommes en aucun cas enclins à partager la responsabilité de la politique arménienne avec le gouvernement turc, et je lui demande de s’opposer fermement à ces rumeurs.
Le Grand Vizir n’était pas au courant de telles rumeurs. Mais il a explicitement promis de les faire démentir. En outre, il a déclaré que les Arméniens avaient été victimes d’incitations étrangères, notamment russes. Des districts entiers avaient été organisés pour l’insurrection et avaient été approvisionnés en armes. Il ne s’agissait pas de soulèvement d’individus, mais de régions entières, c’est pourquoi ce ne sont seulement des individus qui auraient pu être punis. De plus, il n’était pas d’accord avec le traitement qu’avait subi la population arménienne. Je lui ai fait remarquer que, d’après l’expérience de l’histoire, il savait que les révolutions étaient le résultat d’un mauvais gouvernement et que la persécution et les mauvais traitements infligés à des centaines de milliers d’innocents ne relevaient pas de la défense légitime d’un Etat.
Chaque fois que j’ai quelque chose de désagréable à dire aux Turcs, je le fais avec beaucoup de calme et ils le tolèrent. Bien qu’il n’y ait plus de parti vieux-turc, il y a encore des gens parmi les Vieux-Turcs qui ont honte de la persécution des Arméniens.
Je voudrais croire que mes idées n’ont pas été entièrement vaines après tout. Djemal Pacha avait demandé certains soulagements pour les Arméniens : que les Arméniens encore à Alep soient autorisés à rester à proximité au lieu d’être déportés à Der Zor au bord du désert, où ils auraient péri , que les ingénieurs arméniens employés dans la construction du chemin de fer de Bagdad , les responsables de la construction et les ouvriers, qui avaient déjà été expédiés soient rappelés, et que les artisans déplacés puissent également être recrutés à des fins militaires. Djemal Pacha, qui fait également partie de ces Turcs qui ont honte, avait auparavant rencontré la résistance du Comité pour réaliser ses souhaits [le gouvernement ottoman (dont faisait partie Cemal) avait donné des instructions claires sur la sécurité et le ravitaillement des déportés, et il facilitait à cette époque le travail des humanitaires étrangers]. Récemment, cependant, comme le chef de son état-major, le colonel von Kress, me l’a dit, ils ont été accordés. Il attribue cela à mon intervention [cette assertion pose des problèmes logiques : 1) Cemal avait déjà précédemment veillé à la protection des Arméniens à Adana (1909-11), puis de ceux déportés de Zeytun et Dörtyol vers Konya (printemps 1915) ; 2) les témoignages d’officiers ottomans vont dans le sens d’une attitude spontanée de sa part ; 3) Cemal était le triumvir le plus réticent face à l’alliance germano-ottomane et l’immixtion allemande dans l’Empire ottoman]. Le colonel me dit que le souvenir des horribles images de la misère arménienne ne le quittera pas de toute sa vie.
Metternich"
Source : http://www.armenocide.net/armenocide/armgende.nsf/$$AllDocs/1915-12-09-DE-001
Beatrice Rohner (missionnaire et humanitaire suisse), annexe d’un rapport de Wolf-Metternich à Bethmann Hollweg, 28 avril 1916, DE/PA-AA/R14091 :
"Pour répondre aux questions de l’Organisation d’aide suisse de 1915 pour les Arméniens.
1. Question : quel est le nombre approximatif d’Arméniens déportés dans votre sphère d’activité ?
Réponse : notre domaine d’activité est double : Sœur Paula Schäfer [missionnaire et humanitaire allemande] a repris la ligne de chemin de fer Osmanie-Islahije et la plaine au sud de Marach, où se trouvent partout des camps de plus en plus grands d’Arméniens dispersés et laissés pour compte. A Marach même, les 7 000 Arméniens qui y sont restés connaissent de terribles difficultés. Bien connue des Turcs et des Arméniens, Sœur Paula peut faire son travail dans ces endroits sans aucune entrave.
L’influence du colonel von Kress réussit à amener Djemal Pacha à remettre fin décembre un orphelinat avec environ 400 orphelins à la soussignée ; cela a permis d’effectuer tranquillement des travaux d’urgence. Cela avait déjà commencé cet été et, avec le soutien des consuls allemand et américain, cela était poursuivi par le clergé protestant et grégorien."
Source : http://www.armenocide.net/armenocide/armgende.nsf/$$AllDocs-de/1916-04-28-DE-002
Hilmar Kaiser, "The Armenians in Lebanon during the Armenian Genocide", in Aïda Boudjikanian (dir.), Armenians of Lebanon : From Past Princesses and Refugees to Present-Day Community, Beyrouth, Haigazian University, 2009 :
"Après la guerre, Djemal a tenté de se présenter comme le protecteur des Arméniens déportés dans sa sphère d’influence. Les officiers, qui jouissaient jusqu’à un certain point de sa confiance, ont confirmé son soutien aux efforts de secours. Friedrich Kress von Kressenstein, Ali Fuat Erden , Falih Rıfkı Atay, Hassan Amdja ont décrit sa réaction compatissante devant la souffrance arménienne." (p. 55)
Gérard J. Libaridian (dir.), Le dossier Karabagh. Faits et documents sur la question du Haut-Karabagh, 1918-1988, Institut Zoryan, Paris-Cambridge Toronto, Sevig Press, 1988 :
"1
[20 septembre 1918]
Rapport sur la visite du général Turc Khalil Pacha à Erevan.
République Arménienne
Ministère des Affaires Etrangères
Mission politique en Géorgie
Tbilissi
à : Constantinople
Délégation Arménienne
26 septembre 1918
N° 871
Le 31 août, dans la matinée, Khalil Pacha, V. Kress et le Baron Frankenstein, moi-même qui les accompagnais, arrivâmes à Erevan. La réception fut très chaleureuse. M. Aram [Aram Manoukian, cadre dachnak et meneur de l’insurrection de Van (1915) ], le Ministre de l’Intérieur, un vieil ami de Khalil Pacha, était venu nous chercher à la gare. Khalil Pacha s’élança vers lui et l’embrassa. Après quoi, Khalil Pacha passa la garde d’honneur en revue, et alla à la ville avec M. Aram, escorté par la cavalerie d’honneur. Pendant toute la durée du défilé l’orchestre exécutait des marches militaires.
[...]
La troisième question concernait la situation du Karabagh. Katchaznouni [le Premier Ministre] exposa notre point de vue concernant ce problème : les régions du Haut-Karabagh et du Zanguezour sont des territoires peuplés majoritairement d’Arméniens, il ne peut y avoir aucun argument qui plaide en faveur de leur annexion à l’Azerbaïdjan. Cependant, puisque l’annexion à l’Arménie provoque les objections de l’Azerbaïdjan, le gouvernement arménien croit que le statut politique du Karabagh doit trouver sa solution soit à la Conférence de Constantinople, soit par la population du Karabagh elle-même. Tant qu’une solution à ce problème ne sera pas trouvée, le gouvernement arménien ne veut pas intervenir dans les affaires intérieures du Karabagh et exige de l’Azerbaïdjan qu’il agisse de même. Khalil Pacha déclara qu’il partageait personnellement notre point de vue et promit d’en discuter avec le gouvernement d’Azerbaïdjan, servant d’intermédiaire entre nos deux gouvernements.
[...]
Pendant ces conversations Khalil Pacha fit un lapsus significatif : « Nous, Turcs, ne pensons pas asservir quelque nations que ce soit ; cependant, nous avons un idéal et voulons le réaliser. Nous désirons rétablir nos liens avec notre ancien territoire, le Touran ; pour cela, nous voulons un passage unissant nos deux patries , libre de toute juridiction étrangère. » Ainsi, le désir des Turcs d’étendre leur domination jusqu’au Turkestan trouvait une expression très précise dans ces mots de Khalil Pacha.
[...]
Très respectueusement,
Ambassadeur de la République d’Arménie en Géorgie
[Archives de la République d’Arménie, dossier N° 65]
2
[28 septembre 1918]
Rapport confidentiel à Erevan par l’ambassadeur arménien en Géorgie sur l’occupation de Chouchi par l’Azerbaïdjan.
Journal de la Mission Arménienne N° 7
Tbilissi, 28 septembre 1918
M. Djamalian a rencontré Von Kress, pour parler des événements survenus au Karabagh.
Le gouvernement azerbaïdjanais a envoyé des troupes à Chouchi pour conquérir le Karabagh. L’information secrète dont nous disposons montre que les troupes ont reçu des ordres du gouvernement de provoquer un bouleversement. Nous ne savons pas encore si nos délégations se rendront à Chouchi.
Ainsi l’Azerbaïdjan n’accepte pas notre point de vue, à savoir attendre la fin de la Conférence de Constantinople. M. Djamalian fit observer à la conférence et à Von Kress que le peuple du Karabagh étant prêt à se défendre, des conflits entre Arméniens et Turcs pourraient se répandre dans tout le pays en réponse aux dépradations causées par les Turcs [sic], ce qui serait désastreux pour tout le Karabagh.
Von Kress fit remarquer qu’il était difficile de négocier avec Nouri Pacha, les rapports étant tendus. Il craint que sa médiation ne fasse que précipiter les événements, comme dans l’affaire de Bakou...
Mik. Toumanian, Conseiller de la Mission
[Archives de la République Arménienne, dossier N° 65]" (p. 8-9)
Friedrich Kress von Kressenstein (chef de la délégation allemande dans le Caucase), rapport à Georg von Hertling (chancelier impérial d’Allemagne), 3 septembre 1918, DuA Dok. 435 (gk.) :
"Je signale obligeamment à Votre Excellence que le 30 août, à la suite de l’invitation d’Halil Pacha et des demandes pressantes du gouvernement arménien, j’ai accompagné Halil Pacha lors de sa visite inaugurale à Erivan avec le baron Frankenstein. (...)
Les troupes turques dans le Caucase, à commencer par les chefs de l’armée jusqu’au dernier lieutenant de la garde-frontière, sont tellement incitées contre les Arméniens et les Allemands par la brute Vehib Pacha [qui avait veillé à la protection des Arméniens des bataillons de travail de l’armée ottomane, cf. Vahakn Dadrian] qu’il faudra probablement longtemps avant qu’Halil Pacha , qui a un point de vue beaucoup plus sensé, ne réussisse à s’affirmer [on notera que l’image que Kress se faisait de Halil Paşa (oncle d’Enver) ne correspond pas à la description tendancieuse et malhonnête des auteurs nationalistes arméniens, ni à celle des "genocide scholars"/faussaires de l’histoire ]. Essad [frère de Vehip] et Ali Ichsan Pacha [Ali İhsan Sabis], ainsi que Chevki Pacha en particulier, lui causent des difficultés dans tous les sens. Ce dernier laisse à peine passer une journée sans se livrer à une méchanceté et un mépris très grossiers pour Halil Pacha. Il a récemment écrit à Halil Pacha qu’il ne pouvait en aucun cas accepter ses politiques. Depuis que lui, Halil Pacha, a pris le commandement suprême, l’influence de ces Allemands se fait à nouveau sentir. Les ordres de Halil ne sont tout simplement pas obéis, chaque ordre a pour réponse des idées contradictoires ; chaque arrangement de Halil est critiqué. L’opération, ordonnée par le haut commandement militaire, est décrite par les plus jeunes officiers comme absurde et irréalisable, et ainsi la confiance dans le commandement supérieur est systématiquement ébranlée. Halil est réticent - du moins pour le moment - à approcher le vieux général avec l’énergie nécessaire.
Il se plaignit lui-même amèrement des grandes difficultés que lui causaient tant les commandants en chef subordonnés des 6e et 9e armées que son voisin Essad.
Sur ce dernier, il prétend qu’il est complètement sous l’influence de son chef d’état-major, Omer Lutfi, une créature de Vehib. Il espère ardemment qu’Omer Lutfi sera bientôt remplacé par un chef allemand. Je peux laisser de côté la question de savoir si, dans l’intérêt de la bonne exécution des opérations ordonnées par le haut commandement militaire en Perse, il ne serait pas souhaitable de charger le général von Seeckt de renvoyer Chevki Pacha dès que possible, lequel aurait également causé de grandes difficultés au lieutenant-général et comte Bothmer à l’époque où il aurait dû y travailler.En ce qui concerne les détails de notre visite, je vous demande de bien vouloir vous référer à mon télégramme et à la copie ci-jointe d’un rapport préparé par le baron Frankenstein, sur lequel je suis d’accord sur tous les points.
Je voudrais simplement me permettre de souligner les points suivants comme étant particulièrement caractéristiques de la politique turque.
1. A la demande du gouvernement allemand et du commandement suprême de l’armée, le gouvernement turc promet à notre ambassadeur et au plénipotentiaire arménien à Kospoli [Constantinople/Istanbul] que les districts de Lori et de Pambak devraient être cédés aux Arméniens sous certaines conditions. Un télégramme à cet effet, signé par le général von Seeckt, arrive à Batoum, m’ordonnant de m’en informer également. Deux heures plus tard, un télégramme d’Enver infirme l’ordonnance rédigée par le général von Seeckt. Je ne reçois pas de message.
2. Enver ordonne aux réfugiés arméniens, sous certaines conditions, de retourner dans certaines régions. Essad Pacha devrait édicter les règlements d’application nécessaires. Comme ce dernier ne répond pas aux lettres et télégrammes qu’il n’apprécie pas, le baron Frankenstein et moi envoyons le lieutenant-colonel Pawlas à Batoum pour négocier avec Essad Pascha sur les formalités du retour des réfugiés. Cela le renvoie à nouveau avec l’affirmation que les conditions de commandement ont changé et que Halil Pacha est désormais responsable. Nous venons vers Halil pour apprendre par lui (et pour avoir des documents étayés par lui), que l’affirmation d’Essad est carrément mensongère et fabriquée.
3. Halil nous a lu un rapport qu’il avait reçu de Nouri Pacha pour être transmis à Constantinople. Dans ce rapport, il est allégué, en dépit du bon sens [sic], que "les Arméniens" du district du Karabag ont incendié 30 villages tatars [azéris] en 2 jours. Nouri sait très bien qu’il ne s’agit pas des Arméniens, c’est-à-dire la République arménienne, mais seulement du chef de bande Andranik , avec qui le gouvernement arménien n’a rien à voir ; il sait très bien que le gouvernement arménien a proposé de faire capturer Andronik [Andranik, considéré comme un "héros national" dans l’Arménie et la diaspora actuelles] et de le neutraliser par ses propres troupes, mais que l’Azerbaïdjan interdit aux Arméniens d’entrer dans la zone contestée du Karabag [cette méfiance des Azerbaïdjanais est tout à fait compréhensible, à une époque où les dachnaks (c’est-à-dire le même parti qui gouvernait l’Arménie proprement dite) tenaient encore le haut du pavé dans le Bakou ensanglanté ]. Nouri sait aussi très bien que tout au plus 10 villages sont détruits [sic] lorsqu’un Tatar lui rapporte que 30 ont été détruits, il sait aussi très bien qu’à Kospoli on ne pense pas à 4 ou 5 pauvres huttes de boue [re-sic] quand il parle de villages tatars [même la dachnake Anahide Ter Minassian avait reconnu la gravité de ces destructions de l’été 1918 ]. Ce n’est qu’un exemple pour bon nombre des rapports sans scrupules et tendancieux qui sont rapportés à Kospoli afin de susciter des idées complètement exagérées et incorrectes sur le soi-disant danger arménien. Ce n’est que sur la base de ce rapport sciemment faux que l’on peut expliquer que le général von Seeckt, indépendamment de nos rapports, soit toujours sur la [position] que le retour des réfugiés arméniens dans leur patrie constitue une menace pour l’armée turque. "On ne peut pas admettre qu’un demi-million d’ennemis armés soient installés à l’arrière de notre armée." Ce demi-million d’ennemis armés sont des vieillards, des femmes et des enfants. Les Turcs et les Tatars ont veillé à ce que presque aucun homme capable d’armes ne puisse revenir. Il est facile de désarmer complètement les réfugiés lorsqu’ils franchissent la frontière.
Dispersés sur une vaste zone, les réfugiés appauvris représentent moins une menace que s’ils étaient rassemblés dans un espace étroit et conduits à des actes désespérés par la faim [outre le chiffre exagéré, Kress (échaudé par la rivalité germano-ottomane dans le Caucase) "oublie" ici le climat délétère résultant des exactions massives des forces arméniennes contre les civils musulmans d’Anatolie orientale (exactions dont la réalité se vérifie dans les sources austro-allemandes ), un retour massif des réfugiés arméniens dans ces régions n’aurait dès lors nullement apaisé la propagande arménophile à l’étranger].
Si les Arméniens le voulaient, ils pourraient interrompre les liaisons arrières des Turcs à l’un des nombreux ouvrages d’art du chemin de fer de montagne Sanain-Karakilissa pendant des semaines sans aucune difficulté. Si les Turcs veulent se prémunir contre une menace pour leurs connections à l’arrière, ils ne peuvent le faire qu’en se liant d’amitié avec les Arméniens. Mais s’ils conduisent les Arméniens au désespoir, ils réaliseront exactement le contraire de ce qu’ils ont l’intention de faire [rappelons que les Allemands favorisaient alors en priorité les intérêts géorgiens dans le Caucase, au détriment des autres nationalités : les Républiques d’Arménie et de Géorgie se feront la guerre pour des questions de frontières (hiver 1918)].
La récolte de cette année dans les territoires arméniens occupés par les Turcs a été en partie apportée par les Turcs. Dans une large mesure, cependant, les Turcs ont détruit la récolte en conduisant leurs chevaux et leur bétail dans les champs [Kress "oublie" les dévastations antérieures des troupes russes (largement reconnues par les officiers britanniques), puis les nouvelles destructions perpétrées par les bandes arméniennes en 1917-18].
Si les réfugiés ne sont pas autorisés à rentrer, ces régions riches ne porteront pas non plus une récolte l’année prochaine - principalement au détriment des Turcs.
Le chemin de fer est toujours en très mauvais état dans la zone occupée par les Turcs depuis des mois. Rien n’a encore été fait pour réparer les puits détruits. Les locomotives sont alimentées en partie avec de petites pompes à main, en partie avec des seaux à main, le téléphone ferroviaire n’a pas encore été restauré ; chaque voyage est associé à un danger mortel ; les stations et les points ne sont pas habités, les déraillements sont donc à l’ordre du jour. Halil Pacha est intervenu énergiquement, à l’instigation du lieutenant Paraquin, et on peut s’attendre à une amélioration dans un avenir prévisible. Mais je pense que je devrais mentionner ce fait comme une nouvelle preuve de la faible intention des Turcs de mener à bien les opérations en Perse ordonnées par le haut commandement militaire. (...)
Baron von Kreß.
A Son Excellence le chancelier du Reich, le comte von Hertling, Berlin.
Annexe.
Résultat des négociations à Erivan entre Halil Pacha et le gouvernement arménien, avec notre participation :
Contrairement aux rapports tendancieusement déformés d’Essad, Chefki et Nouri Pacha sur la menace pour la Turquie en provenance de l’Arménie, Halil Pacha a eu l’impression que l’Arménie n’avait aucune intention de prendre des mesures contre la Turquie. Halil a promis d’informer Enver que le retour des réfugiés concernait principalement des femmes, des enfants et des vieillards, les quelques hommes restants pourraient facilement être désarmés au préalable. Il a lui-même décrit la concession d’Enver, selon laquelle les Arméniens retourneraient dans la zone de 20 km à l’est de la ligne de chemin de fer Alexandropol-Djulfa, comme sans valeur.
Le general von Seeckt a ordonné le retour des régions de Lori et Pambak, dans un télégramme à Batoum il y a quelque temps, mais Enver Pacha l’a révoqué avec un deuxième télégramme, et il a promis de soutenir chaleureusement Halil.
La sournoiserie d’Essad Pacha est démontrée par la déclaration manifestement fausse faite au lieutenant-colonel Pawlas, selon laquelle la détermination des zones de sa région de commandement, dans lesquelles les réfugiés pourraient retourner sans risque de massacre, relève de la compétence d’Halil Pacha à la suite d’un changement de commandement, qu’il décrit lui-même comme incorrecte.
Le gouvernement arménien se déclare prêt, afin de prouver sa sincérité, à envoyer un bataillon arménien au Karabakh pour neutraliser le chef de bande Andronik, puis à le retirer immédiatement.
Veuillez nous informer dès que possible si Halil a rapporté les choses à Enver dans le sens ci-dessus et avec quels résultats.
Augmentation de la mortalité parmi les réfugiés.
Kreß. Frankenstein."
Source : http://www.armenocide.net/armenocide/ArmGenDE.nsf/0/19387501D6143D2AC1256AD7003B1099
Friedrich Kress von Kressenstein, rapport à Maximilian von Baden (chancelier impérial d’Allemagne), 30 octobre 1918, DE/PA-AA/R11063 :
"J’ai l’honneur de soumettre respectueusement à la gracieuse attention de Votre Altesse Grand-Ducale quelques rapports du lieutenant Eisenmann, de la division d’aviation anciennement stationnée ici, envoyé par moi à Erivan pour observation politique et militaire.
Pour autant que je sache, les déclarations du lieutenant Eisenmann concordent essentiellement avec mon évaluation de la situation en Arménie et du peuple arménien.
Baron von Kress
Annexe 1
A la délégation impériale allemande dans le Caucase, Tiflis.
Erivan, 9 septembre 1915
J. N° B2/18.
Rapport.
Lors du voyage de Tiflis via Akstafa à Erivan, nous avons été traités avec beaucoup d’attention et de courtoisie par les représentants du gouvernement arménien, avec lesquels nous avons fait le voyage ensemble. Pendant le voyage à travers la région de l’Azerbaïdjan occupée par les Turcs, les autorités turques ne nous ont posé aucune difficulté.
A Karavanserei, premier gros village arménien, le président du Conseil national a prononcé un discours devant le peuple rassemblé, qui a été reçu avec attention mais sans enthousiasme particulier. La même chose s’est produite le lendemain dans un autre village de la même manière. A Delichan, Semjonovka et Akhti, nous avons été reçus par des soldats formant une garde. L’ambiance ici ne devait en aucun cas être considérée comme de l’enthousiasme, mais plutôt comme de la curiosité. A Delichan, le fort orage avec des tempêtes de grêle qui a fait rage à notre arrivée a peut-être contribué à cela.La réception à Kanakir était presque entièrement militaire. Pendant le repas, des salutations insignifiantes ont été faites.
Malgré l’heure tardive (environ 12 heures et demi du soir) à laquelle nous sommes arrivés à Erivan, une foule extraordinairement nombreuse s’était rassemblée, qui, cependant, était considérablement plus grande à 3 heures de l’après-midi, heure à laquelle nous étions effectivement attendus. De nombreuses maisons dans les rues étaient décorées de fleurs, de drapeaux, de tapis et d’affiches avec des inscriptions. La cavalerie nous a accompagnés de Kanakir à Erivan, où des troupes étaient postées des limites de la ville jusqu’à la mairie. Malgré la longue attente, des acclamations enthousiastes ont été entendues partout. Les gens ont rompu le cordon militaire et encerclé les wagons, dont le nôtre, qui sont entrés dans la ville juste derrière ceux du président.
Le dîner dans la maison de l’évêque d’Erivan, qui a commencé à 2 heures du matin, a réuni tous les représentants des nations présentes, à l’exception des premiers représentants civils et militaires arméniens. Bon nombre des discours prononcés par toutes les parties ont porté sur l’événement joyeux de l’avènement du nouveau gouvernement, mais ils ont été très prudents.
Eisenmann
Lieutenant.
Annexe 2
A la délégation impériale allemande dans le Caucase, Tiflis.
Erivan, 9 septembre 1918.
J. N° B5/18.
Rapport sur le peuple arménien.
Le peuple arménien est tout aussi inculte, rude et brutal que les Tatars, au sujet desquels les Arméniens ont toujours une si piètre opinion. Comme eux, ils sont pour la plupart analphabètes [Anahide Ter Minassian a qualifié l’Erevan de cette époque de "désert culturel" , et a confirmé le grand nombre d’illettrés]. J’admets que, bien que peu fiables et paresseux , ils semblent réceptifs à l’innovation. Ceux qui sont intelligents et éduqués ne sont qu’une petite partie de l’ensemble. Il y a très peu de gens réellement et généralement éduqués dans notre acception du terme. Je pense qu’il y en a extrêmement peu qui, après avoir terminé leurs études, ont été élevés pour traiter avec le reste du monde d’une manière acceptable. Ils sont et resteront des Asiatiques. Les personnes qui ont étudié ne reçoivent qu’une formation inégale dans leur spécialité. Les études sont principalement la médecine, la philosophie et les sciences techniques. Même ceux qui ont étudié à l’étranger n’ont guère compris les coutumes, les habitudes de vie et les mœurs européennes. Je ne peux pas juger de l’étendue de leurs connaissances spécialisées.
Les termes "culture" et "peuple civilisé" sont interprétés d’une manière étrange par les Arméniens. Leur culture remonte à mille ans et plus, et est évidente dans les monastères et les églises construits pendant cette période, et dans les quelques œuvres littéraires, écrites de préférence par le clergé. Ces deux choses, ainsi que le christianisme arménien , sont les points qui sont censés prouver leur supposée haute culture dans de nombreux discours publics et aussi dans des conversations privées.
Malgré les savantes sciences européennes, ils sont et restent des Asiatiques kitsch et primitifs, qui, cependant, sont supérieurs à leurs voisins en matière d’intelligence et, de plus, sont mentalement et matériellement très réceptifs, surtout en compétition. L’un de leurs plus grands défauts, que je ne veux pas oublier de mentionner, est le manque d’objectivité. Cette carence les amène à ne penser que subjectivement, c’est-à-dire à ne parler que de leur grand malheur , de leurs souffrances d’une part, et à mépriser des peuples comme les Tatars, les Géorgiens, etc., de l’autre.
Il est cependant étrange que les Arméniens ne soient pas seulement détestés par les Turcs et les Tatars, mais qu’ils ne soient en aucun cas populaires auprès des Géorgiens , des autres tribus du Caucase et des Russes de toutes les nations.
En tant que commerçants, ils sont certainement hautement qualifiés et réalisent de grandes choses. Je ne peux pas dire si c’est aussi le cas pour l’industrie, car il n’y a pas d’industrie ici.
On dit que l’activité agricole de de la partie intelligente peuple est bonne. Ici aussi, je ne dispose pas de critère, puisque leurs terres cultivées sont entre les mains des Turcs ; mais je doute plutôt que leurs fermes soient aux normes des critères européens et encore moins allemands. Je pense que les gens, dans leur indolence innée, n’ont pas été jusqu’ici accessibles aux progrès culturels, et n’ont pas eu besoin de l’être, puisqu’ils ont trouvé leur subsistance, sans grande difficulté, sur un sol extrêmement fertile.
Avec tout ce que j’ai entendu et recueilli sur la fertilité élevée des étendues arables de l’Arménie, ainsi que sur l’énorme richesse des ressources naturelles, une énorme augmentation de la production serait obtenue si les deux choses étaient gérées de manière rationnelle. L’intervention des entreprises européennes dans l’industrie et la création de fermes exemplaires, dans lesquelles l’agriculteur conservateur (comme partout), peut voir de ses propres yeux ce qui peut être davantage fait, sont des conditions préalables et absolument nécessaires. Pour autant qu’on m’en informe, ces conditions préalables n’existent pas encore, car la terre est cultivée de la manière la plus primitive, bien sûr sans l’aide de machines modernes, etc.
Politiquement, ce sont totalement des politiciens professionnels. Leurs opinions changent aujourd’hui avec la situation politique ou militaire, même s’il y a toujours une incertitude à ce sujet en raison de beaucoup de bavardages et de rumeurs. Pour le moment, l’Allemagne est le principal atout, mais - c’est mon opinion subjective - l’Allemagne pourrait aussi bien s’appeler la France demain et ensuite la Russie ou l’Angleterre ; ils les embrasseraient avec exactement les mêmes espoirs que nous au début. L’enthousiasme à notre égard s’est déjà considérablement atténué. Au moment où nous sommes entrés à Erivan, on croyait que, sur nos ordres, les Turcs se retireraient immédiatement derrière les lignes de Brest-Litovsk et l’Arménie serait en mesure de s’établir dans ses anciennes frontières. Ce n’était pas seulement le point de vue des gens primitifs, mais même d’un grand nombre d’Arméniens instruits. Comme cet espoir n’a toujours pas été réalisé après moins de deux mois - on prend généralement beaucoup de temps ici, si ce n’est pas une question d’intérêt personnel - l’ambiance vient de changer et on flirte à nouveau avec l’Angleterre.
Voici un cas particulier :
A l’occasion d’une réunion du Comité de la viticulture pour le gouvernement d’Erivan à Kars, à la fin du mois de juillet, deux de ces messieurs se sont rendus au laboratoire de chimie de M. Haberfeld, à côté de la salle de réunion. Ils en sont venus à parler de Bakou, par hasard. M. A.D. Hudabachian demande si M. Haberfeld savait déjà que les Anglais se trouvaient à Bakou. M. Haberfeld a déclaré qu’il était possible que des Anglais se trouvent à Bakou, après quoi M. Kevorkoff l’a informé que le nombre d’Anglais était considérablement plus élevé, au moins 2000, et que le général Alexeev s’approchait également avec quelques milliers de Cosaques. Monsieur Haberfeld a dit qu’il y avait des troupes allemandes, à sa connaissance environ 5000 hommes, à Tiflis qui, avec les Turcs, seraient probablement en mesure d’arrêter toute avancée sur Bakou. Monsieur Keworkoff ne partageait absolument pas ce point de vue, il était même fermement convaincu que les troupes allemandes, conjointement avec les Turcs, ne seraient pas capables de retenir les masses de troupes britanniques et russes qui s’y formaient, "surtout, bien sûr, si nous soutenions les Russes et les Anglais".
Une autre exemple du sentiment pro-russe est l’attitude de Mme Dchevanian, née russe : lorsque la première nouvelle de la défaite turque à Bakou s’est répandue à Erivan, elle a souligné avec enthousiasme devant M. Heine que c’était le début d’une nouvelle guerre entre la Russie et l’Allemagne, qui conduirait à la restauration de la domination russe dans le Caucase. Les perspectives seraient prometteuses, car les Allemands à l’Ouest seraient désormais contraints par les Français de se battre sur le sol allemand. Un grand nombre des professeurs présents au lycée (elle est professeur de dessin) étaient d’accord avec ces explications.
Des opinions et des croyances similaires ont été fréquemment entendues ici, non seulement de la part des Russes mais aussi des Arméniens.
Un autre exemple quant à ces derniers est M. Amasaep Davidovitch Hudabachian, directeur de la banque Tifliski Kupetcheski, qui est connu ici comme le plus grand ami de l’Entente et qui fait tout ce qu’il peut pour s’adonner à la propagande en faveur des Anglais.
Les deux Américains présents ici ont indéniablement une influence sur l’opinion politique. Il leur est facile d’influencer les gens car ils emploient un grand nombre de personnes dans leurs usines de transformation du coton et leur donnent des salaires. Le capital américain oeuvre absolument en faveur de l’Entente ici. Non seulement les gens reçoivent des salaires relativement bons, mais ils bénéficient également de toutes sortes de commodités. Par exemple, un club a été fondé où les gens peuvent passer le temps, lire, écrire, se raser, le tout gratuitement ou pour un prix extrêmement modique. Lorsque les gens ne peuvent pas écrire, les lettres sont écrites pour eux. A tous égards, les choses sont rendues agréables et confortables pour eux. Ce club est principalement visité par des soldats ; c’est pourquoi il est également connu dans la langue vernaculaire sous le nom de "club des soldats". La propagande semble surtout toucher l’armée arménienne. Ce club est officiellement appelé "Association des jeunes chrétiens". En plus de leur industrie cotonnière, les gens ont fondé un orphelinat qui est grand par rapport aux normes locales, dans lequel les enfants sont bien sûr élevés dans leur manière de penser. En plus de la scolarité, les enfants ont également des cours pour toutes sortes de métiers. Cela m’a incité à porter une attention particulière à un autre orphelinat et à y faire autant que possible une contre-propagande grâce à un soutien régulier.
Cependant, il y a peu de temps, j’ai entendu du côté tatar que les fonds américains semblent commencer à diminuer, probablement parce que les envois d’argent ne peuvent pas passer par ici.
Jusqu’à il y a 14 jours, ils n’attachaient pas une importance particulière à la vente des marchandises, qu’ils vendaient parfois à bas prix. Il y a quinze jours, cependant, [ils] ont contacté un grossiste local afin de conclure avec lui des accords sur des tissus de coton à des prix considérablement plus élevés. De là, le commerçant en conclut que les finances des Américains ne sont plus aussi brillantes qu’elles l’étaient auparavant.
Un vieil Arménien, M. C. A., m’a dit quelque chose d’intéressant pour juger ce peuple, le 19 août 1918 : "Le gouvernement arménien est composé de bandits et de mafieux, le peuple est grossier, sauvage et sans culture, et les soldats sont des brigands."
D’après mes contacts avec les Arméniens, les Arméniens ont une très bonne opinion des qualités militaires du peuple. Certains officiers de réserve sont tellement convaincus par leurs soldats qu’ils les comptent parmi les meilleurs de l’ancien Empire russe. Ils racontent également des miracles de bravoure et de courage dans la lutte contre les Turcs sous la domination russe et arménienne, et ne justifient leur retraite durant leurs propres guerres contre les Turcs que par l’infériorité numérique.
Mais les jugements des Russes non-arméniens en général et en particulier de ceux qui ont été sur le terrain avec les Arméniens sont tout à fait différents. Ceux-ci les considèrent comme un peuple sans qualités militaires, et ils les qualifient ouvertement de lâches
[Richard G. Hovannisian parlait de la "lâcheté affligeante du soldat arménien" devant les troupes de Karabekir à Erzurum].Les anciens officiers russes qui servent maintenant activement dans l’armée arménienne, y compris ceux d’origine arménienne, se plaignent beaucoup des troupes. L’ancienne discipline russe a complètement disparu, les soldats ont été négligés par la période bolchevique, et pour le moment on ne peut pas placer une confiance absolue dans les troupes. Il faudra beaucoup de temps pour créer une force vraiment disciplinée. La formation souffre du manque de vieux officiers expérimentés, les officiers sont pour la plupart des officiers de guerre plus jeunes (officiers d’usine). (...)
Eisenmann
Lieutenant.
Annexe 3
Erivan, 10 septembre 1918.
A la délégation impériale allemande dans le Caucase, Tbilissi.
J. N° B7/18.
Rapport.
1. Le 9 septembre, le représentant politique de la Turquie, Mamed Ali Pacha, est arrivé à Erivan avec deux officiers.
2. La première promesse de Halil de renvoyer les prisonniers arméniens est en cours d’exécution. Environ 400 soldats et officiers sont arrivés à ce jour [le fait ici remarquable, c’est que l’armée ottomane avait encore entre ses mains des centaines prisonniers de guerre arméniens (dont des chefs de bandes), plusieurs mois après la reprise de l’Anatolie orientale (printemps 1918) : il n’y a donc pas eu d’exécutions sommaires de bandits arméniens avec une régularité systématique, en dépit des nombreux massacres de la part de ces derniers en 1917-18 (après ceux de 1914-1916 ), ce qui est difficile à concilier avec une prétendue "politique d’extermination de la paisible population arménienne]. La condition de ces personnes est cependant terrible [s’étant déshonorés sur le front et à l’arrière (cf. notamment les milliers d’orphelins turcs et kurdes d’Erzurum , démunis et traumatisés, laissés dans leur sillage), ils n’ont eu droit à aucun traitement de faveur, contrairement aux prisonniers français et britanniques ]. Je suis allé moi-même à la gare et j’ai regardé les 200 premiers qui venaient d’Erzerum. Les gens étaient vêtus de haillons, parfois sans chaussures, couverts de saleté et complètement sous-alimentés [les prisonniers de guerre allemands (qui n’étaient pas dans leur majorité des criminels de guerre aimant tuer et mutiler des civils, ou incendier des villages et des quartiers entiers) ont souffert de graves problèmes de sous-alimentation après 1945 (en temps de paix) dans les zones d’occupation alliées (pas seulement sous l’occupation soviétique)]. Deux moururent de faim à Illuchanglu, deux autres sur le court trajet d’Illuchanglu à Erivan et trois moururent à Erivan à la gare et moururent en fait le même jour [si cela est navrant, cette mortalité est à comparer aux pertes hors combat des soldats ottomans ou à celle des réfugiés musulmans ayant fui les déprédations arméno-cosaques]. Une grande partie étaient si faibles qu’il leur était difficile de sortir du wagon et ils ont dû se recoucher immédiatement. On a dit qu’ils n’avaient même pas reçu un morceau de pain lorsqu’ils avaient quitté Erzerum.
Le deuxième transport arrivé hier aurait présenté la même image. Certaines personnes sont mortes aussi. Je n’ai pas encore été en mesure de savoir si ce transport n’a pas non plus reçu de nourriture pour le voyage en train de plusieurs jours.
Le gouvernement turc a autorisé les réfugiés arméniens à retourner dans leurs villages, qui ont maintenant été détruits [d’après le rapport de Niles et Sutherland (1919) , les villages arméniens n’ont pas été systématiquement détruits, par contre les réfugiés musulmans revenus dans leurs régions ont dû se réinstaller dans les villages arméniens laissés intacts (puisque leurs propres villages avaient été détruits par les Arméniens)].
Eisenmann.
Lieutenant. (...)
Annexe 8
Erivan, 13 septembre 1918.
Un certain nombre de plaintes contre les Arméniens ont été reçues de la part des Tatars. Celles-ci montrent clairement que les Arméniens, dès qu’ils sont au pouvoir, commettent également des hostilités et des atrocités contre les musulmans. Le massacre des Arméniens par les Tatars est suffisamment connu ; le massacre des Tatars par les Arméniens est bien moins connu.
[Eisenmann]
Lieutenant"
Source : http://www.armenocide.net/armenocide/armgende.nsf/$$AllDocs-de/1918-10-30-DE-002
Alp Yenen, The Young Turk Aftermath : Making Sense of Transnational Contentious Politics at the End of the Ottoman Empire, 1918-1922 (thèse de doctorat), Université de Bâle, 2016 :
"Il vaut la peine de rappeler la liste des participants éminents pour comprendre la prétention représentative des funérailles [de Talat] et des réseaux de pouvoir dans lesquels Talat Pacha a été intégré. Le président du Reich Friedrich Ebert [SPD], le chancelier Konstantin Fehrenbach [Zentrum] et le ministre de la Justice Rudolf Heinze [DVP] ont envoyé des représentants officiels. Le kaiser Guillaume II en exil était représenté par son chambellan, l’hofmarschall Graf Oskar von Platen-Hallermund. De l’Auswärtiges Amt, de nombreux responsables étaient présents à la cérémonie, dont Albrecht Graf von Bernstorff [membre du DDP, futur martyr de la résistance allemande anti-nazie (cercle Solf)] et Wipert von Blücher [qui ne sera jamais membre du NSDAP malgré son maintien dans le corps diplomatique], ainsi que les anciens ministres des Affaires étrangères Arthur Zimmermann et Richard von Kühlmann. La couronne funéraire qu’Ernst Jäckh plaça près du cercueil faisait écho à la devise allemande officielle : « Un grand homme d’Etat et un ami fidèle ». Parmi les militaires, il y avait Hans von Seeckt [nationaliste de tendance modérée et libérale, guère apprécié des nationaux-socialistes], Friedrich Kress von Kressenstein, Otto von Lossow et probablement quelques autres. Certains des officiers allemands portaient leurs uniformes militaires ottomans en signe de loyauté. Les ambassadeurs suisse et italien ont également assisté à la cérémonie. D’autres, qui n’ont pas pu y assister en personne, ont envoyé des télégrammes de condoléances, y compris le général Ludendorff. " (p. 378)
"Hans Humann est également allé au-delà de la propagande journalistique [via la Deutsche Allgemeine Zeitung, journal qui publia un article de fond du général Bronsart (sans trace de racisme anti-arménien )] et a tenté d’intervenir dans les poursuites [contre Soghomon Tehlirian , ancien volontaire de l’armée impériale russe sur le front russo-ottoman, assassin récidiviste et menteur]. Humann et le général Friedrich Freiherr Kress von Kressenstein ont rendu visite au procureur général Gollnick, le 30 mai 1921. Le lendemain, Humann a envoyé une liste à Gollnick avec les noms et adresses de Paul Weitz, Kress von Kressenstein, Otto von Feldmann et Felix Guse, car ils « pourraient éventuellement être considérés comme des témoins potentiels dans le procès contre Tehlirian ». Franz Günther [ancien directeur du Bagdadbahn ] a également été considéré par Humann comme une possible source d’informations. Kress von Kressenstein a eu une rencontre avec l’avocat de la défense Gordon, parce qu’il voulait être considéré comme un témoin possible, mais Gordon l’a renvoyé, car Kress von Kressenstein était censé être trop fidèle aux Turcs [Kress a été un rival de Cemal Paşa en Syrie -Palestine et a défendu dans une certaine mesure les intérêts arméniens dans le Caucase, comme on l’a vu : cela en dit long sur la turcophobie primaire des alliés du terroriste Tehlirian...]. Kress von Kressenstein avait l’impression que
l’avocat de la défense prévoyait d’aborder le sujet des massacres arméniens, et en aucun cas il ne se laisserait empêcher de présenter un grand nombre de témoins et d’éléments de preuve pour prouver que Talaat était l’instigateur des massacres arméniens , et donc le coupable derrière. [...] Von Gordon a parlé à plusieurs reprises de l’attention mondiale que cette affaire attirerait. [...] Compte tenu des conséquences politiques importantes qui pourraient résulter d’un acquittement de l’accusé [...] [il est] nécessaire d’inviter de nombreux témoins et témoins experts qui ne s’exprimeraient pas seulement en faveur des Arméniens mais — afin de fournir un moment de répit pour notre ancien allié — décriraient une représentation objective des exigences auxquelles notre allié était confronté.
En fait, l’avocat de la défense, et la communauté arménienne de Berlin et ses réseaux transnationaux, étaient tous engagés dans un effort collectif pour mettre la question arménienne au centre du procès de Tehlirian. Par conséquent, certaines des accusations concernant la propagande arménienne n’étaient pas sans fondement. Bien que la FRA ait été à l’origine du complot d’assassinat , cela signifiait également minimiser et nier le rôle de la FRA afin de présenter Tehlirian sous un meilleur jour. Du point de vue du Tachnag, la nouvelle de l’assassinat réussi de Talat Pacha est arrivée à une époque délicate où le sort des parties restantes de la République d’Arménie était voué à l’échec face à l’invasion soviétique continue et à l’isolement international. Armen Garo [Garéguine Pasdermadjian , dont le frère Vahan (officier ottoman) n’a jamais été "exterminé] a écrit que malgré toutes les mauvaises nouvelles, « le succès de Shahan [Shahan Natalie, organisateur de l’opération terroriste "Némésis" ] est le seul événement de consolation ». Néanmoins, Armen Garo a vivement exhorté à garder secret le rôle des tachnags :
Employer tous les moyens pour prouver qu’il s’agissait d’un acte individuel ; ce n’est pas le moment de faire la publicité du parti ; la situation dans notre pays est très délicate ; en regardant les dernières nouvelles, nos dirigeants ont été contraints de travailler avec les Turcs
[kémalistes]
contre les bolcheviks dans la guerre qu’ils mènent ; par conséquent, ce n’est pas du tout le moment de laisser cette entreprise être attribuée à notre parti.
Ainsi, le rôle de la FRA a été gardé secret. La possibilité d’un complot organisé derrière l’assassinat n’a jamais été un sujet de discussion au cours de la procédure.
" (p. 392-393)Sur le général Kress : La gouvernance de Cemal Paşa (Djemal Pacha) en Syrie (1914-1917)
Les Jeunes-Turcs et le sionisme
La précocité du nationalisme turc de Mustafa Kemal
Les relations entre Hans von Seeckt et Enver Paşa (Enver Pacha)
La rivalité germano-ottomane dans le Cauca
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